Chapitre 16 (10 ans)

   L'année de mes 10 ans, j'allais toujours être assise aux côtes d'Eléah en classe. Rien n'allait changer par rapport à l'année précédente. J'étais dans une petite école de village. Même maîtresse, mêmes élèves, même place assise.

Si tout allait bien pour toi, tant mieux mais si ça n'allait pas, c'était tant pis pour toi. Tu n'avais qu'à t'y faire.

Madame Aria était une bonne enseignante, sévère mais efficace. Nos parents l'aimaient beaucoup et lui faisaient confiance. Elle avait fait ses preuves. Par contre, je savais qu'avec moi, cela ne passait pas vraiment. Elle voulait m'endurcir, me mettre dans le moule. Les petites filles trop sensibles, influençables et peureuses comme moi l'insupportaient.

Je crois qu'elle aurait aimé avoir dans sa classe plein de petits clones de son élève préférée, Anaïs.

Anaïs était parfaite aux yeux de madame. Polie, bonne élève, attentive, intelligente et curieuse. Tout le monde l'aimait bien et souhaitait être amie avec elle. Elle était marrante et attachante. Puis, Eléah était arrivée et avait su détrôner tout le monde. Mme Aria l'adorait.

Moi, j'étais plutôt du genre rêveuse, bavarde et lente. Je discernais bien que madame avait régulièrement envie de me secouer comme un prunier. Souvent, je me mettais à pleurer si on me malmenait. Je ne supportais pas d'être victime de moqueries ou d'injustices. Cela m'anéantissait.

Pour cela, madame me sermonnait gentiment en me disant que je pleurais toujours comme une madeleine, que je ne devais pas me mettre dans des états pareils pour des bêtises. Je voyais bien qu'elle perdait patience.

Cette année-là, je décidai dès la rentrée que je ne me laisserais plus faire par Eléah. J'en avais marre. Cela faisait un an qu'elle jouait avec mes sentiments et avec mes nerfs sans aucun scrupule.

Lorsque j'arrivai le matin avec mon tout nouveau cartable sur le dos, je ne savais pas à quelle sauce j'allais être mangée.

Je vis Salomé arriver dans la cour en même temps que moi. Je stoppai net le pas pour la contempler. Je croisai son regard, hésitai à lui parler puis je fis comme si je ne l'avais pas vue. Je ne savais plus quoi lui dire. Nous n'étions plus « meilleures amies » depuis l'arrivée d'Eléah dans notre classe et nous ne passions plus de temps ensemble. Sauf au cours de piano mais nous nous évitions la plupart du temps. Il y avait toujours moyen de faire comme si l'autre n'existait pas. Je trouvais cette situation très triste, mais Salomé ne voulait pas d'Eléah et Eléah ne supportait pas Salomé.

J'avais fait un choix.

Anaïs s'approcha de moi avec un grand sourire. Elle avait encore grandi cet été et elle portait un tout nouvel ensemble acheté spécialement pour la rentrée des classes.Je la trouvai très jolie avec ses longs cheveux bruns et plus mature que l'année passée. Elle portait une toute nouvelle paire de lunettes. Des rondes de couleur beige clair qui lui donnait un air de jeune fille.

-Salut Sloann. Ça s'est bien passé ton été ?

-Oui et toi ?

-Super. Je suis partie à Majorque. Et toi ?

-A Knokke. Mais il a beaucoup plu donc ce n'était pas top.

Anaïs me fixa soudain avec mélancolie.

-Pourquoi tu me regardes comme ça ? demandai-je.

-Cet été, j'ai été invitée à une fête... c'était une fête chez Salomé et ...

-Et quoi?

-C'est dommage que tu n'y étais pas. C'est plus pareil depuis que vous êtes en bagarre toutes les deux.

-Salomé a fait une fête cet été ? Vraiment ?

-Oui.

-Ça m'est complètement égal, lançai-je aussitôt d'une voix étranglée.

Sur ces mots, je tournai les talons pour ne pas montrer ma peine à Anaïs. Salomé avait fait une fête et elle ne m'avait pas invitée. Ce n'était pas une surprise qu'elle ne veuille plus de moi et pourtant, j'eus soudain envie de sangloter.

Notre amitié n'existait plus.

Salomé me manquait, mais comment réparer tout ce que j'avais cassé ? Comment lui dire que je regrettais amèrement ce que je lui avais fait ? Tout était de ma faute, je ne pouvais même pas lui en vouloir pour cette histoire de fête. Je n'étais qu'une idiote.

Je contemplai la cour de récréation et remarquai que plus personne ne venait me parler. J'étais toute seule. Je fixai le sol, malheureuse puis j'entendis quelqu'un me saluer. C'était un garçon de ma classe à qui je ne parlais jamais. Il me sourit et me dit "bonjour" timidement puis il fila rejoindre ses copains. Que me voulait-il ?

Perdue dans mes pensées, je sursautai lorsqu'Eléah posa une main affectueuse sur mon bras.

-Sloann ? ça va ?

-Euh... oui, répondis-je, maussade.

-Faudra qu'on se raconte nos vacances ! C'était bien la mer ?

-Oui et toi ? Tu es partie en Floride comme prévu ?

-Non, mes parents ont dû travailler pendant les congés. Je suis restée avec la nounou et Clothilde à la maison. C'était l'horreur.

-Je suis désolée.

Je perçus de la mélancolie dans sa voix, mais elle me sourit malgré tout, semblant très heureuse de me revoir.

J'avais besoin d'un sourire, n'importe lequel, juste pour me prouver que quelqu'un m'aimait bien dans cette cour de récré. Eléah changea brusquement de sujet. Elle avait remarqué mon nouveau sac à dos et l'admira sans se faire prier.

Le sourire d'Eléah valait tout l'or du monde. 

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