Chapitre 6 : Janvier 2022

Ça ne fait qu'un mois. Je voudrais vraiment accélérer le temps pour que tout cesse d'être aussi lourd. Même dans la chambre que je partage avec ma soeur il règne une froideur qui n'a jamais eu lieu. Je ne veux pas qu'elle pense que j'ai fait ça parce que je ne l'aime pas et je ne veux pas qu'elle sache pourquoi j'ai fait ça. 

C'est la nuit, je me réveille d'un cauchemar pour en rejoindre un autre. Le soulagement à l'idée que l'horreur soit irréelle est vite remplacé par le souvenir qu'elle ne l'est pas. J'essaye de ne pas trop y penser, de me concentrer seulement sur la jolie nuit qui a dessiné un nouveau paysage derrière la fenêtre. Un lampadaire brille au loin. La lumière du ciel ressort bleutée dans le noir de la chambre. La nuit m'apaise un peu, mais tout ne tarde pas à remonter et je sens des larmes couler très lentement sur mes joues. Je suis en colère contre moi même, je suis empli∙e de culpabilité. 

J'ai brisé ma famille en faisant ça. J'ai essayé de me tuer et finalement ce sont elleux que j'ai tué. Je me déteste encore plus maintenant... Alors si je leurs disais pourquoi j'ai fait ça, maintenant, je crois que je les briserai encore plus. 

Je ne crois pas qu'iels soient transphobes. Je ne les ai jamais entendu en parler. Je ne crois pas qu'iels aient un avis sur la question. Je ne suis peu être pas obligé∙e de leurs dire ? Mais le problème, c'est que plus le temps passe, et moins je supporte l'idée d'être une fille. Je n'aime pas le "elle", je n'aime pas le "mademoiselle"... Et j'aime de plus en plus le "il". Et je ne crois pas que ce soit une phase. 

Ma sexualité, je n'étais pas obligé∙e de leurs dire. Le destin à fait qu'il l'ont appris malgré tout, mais j'aurais pus le cacher encore un moment si je l'avais vraiment voulu. La vie a fait que ma soeur a croisé Fatima, que Fatima le lui a dit, et que ma soeur n'a pas songé une seconde qu'elle n'avait pas le droit de le répéter. Le soir, mes parents savaient. Mais iels n'ont pas mal réagit. Je sais qu'iels ont pensé que ça devait être une phase, c'est surement pour ça qu'iels n'ont pas dit grand chose. 

Et je sais que si je leurs dit pour ma non-binarité, iels penseront la même chose. "Juste une phase." Mais je dois le leurs dire, pourtant... Ça, j'y suis forcé. Je ne peux pas attendre encore des années jusqu'à avoir quitté l'appartement pour vivre comme je le veux. C'est parce que je me suis cachée et que je vivais dans cette peur constante d'être découvert et rejeté que j'ai fait cette grosse bêtise qui leurs a fait du mal. Et ça va recommencer si tout redeviens trop pensant. 

Mais je n'ai pas envie qu'iels pensent que je suis une autre personne parce que je ne suis pas une fille. Que je ne suis pas leur enfant parce que je ne suis pas une fille. Pire, que ce genre est une phase, une fantaisie, ou qu'il n'existe pas. Je sais que beaucoup pensent qu'on existe pas. 

J'ai peur qu'on ne me croient pas, parce que quand j'étais petite, j'étais la féminité incarnée. Les personnes trans ne sont-elles pas censé∙es le savoir depuis toujours ? Si je ne le sais pas depuis toujours, je ne suis peut-être pas légitime ? Et puis, peut-être que je me trompe, tout simplement ? C'est juste un délire. J'ai déjà des maladies mentales, après tout, les maladies mentales arrivent par tas dans les cerveaux. Mes troubles alimentaires et ma dépression en auront seulement appelé une troisième... Et s'iels essayaient de me soigner ? 

Mon sang se glace. Je change de coté sur mon lit et me tord dans les draps. J'observe la silhouette de ma soeur qui dort n'importe comment sur le dos. Ses bras sont partout autour de sa tête et ses pieds dépassent de sa couette. La nuit est le seul moment où elle libère ses longs cheveux si bien qu'ils couvrent presque tout l'oreiller. Des rais de lumières se projettent sur sa peau noire. Je me rends compte que son souffle est irrégulier. Elle ne dort pas. 

« Lu' ? » 

J'ai chuchoté le plus bas possible pour n'obtenir qu'il bref filet d'expiration car je ne sais pas encore si je souhaite qu'elle m'ait entendu ou non. 

Le silence de la nuit devait être trop profond pour ne pas faire résonner mon interpellation. Elle ouvre les yeux. 

« Oui ? 

- Je peux te parler de quelque chose ? »

Aussitôt, sans m'en vouloir le moins du monde de l'avoir éveillée, elle regroupe ses membres étalés sur le lit et s'assieds en tailleurs dans sa couette pour me faire face. Je l'imite. Heureusement elle semble comprendre que je souhaite rester dans le noir. Ce sera plus facile si je ne la vois pas comme en plein jour. Ça aura l'air moins réel. 

« Tu sais ce que c'est, les personnes non-binaires ? »

Il y a un silence durant lequel mon coeur s'arrête de battre. Je regroupe mes genoux pour les placer sur mon ventre et les serre fort. 

« Vaguement. Elle finit par dire sans cesser de me regarder. Au moins elle ne conteste pas encore, elle m'invite à continuer. 

- Ce sont des personnes qui ne sont ni des filles, ni des garçons. 

Cette fois je la vois froncer les sourcils pour fouiller dans son esprit une explication. Elle ne l'as pas. 

- Tu veux dire comme les escargots ? 

Le stress me fait pouffer de rire. 

- Non, je te parle pas des intersexes. Les intersexes ce sont des personnes qui possèdent des attributs physiquement des deux sexes masculins et féminins... moi je te parle pas de sexe. Je te parle de genre, c'est plutôt quelque chose de mental. Tu vois ce que c'est, un garçon trans, par exemple ? 

- Une fille qui devient un garçon ? 

Elle est perdue, la pauvre, je grimace à la tournure maladroite mais j'approuve avant de continuer. 

- Une personne qui a été assigné∙e fille mais qui est un garçon, je corrige. Hé bien les personnes non-binaires ce sont des personnes qui ne sont ni des filles ni des garçons... iels "deviennent neutres" si ça t'aide mieux à comprendre. 

- Ok... » dit-elle. 

Il y a encore du silence durant lequel elle aussi doit entendre mon coeur tambouriner contre ma cage thoracique. 

« C'est ton cas ? »

Je baisse la tête. Je l'agite de haut en bas. 

« Donc... elle re-tente, tu es non-binaire... Et, ça veux dire quoi concrètement. Tu veux faire des chirurgies et prendre des hormones ou des trucs comme ça ? 

- Eu... non, pas tellement. Enfin, peut être plus tard, je sais pas, mais en fait pour l'instant j'aimerai plutôt juste qu'on arrête de dire"elle" pour parler de moi. 

- Ok... et du coup, je dois dire quoi ? "Il" ? 

- Oui, "il"... ou "iel" si tu y arrives, mais "il" m'ira très bien.

- Ha, ça sert à ça, ce "iel"! Et... on s'en sert comment ? 

- À l'oral, je vais pas te mentir, c'est un vrai bordel... À l'écrit t'as juste à mettre des points médians. »

Il y a de nouveau un vide dans cette conversation. Je me rends compte que finalement, je l'ai dit. Lu' se lève et s'approche de moi en s'asseyant à mes cotés, elle me fait un petit sourire. 

« Ça va ? C'est pas trop dur à accepter et tout ? 

Elle me prends la main. 

- Si ça peut te faire du bien, si ça peut faire que je ne te retrouve jamais dans l'état où je t'ai retrouvé il y a un mois alors je l'accepte sans hésiter. Je te le dis jamais mais je t'aime, tu sais, alors que tu sois un frère ou une soeur ça n'a aucune importance... 

- "Adelphe". Je dis en souriant. C'est le mot neutre pour "frère" ou "soeur". 

- Ok, maon p'tit∙e adelphe. » Elle rigole.

« Je suppose que tu veux aussi changer de prénom ? » Elle demande. 

Et je ne sais pas quoi lui répondre parce que, ça, je n'y ai pas encore réfléchi.

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