Chapitre 1 : Décembre 2021

Tw : tentative de suicide (implicite), nourriture

Elle me regarde pour la première fois. D'habitude, elle se contente de me voir.

Elle est mon ainée d'un an. Ses cheveux longs sont noués en une tresse sage, elle porte un pull et un pantalon de femme, comme maman, alors qu'elle n'a que dix-neuf ans. Elle a maquillé son visage de façon naturelle parce que ma famille pense que le maquillage est vulgaire. Et elle me regarde.

Je suis son adelphe, qu'elle considère comme la moitié d'elle-même (dit-elle). Mes cheveux courts sont en bataille, je porte un sweat à capuche et un jogging, en tailleur sur le lit aux draps blancs. J'ai enlevé mes lunettes et je ne vois plus les détails, mais je sais que j'avais vraiment l'air fatigué∙e, ce matin, dans le miroir de cette salle de bain. Mon visage n'est pas maquillé, pas parce que je trouve le maquillage vulgaire, mais parce que j'ai acquis malgré moi en dix-huit ans d'éducation que, le maquillage, c'est pour les filles. Et que je ne suis pas une fille. Je baisse les yeux.

Elle n'as pas besoin de me poser ses questions pour que je les entende. Tout le monde me les pose depuis une semaine, déjà. Mais elle surenchérit :

« Pourquoi tu as fait ça ? » me demande-t-elle, et j'ai l'impression d'entendre le refrain d'une chanson trop écoutée.

Elle pense surement qu'à elle je peux le dire. Qu'elle est celle que je ne vois pas comme une ennemie, parce qu'on est proche. À un an près, on étaient jumeaux∙elles.

Mais c'est justement pour ça que je refuse de lui dire la vérité.

« Tu sais que je peux tout entendre, je ne te jugerai pas. »

Elle ment.

En fait, peut-être qu'elle ne ment pas. Je ne pense pas qu'elle le fasse exprès, ce n'est donc pas vraiment un mensonge. Mais elle ne dit pas la vérité, dans tout les cas.

Ses yeux noirs se plantent dans les miens, elle me fait un sourire qui se veut rassurant. Elle veut me prendre la main. Elle s'arrête. Je vois un souvenir douloureux passer dans ses yeux. Douloureux pour elle, heureux pour moi. La seconde, il y a une semaine, où j'ai cru que j'étais libre avant qu'on ne me ressuscite contre mon gré.

Maintenant c'est moi qui ment. Je n'ai jamais voulu mourir, je voulais seulement qu'on m'aide. Mais maintenant que tout le monde est à l'écoute les mots refusent de sortir. Je sais très bien ce qui se passera si je leur dit et c'est pour ça que j'ai fait ce que j'ai fait. Pour que personne ne le sache jamais. Je ne voulais pas qu'iels sachent et je ne voulais pas continuer à vivre comme ça. J'étais dans une impasse, alors je me suis inventé une porte de sortie. Et maintenant je suis de retour dans l'impasse. Je voulais seulement que ça s'arrête... Et je sais quoi faire pour mais je sais aussi que je ne peux pas le dire.

Elle me jugera. Elle aura peut-être la décence de jouer la comédie, mais elle ne pourra pas me berner. Même avec toute la fausse tolérance du monde elle se trahira, si ce n'est pas par un lapsus ce sera à l'aide un acte manqué ou une rumeur.

Elle l'a fait quand elle m'a vu∙e avec Fatima pour la première fois. Elle le refera.

Elle s'écarte lentement de moi alors que la porte de la chambre s'ouvre pour laisser apparaitre ma mère, suivie d'une infirmière portant un plateau repas en plastique et le posant sur une petite table prévue à cet effet. Il y a un carré arrondit aux angles remplis de carottes râpées, une assiettes aux bords oranges contenant des petits-pois, de la purée et un morceau de viande. Je ne mange pas de viande. Évidement, personne ne les a prévenu∙es.

Ma mère fait claquer ses talons sur le sol, elle s'assieds sur la chaise à coté de ma soeur, me regarde. Ce sont elles qui ressemblent à des soeurs. Soupir. Elle a des cheveux lisses étincelant comme de l'onyx, des lunettes sévères, l'air de sortir de la réunion importante d'une banque alors que l'endroit où elle travaille ne lui a jamais fait gravir un échelon en douze ans. Elle est belle, ma mère. Elle sort de son sac un labello pour s'en passer une couche sur les lèvres. Ma soeur me gratifie d'un sourire après avoir imité notre génitrice. Elle, reste de marbre.

« Tu vas pouvoir rentrer à la maison à partir de jeudi, et... tu iras voir un psychiatre. »

Elle ne peut pas savoir comme je suis soulagé. Elle me donne sans le savoir enfin la clé pour sortir de l'endroit où je suis piégé∙e. Un∙e psychiatre, je ne sais pas si je pourrai lui raconter à ellui aussi, mais si j'y arrivai ce serait la libération, le bol d'air après la noyade... Je visualise une femme, plutôt jeune, qui me comprendrait. Les femmes sont souvent plus tolérantes... Merlin, j'en reviens pas que même moi j'aie acquis ce stéréotype sexiste.

« Comment tu te sens ? » s'enquiert maman.

Je me sens submergée de honte pour ce que j'ai fait. Le mal que j'ai dû leurs faire, la peur que j'ai du leurs apporter. J'essaye d'imaginer qu'on est des années plus tard et qu'iels commencent à l'oublier, mais un regard de ma soeur me ramène sur Terre. J'imagine ce que je ressentirais si je la trouvais comme elle m'a trouvé.

Je crois qu'on morceau de moi se briserait, que je voudrais que ce soit un rêve pour pouvoir me réveiller, que ça me rendrait malade d'avoir perdu quelqu'un et de ne jamais pouvoir le retrouver. Je crois que je n'arriverais plus à manger, dormir, et surtout plus jamais à rire. Je crois que j'aurais envie de la suivre.

« Je suis désolé∙e.»

Elles, entendent « désolée ».

Les larmes me montent aux yeux. Je détourne la tête pour ne pas les regarder et pour imaginer que je suis ailleurs ou bien que je remonte le temps à il y a une semaine, quand le secret n'était pas menacé. Ou alors il y a des mois, quand il était un secret pour tout le monde.

Je vous jure que parfois j'aimerais ne jamais l'avoir su, moi aussi. Mais je sais que ce que j'aimerais surtout, c'est qu'il n'ait pas besoin d'être un secret. 

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