Chapitre 31

     Ce jour-là, notre professeur de physique était absent donc je tuais le temps en salle d'étude, car dehors, il pleuvait des cordes. Eléah vint s'assoir à côté de moi, un grand sourire sur les lèvres.

-Tu travailles tout le temps, Sloann. Tu ne peux pas t'arrêter deux minutes d'étudier ? dit-elle en fixant mes cahiers sur le bureau.

Je ne répondis pas. Ses provocations incessantes m'indifféraient. 

-Et si on se racontait nos vies ? insista-t-elle.

-Se raconter nos vies ?

-Ben oui, en mode « confidences ». Ce n'est pas ce que font les amies ?

Tu n'es pas mon amie Eléah.

-Je ne sais pas.

-En même temps, tu ne dois pas avoir grand-chose de passionnant à raconter.

-Pourquoi tu dis ça ?

-Toujours si sérieuse, toujours si studieuse. Tu es plutôt barbante comme fille.

-C'est notre dernière année. Je veux réussir mes examens !

-Fais comme moi ! Triche !

Elle se mit à rire de nouveau. C'était sur ma copie qu'elle trichait et j'en avais assez d'étudier pour deux. Sa malhonnêteté me donnait envie de vomir.

Eléah enleva sa veste puis se tourna vers moi, ses deux grands yeux me scrutèrent avec curiosité. Je n'avais pas envie de lui confier quoi que ce soit sur ma vie de toute façon. J'étais devenue méfiante avec les années et je ne voulais plus de son amitié pathétique. Cette fille me rebutait.

-Clothilde m'a encore énervée, hier.

-Encore ? Qu'est-ce qu'elle a fait cette fois ?

-Elle m'a harcelée toute la soirée pour que je joue avec elle. Tu m'imagines jouer avec elle ? À 17 ans ?

-Je ne sais pas... pourquoi pas?

-Dans tes rêves !

-Si ça peut lui faire plaisir. Tu es sa grande sœur, tout de même.

-Jamais de la vie. Plutôt mourir que de faire plaisir à Clothilde. Cette petite peste m'insupporte. Puis elle joue à des trucs de gamines. C'est une attardée.

-Tu sais, il y a quelques semaines, ma petite cousine est venue à la maison et j'ai joué à la poupée avec elle. J'ai survécu.

Lorsque cette confidence s'échappa de ma bouche, je me sentis mal. J'étais folle de lui confier ça. Comment pouvais-je tomber dans le panneau encore aussi facilement après tant d'années de galères ?

Eléah me fixa avec son regard pensif qui ne présageait rien de bon. Elle passa une main dans ses longs cheveux puis fit comme si ma présence ne l'intéressait plus.

-Dis, tu ne diras rien aux filles de la classe ? C'était juste pour faire plaisir à ma petite cousine.... C'était pour être sympa avec elle, tu comprends ?

-Bien sûr que je ne dirai rien. T'es vraiment parano.

-Promis ? insistai-je, fébrile.

Elle ne répondit rien.

Le lendemain, lorsque je posai le pied dans la classe, je perçus directement des gloussements et des rires étouffés. Il y avait des murmures et des chuchotements. Je me sentis aussitôt mal à l'aise.

-Comment va ta poupée, Sloann ? lança Eléah.

-Tu vas survivre à une journée d'école sans ton doudou ? s'écria Robyn.

-L'école maternelle, c'est par là ! Chuchota Eléah, en riant comme une folle. Églantine se mit aussi à rire de moi.

J'étais foutue pour le restant de mon année.

Je fus terriblement blessée par le comportement d'Eléah. J'étais à deux doigts de craquer. Je n'en pouvais plus. J'avais l'impression d'être seule au monde alors que j'étais dans une classe remplie d'élèves. Je repensai au mal qu'elle avait fait à Salomé et à d'autres filles de l'école.

J'avais enfin compris qu'elle ne changerait jamais.

Me voir souffrir l'indifférait totalement.

Peut-être même que cela lui faisait plaisir, qui sait ?

Quelques semaines plus tard, alors que l'histoire de la poupée venait enfin d'être oubliée, j'eus le malheur de me sentir mal pendant le cours de mathématique. J'avais mal digéré le repas servi à la cantine et je m'en étais plainte auprès de quelques filles de la classe.

Après vingt minutes de sueurs froides, je demandai la permission de me rendre aux toilettes. Lorsque je revins m'assoir à mon banc dix minutes plus tard, Eléah chuchota derrière le dos de professeur.

-Ça va mieux, miss Gastro ?

Je sentis mon visage s'enflammer. Mes mains se mirent à trembler tellement j'étais honteuse. Le cauchemar était sans fin.

-Il y a une drôle d'odeur ici ! On peut ouvrir une fenêtre ? murmura-t-elle afin que le professeur ne l'entende pas.

L'humiliation était totale. C'était insupportable.

Tout à coup, je me levai d'un seul bond et me mis à crier devant toute la classe:

-Tu vas arrêter de critiquer tout le monde ! Je ne veux plus jamais t'entendre, Eléah ! Plus jamais de la vie !

Notre professeur me dévisagea sans comprendre mon comportement.

-Mais qu'est-ce qui se passe ici ? demanda-t-il.

Je me mis à pleurer comme une madeleine devant tout le monde. Impossible de retenir mes larmes. Les sanglots étaient incontrôlables.

Tous les élèves me dévisagèrent, choqués par ma réaction. Eléah me fusillait du regard. D'habitude, je ne réagissais jamais, je ne parlais pas, je ne me défendais pas. Mais je ne voulais plus me taire. 

Ras-le-bol d'Eléah !

Le professeur finit par m'envoyer chez l'éducatrice qui chercha à comprendre pourquoi j'étais dans un état pareil. Mais je n'arrêtais pas de pleurer. Je finis par lui dire que j'avais appris une mauvaise nouvelle dans ma famille afin de pouvoir quitter son bureau sans devoir justifier mes larmes incessantes.

Les surnoms « Miss Gastro » ou « La puante » me poursuivirent toute la journée à mon plus grand désespoir.

Pourquoi Eléah tapait-elle toujours là où cela faisait le plus mal ?

Pourquoi avait-elle tant d'imagination pour blesser ou rabaisser ?

Cette journée allait être longue. Très longue. Les filles n'osaient plus me parler. Certaines m'évitaient même. Le vide s'installait autour moi. J'étais devenue la nouvelle pestiférée du coin, tout ça parce que j'avais osé dire à Eléah de se taire.

Juste après les cours, je croisai Anaïs.

Elle avait remarqué que les moqueries s'étaient intensifiées, mais elle n'y participait pas, ce qui me mettait un peu de baume au cœur. Alors qu'elle allait me quitter pour rejoindre l'arrêt de bus, je ne pus m'empêcher de l'interpeller :

-Pourquoi tu ne te moques pas de moi, comme les autres ?

-Parce que tu ne mérites pas ça.

Je lui souris avec reconnaissance.

-Elle te traite comme Salomé et je me demande combien de temps tu vas encore accepter ça ?

-Je voudrais que ça s'arrête.

-C'est vrai que tu lui as dit de se taire en plein cours de math ?

-Oui c'est vrai mais ensuite, j'ai fini en larmes. Donc, c'était plutôt la honte.

-On a 17 ans, Sloann. Ça fait 8 ans que ça dure ! Il était temps que tu réagisses enfin.

-Je sais.

Je la fixai, stupéfaite par la justesse de ses paroles. Elle me sourit mélancoliquement puis tourna les talons sans ajouter un mot.

En fait, elle avait tout dit.

Le "fantôme" de Salomé était encore parmi nous. Il n'y avait pas que moi qui pensais à toutes ces longues années difficiles. De plus, elle avait vu juste. Eléah me traitait de plus en plus mal, comme elle avait maltraité mon amie d'enfance.

Je devais réagir pour ma survie.

J'en avais assez de souffrir sans broncher. 

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