2 - La Moisson
Il n'y a pas eu un seul poisson qui ai voulu mordre à l'hameçon, ce matin-là. Nos appas n'étaient peut-être pas assez gras.
Tous penauds, Thomas et moi sommes rentrés, notre seau vide de nourriture. Papa allait probablement être déçu, mais il ne nous en voudrait pas. On mangera des châtaignes, ce soir, mais c'était quand même moins nourrissant qu'une belle carpe grillée.
Lorsque nous parvenons à la maison, Mélane était assise sur le palier, occupée à éplucher des châtaignes dans un bol. Ses longs cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules.
– Salut, sœurette ! lance Thomas avec enthousiasme.
– Coucou, tu as trouvé du poisson ? répond-elle en m'ignorant superbement.
Mélane est très douée pour ça. Parfois, j'ai presque l'impression de ne pas exister.
– Aucun. Ce n'est pas la saison.
Je décide de lui adresser la parole, au moins pour tenter de lui rappeler que je n'étais pas invisible :
– Tu veux que je t'aide avec les châtaignes ?
Elle ne me regarde même pas. Inutile de dire que nous nous détestions. Depuis tout petit, elle semblait m'en vouloir de quelque chose. Peut être de ma taille, qui nous faisait honte, ou bien parce que notre mère était morte en couche, comme si je lui avais volé la vie. Sûrement les deux. Pour elle, j'étais probablement le monstre qui lui avait enlevé une maman.
– Non, merci, le gnome.
– Ne l'appelle pas comme ça, intervient Thomas en fonçant les sourcils.
Mélane hausse les épaules, enlève la coque de la dernière châtaigne, empoigne le bol et se met debout. Ses jambes sont belles, longues et interminables. Elle est grande, presque autant que Thomas.
– Tu ferais mieux de te préparer pour la Moisson, c'est dans une heure. Le temps que tu arrive à attraper les vêtements de cérémonies en haut de l'armoire, on sera peut-être même en retard.
Je grimace. Les " vêtements de cérémonie" sont les plus jolis que nous ayons. Ils sont simples, mais propres, contrairement à tous les autres. Nous ne les portons que le jour de la Moisson.
– Je vais t'aider, me propose Thomas.
Alors que Mélane renifle, mon frère se dirige vers l'armoire miteuse du salon. Il l'ouvre, m'attrape mes vêtements de la Moisson à la dernière étagère et me les tend avec un sourire.
- Tiens.
- Merci.
Je les prends, et file dans la salle de bain, un sentiment amer m'étreignant le cœur.
J'entre facilement dans mes vêtements de cérémonie, car je n'ai pas pris un millimètre depuis l'année dernière.
***
À chaque fois que je vois tout le district 7 rassemblé sur la grande place où l'on procède à la Moisson, j'en ai le souffle coupé.
Nous sommes si nombreux !
Jeunes, vieux, bûcherons et apprentis, nous sommes tous là, réunis afin de savoir qui représentera notre district pour les soixante et onzième Hunger Games annuels.
Thomas, Mélane, mon père tout juste revenu de la forêt et moi nous faufilons dans la foule. Un pacificateur s'approche de nous. Il avait l'air profondément ennuyé dans sa tenue d'une blancheur immaculée.
- Vous êtes là pour la Moisson ? demande-t-il platement.
Évidemment. Question stupide.
Mon père acquiesce tout en caressant son menton proéminent. Il me désigne.
- Il a 16 ans.
Le pacificateur baisse les yeux vers moi, et hausse les sourcils. Il ne m'avais même pas remarqué, et je lui sourit ironiquement. Je n'aime pas les pacificateurs : ils se prennent pour des dieux paradant au milieu du peuple miséreux que nous sommes.
- 16 ans ? Il faut qu'il aille sur la file de droite, là-bas. Dépêchez-vous, ça ne va pas tarder à commencer !
Il me jette un dernier regard surpris, avant de s'éloigner vers une autre famille. Mon père me prend dans ses bras massifs. Je ne m'y attendais pas et le serre moi aussi, ému.
- Courage, me murmure-t-il.
Il s'écarte, me souris un peu tristement. Thomas m'embrasse lui aussi avec tendresse. J'enregistre les moindre détails de la scène, exactement comme si c'était la dernière fois que je les voyais.
Non. Je ne serai pas choisi, je me fustige.
- À tout à l'heure, Rémi, me dit-il. Si tu tout va bien, on retourne au lac cette après-midi, hein ?
Je lâche un rire nerveux et me tourne vers ma sœur, au moins pour lui sourire, mais elle recule d'un pas en levant les yeux au ciel.
Tant pis.
Je me détourne à contrecœur de ma famille, et me dirige vers les files d'adolescents à l'opposé de la place. Des pacificateur s'empressent de nous ranger et je me retrouve bientôt coincé entre deux garçons de mon âge deux fois plus grands que moi qui me lancent de drôles de regards.
Je me mord la lèvre. J'ai beau tendre le cou, je ne vois rien, à part le dos immense de la personne devant moi.
Je me déplace un peu sur le côté puis arrive à apercevoir l'un des écrans géants surplombant l'estrade construite pour l'occasion. Soudain, celui-ci s'illumine. Le visage souriant de Luz Seeker, tout droit venu du capitole pour le district 7, apparaît. Il est relativement jeune, mis à part des pâtes d'oie au coin de ses yeux. Il a un sourire parfait et éclatant, des cheveux argentés relevés en brosse, des yeux bleus électriques une rangée de boucles d'oreilles en métal à l'oreille droite. Vêtu d'un pourpoint aussi clair que ses cheveux, il est une figure parfaite de l'idée qu'on se faisait du Capitole.
- Bienvenu, bienvenu au soixante et onzième Hunger Games ! commence-t-il avec enthousiasme à travers le micro de l'estrade. Comment allez-vous, cher district 7 ?
Un silence de mort s'abat sur l'assemblée.
- J'en conclu que vous avez hâte de savoir qui aura l'honneur de représenter le district 7 cette année ! poursuit-il, nullement perturbé.
Petit discours sur l'importance des Hunger Games. La paix à Panem. Le contrôle du Capitole. Le funeste destin du district 13.
Je n'écoute pas vraiment, trop occupé à me mordre la lèvre anxieusement. Je sais qu'il n'y a pratiquement aucune chance que je sois choisi, mais l'éventualité reste là, possible, effrayante.
Enfin, Luz Seeker déclare :
- Bien, procédons maintenant à la Moisson !
Il se dirige avec entrain vers l'une des urnes remplie de petits papiers anonymes de l'estrade.
- Tout d'abord, le tribut féminin ! Un peu de galanterie, tout de même ! annonce joyeusement Luz.
Il fouille de la main dans l'urne, choisissant un papier, le reposant, en prenant un autre... Il en retire enfin un, le déplit avec une lenteur délibéré, lit le nom...
- Johanna Mason ! chantonne Luz.
L'assemblée reste immobile et silencieuse, le temps comme suspendu. Une femme éclate en sanglot, probablement la mère du tribut.
Coincé dans ma rangée, je ne vois pas ce qu'il se passe, mais un mouvement de foule indique que l'on s'écarte, probablement pour laisser passer la personne choisie. J'en ai mal au cœur pour l'intéressée.
- Viens, viens, voilà, met-toi là, indique Luz à Johanna Mason.
Il eut un silence, et le visage du tribut féminin n'apparaît pas sur l'écran.
- Maintenant, passons au tribut mâle !
Je mord si fort l'intérieur de la joue par anxiété que j'en saigne. Ce ne sera pas moi, ce ne sera pas moi !
Le micro laisse entendre le bruissement des petits papiers que remue Luz Seeker. Puis un silence, éternel.
Pas moi !
- Rémi Brevi !
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