3 - Élu
« Rémi Brevi »
Mon nom résonne inlassablement dans ma tête. Avait-il vraiment été prononcé ? Sûrement pas. L'anxiété me faisait halluciner, je ne...
- Rémi Brevi, mon grand, où es-tu ? minaude Luz Seeker au micro.
Grand, je ne sais pas, mais c'était quand même moi.
Mon souffle se suspend, et un torrent d'émotions se déverse en moi. Là, maintenant, tout de suite, je viens de me rendre compte de l'ampleur de ce qu'étaient les Hunger Games.
S'entraîner. Se battre. Représenter son district...
Mourir.
Je m'extirpe de la rangée, et commence à marcher vers l'estrade machinalement, plongé dans cet état second où l'on se demande si tout cela n'était qu'un rêve. Les gens s'écartent sur mon passage en murmurant. Je n'entend rien, bien trop assourdi par le martèlement de mon cœur dans mes oreilles.
Lorsque les Pacificateurs me repèrent enfin, ils se ressèrent sur moi comme un essain d'abeilles et m'escortent jusqu'à l'estrade.
- Voilà, viens ici, mon...
Luz s'interrompt. Il allait probablement dire "mon grand" une nouvelle fois, mais l'adjectif n'était visiblement pas approprié.
- Hum... Oui, euh, voilà, met-toi là...
Je me place près de Johanna Mason, l'autre tribut. Je ne la regarde pas, bien trop mortifié par mon propre sort.
Mon regard embrasse la foule devant moi. Je vois des centaines d'yeux ébahis se lever, alors que les miens menaçent de déborder de larmes.
Il y a ma famille, tout au fond. Je ne distingue pas clairement leur expression, mais je reconnais , les cheveux blonds de mon frère, appuyé contre l'épaule massive de mon père. J'aimerai tellement courir vers eux, retourner pêcher avec insouciance avec Thomas ! Ces désirs étaient diamétralement opposés au futur qui s'offre à moi à présent.
Luz Seeker s'avance devant le podium, un sourire éclatant aux lèvres. On aurait dit que c'était le jour de son anniversaire, et qu'il s'apprêtait à l'annoncer à l'ensemble de Panem.
- Et voici les tributs du district 7 ! hurle-t-il dans le micro en nous désignant d'un geste théâtral.
Un silence de mort s'abat sur la foule.
Luz laisse échapper un rire nerveux, qui a le don d'électrifier un peu plus l'atmosphère. Il s'avance vers Johanna, et pose une main trop affectueuse sur son épaule.
- Nos tributs veulent sûrement dire un mot ! Johanna, êtes-vous heureuse de représenter le district 7 cette année ?
Je la détaille pour la première fois du regard. Elle a soit le même âge, soit un an de plus que moi. Elle est grande, et massive comme un tronc d'arbre, tout en conservant une grâce sauvage. Son corps est façonné pour manier la hache, et elle devait probablement tailler le bois depuis toute petite. Elle possède de grands yeux bruns, de la même couleur que la terre, un nez poitu et des cheveux mi-long, raides, qui cascadent sur ses épaules en épis, exactement comme les aiguilles d'un pin.
Elle représente parfaitement le district 7, et elle a toutes ses chances... je songe, sans m'attarder sur l'arrière pensée que je n'avais aucun de ses atouts.
Johanna s'approche du micro... Et éclate en sanglots.
Ah, non, peut-être pas.
Génial... J'imagine ce que doit se dire Luz : un nain et une pleurnicheuse pour le district 7. Quelle chance !
Je contemple mes pieds, alors que Johanna continue de pleurer en gémissant des « s'il vous plaît », «pas moi» entre deux hoquets.
Luz la fait reculer doucement, éloignant les plaintes du micro tandis Johanna poursuit ses lamentations derrière lui. J'évite son regard larmoyant.
Luz Seeker se tourne vers moi, une mince lueur d'espoir au fond des prunelles.
- Tu veux dire quelque chose ?
Je hoche la tête lentement. Mes pensées sont embrumées, peut-être par toutes les larmes que j'empêche de laisser couler.
Je m'avance sur le micro, mais je suis si petit que je dois me mettre sur la pointe des pieds et tendre le cou pour que le bout de mes lèvres touche l'appareil.
Il y a un petit silence, durant lequel les souvenirs de mon district défilent dans ma tête. Je me rend compte alors à quel point je l'aimais, tout entier, de ses arbres, au lac, à ses habitants...
- Je...
Ma voix résonne, un peu rauque.
- Je ne suis sûrement pas celui que vous espériez, je déclare. Et peut-être qu'elle non plus. Mais, laissez-moi vous dire que, même si nous n'avons pas de vainqueur cette année, nous restons victorieux, ici. Chaque arbre abattu, chaque famine traversée ou chaque tribut... mort, témoigne de notre force et notre courage au quotidien. Ce n'est pas l'honneur du district qui se joue aux Hunger Games, c'est juste une épreuve de plus, dont on se remettra, encore et encore. Nous sommes le district 7, aussi robustes et déterminé que les arbres que nous taillons . Eux, ils repoussent, et nous, on persiste.
Je me tais, je sens que ma voix s'enroue. Je dois être ridicule.
- Nous ferons de notre mieux, murmurai-je.
Je m'écarte et contemple le sol. Une larme s'y écrase et forme un petit cercle humide sur le bois, qui brille, brille tant et si bien qu'une autre goutte d'eau dévale ma joue.
- Eh bien, joyeux Hunger Games et puisse le sort vous être favorable ! lance Seeker au milieu de ce silence pesant.
***
Mes mains tremblent. Je me mords une nouvelle fois la lèvre. Si je continue, je ne pourrais même plus manger tant je les aurais abîmées.
La petite pièce à peine meublée dans laquelle les tributs ont le droit d'adresser leurs adieux à leur famille me fait l'effet d'une prison. J'étouffe, mes poumons me brûlent et mon pouls bat violemment dans mes tempes.
Soudain, la porte s'ouvre dans un grincement sonore. C'est mon père, le visage rongé par l'inquiétude, qui entre en premier, suivit de Thomas, qui se jette aussitôt dans mes bras.
Je le serre contre moi, respirant son odeur, un mélange de sueur et de résine de pin. Mes bras refusent de se décrocher de lui, aggripant sa chemise humide de transpiration. J'ai l'impression que je tomberai très bas si je reculais, dans un abysse obscur et sans fond.
- J'ai été tellement heureux de pêcher avec toi une dernière fois, ce matin, je lui murmure, alors que mes doigts s'enfonçent dans son dos, où je sens ses côtes saillir.
Il s'écarte de moi, les yeux brillants de larmes. Il renifle.
- Tu as été choisi !
Je grimace.
- Ouais.
Mon père me donne une étreinte lui aussi, rapide, comme un coup de hache qui me frappe d'une lourde affection. Je chancèle sous le poids d'un amour qu'il n'a jamais pensé à me donner, mais qu'il ne veut pas laisser mourir durant mon absence.
- Tu seras fort, mon fils. Tu l'as toujours été.
Je hoche la tête, la gorge nouée. Il ne m'avait jamais dit quelque chose d'aussi gentil.
Mélane me contemple alors, les yeux sombres, alors que ses cheveux d'or brillent, même sans soleil. Un silence s'installe. J'hésite à venir vers elle, à faire mes adieux, mais c'est elle, à ma grande surprise, qui se penche vers moi et me prend dans les bras. Doucement. Plus gentiment que si j'étais un nourrisson.
- C'était très beau ce que tu as dit tout à l'heure, le Gnome, souffle-t-elle.
Pour la première fois, mon surnom n'a pas une connotation péjorative. C'était presque affectif. J'enfoui mon visage dans ses cheveux doux comme le miel, un sourire ému étirant mes lèvres.
Les adieux sont déchirants, à la fois trop courts et trop longs, émouvants , mais précipités pour être marquants. Ils laissent un souvenir trouble dans mon esprit.
Des adieux, oui. Pas des "au revoir". Nous savions tous très bien que je ne reviendrai jamais vivant au district 7.
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