9 : Désenchantement

Alors que je le fixe comme pour imprimer ses traits dans mon esprit, une chose que je m'efforce de faire chaque fois qu'il est dans les parages, comme si c'était la dernière fois que je le voyais, je me penche puis place mes doigts sur son menton pour finalement plaquer ma bouche contre la sienne. C'est la première fois que je n'y mets pas de la force, que j'apprécie vraiment ce moment à deux, que je caresse volontairement ses lèvres des miennes, que je demande la permission pour approfondir ce baiser. La sensation de sa langue contre la mienne est tellement plus puissante que le simple fait de toucher sa peau.

Ces effusions me montent à la tête, ma température corporelle atteint son paroxysme et mon désir devient de plus en plus pressant. Je pose ma main sur sa cuisse dans un geste possessif, l'esprit enfumé par cette excitation grandissante. J'oublie tout ce qui m'entoure, même la musique, je perds toute rationalité et toute notion d'espace. Je n'arrive plus à penser ni à réfléchir. La seule chose à laquelle je pense c'est cette chose qui monte en moi, ce besoin irrationnel de l'avoir plus près de moi.

La magie disparait quand il me repousse encore une fois. Nous sommes essoufflés mais j'en veux plus.

- Je ne veux pas de ça.

- Quoi ?

Je fronce les sourcils, dans l'incompréhension la plus totale. Victor se lève sans me donner la moindre explication et je commence à me demander s'il a vraiment envie d'être avec moi. Mon cerveau se met à imaginer tout un tas de scénario, comme si je faisais l'ensemble de mes cauchemars, réveillé.

- Ce n'est pas que je ne veux pas de toi, je veux pas qu'on aille trop vite.

J'ouvre les yeux sans grande conviction, mon esprit en ébullition, sortie de toute rationalité. Je n'arrive pas à croire que c'est juste ça. Je peux le comprendre, il est totalement novice et je ne suis pas la meilleure personne pour ses premières fois.

- Je vais prendre l'air.

Je ne bouge pas mais le regarde traverser la salle et disparaitre dans la masse. Je pose mes mains sur le haut ma tête comme si ça allait m'aider et je dévisage le carrelage comme s'il avait les réponses. Un râle sonore sort de ma gorge quand je sens la colère contre moi-même s'approcher de mon cœur.

Comment est-ce que je peux faire pour qu'on puisse enfin se comprendre sans que l'un ou l'autre pense l'inverse ? Comment lui faire comprendre que je veux m'engager et qu'en même temps je ne suis pas encore prêt à faire mon entré dans le monde des gays ? Je prends peut-être trop les devants, je le surveille trop, je l'étouffe peut-être. Je pensais qu'être avec lui rendrait les choses plus simple, et bien je tombe de très haut.

Ne pouvant plus de ruminer mon calvaire, je me lève d'un bon et sors le rejoindre dehors. J'ai besoin de clarifier les choses avec lui, il faut qu'on arrive à se parler sans se braquer. Je ne le trouve pas derrière les portes et mon angoisse prend une tout autre tournure. Je n'avais pas pensé qu'on pouvait tomber sur quelqu'un qui nous connait. Je m'éloigne un peu des fumeurs quand une voix que je connais retentit.

- Ça, c'est pour Julien.

Je cours vers la source du bruit. La vision d'horreur à laquelle je me confronte me clou un instant sur place jusqu'à ce que ma colère se réveille.

- Hé !

Louis se retourne vers moi et en devient pâle. Je l'avais prévenu mais vu la tête qu'il fait après le violent coup de poing que je lui mets dans la figure, il a oublié.

- Mais qu'est-ce qu'il te prend ?

Il me prend pour un con ou quoi ?

- Dégage, avant que je ne m'énerve.

Le garçon ne se fait pas prier et par en courant à l'opposé du parking. Je m'accroupie devant Victor, une tâche noirâtre barrant son visage. J'allume la lampe torche de mon portable pour aviser les dégâts.

- Tu as peut-être le nez cassé.

- J'aurais surement plus mal.

J'inspecte un peu plus le bleu violacé qui commence à apparaitre sur l'arrête de son nez qui n'arrête pas de saigner. Lui ne me quitte pas du regard malgré la lumière braquée dans ses yeux. La douceur que j'y lit me parait complètement déplacée à côté de l'énervement dont il a fait preuve juste avant.

D'un coup, il repousse mon portable pour m'embrasser. Je suis surpris par cette élan soudain mais je ne me fais pas prier pour lui rendre. A un détail près, on pourrait dire qu'on est revenu six ans plutôt quand je le protégeais contre les garçons qui se moquait de lui.

- Que me vaut ce plaisir ?

Il me tire la langue avant de s'esclaffé comme un gamin de dix ans.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Tu es couvert de sang.

Je lui lance un regard accusateur mais ça ne semble pas l'empêcher de rire. Je m'essuie comme je peux et l'aide à se relever.

- Je vais t'emmener à l'hôpital.

Il hoche la tête. Je lui demande de m'attendre à la voiture pendant que je vais chercher les clés.

- Votre nez n'est pas cassé.

Je suis soulagé de l'entendre, je pense que j'aurais pu rendre la pareil à Louis si Victor avait été plus amoché.

- Vous aussi, vous êtes blessé ?

Je quitte mon portable des yeux alors que je répondais aux messages de Jules et l'interroge du regard. Elle me désigne mon visage du doigt et je comprends.

- C'est son sang.

- Vous devriez aller vous nettoyez, nous ne sommes pas dans un film d'horreur.

Je m'exécute en entrant dans la salle de bain du couloir. Quand j'avise mon visage, je me rends compte que Victor ne m'a vraiment pas loupé. J'arrache des feuilles du sèche main et les passe sous l'eau pour me débarbouiller. Quand je lave mes mains, j'avise les bleus qui macule mon poing droit.

Quand je retrouve Victor dans le hall, il a un très moche sparadrap sur son nez qui violace a vu d'œil. J'ai mal pour lui.

Pendant le retour en voiture, nous restons très silencieux, et avant qu'il ne sorte de la voiture, je prends sa main et la regarde de sorte d'avoir un dernier contact avant de le laisser rentrer chez lui. De la lumière provenant du salon m'indique que ses parents ne dorment pas, je n'imagine pas le savon qu'ils vont lui mettre.

J'ai enfin pu dormir le reste de cette nuit. Ce n'était pas la meilleure nuit que j'ai passée mais je me réveille reposé. Je me lève quand même en retard car on ne change pas les bonnes habitudes. Je n'arrive pas au rez-de-chaussée que j'entends déjà une discussion bizarre entre mes parents.

- On n'a pas reparlé de samedi soir.

- Il n'y a rien à dire.

Mon père se lève de la table à manger pour rejoindre ma mère dans le couloir. Je descends discrètement pour les écouter.

- Tu te fous de moi ? Hugo déteste tout ce que représente Victor, jamais il n'aurait accepté de faire des excuses à l'autre tapette.

Ma mère se retourne vers lui, la main sur la poignée de la salle de bain.

- C'est quoi ton problème ? Hugo a le droit d'avoir envie de changer. On n'a pas tous les mêmes idées reçues que toi.

Elle entre dans la pièce du font et mon père la suit. Je me rapproche de la salle d'eau. Dans l'entrebâillement, je vois ma mère se maquiller, mon père est assis sur le bord de la baignoire.

- Je suis persuadé que tu l'as mis dans l'embarra sans compter ton comportement vis-à-vis de Lucas. Nan mais on ne va pas s'excuser pour une erreur de Victor. Ce n'est pas notre faute s'il n'assume même pas d'être... d'être une pédale. Ce n'est pas de notre faute s'il n'est pas capable de porter ses couilles.

- Tu as vu comment tu parles ?!

Mon père affiche un sourire un coin qui fait lever les yeux au ciel de ma mère.

- Je n'y peux rien si ce n'est pas un vrai mec. Quel affront pour ces parents. T'imagine d'avoir un fils gay et surtout de l'apprendre à un dîner de la bouche d'un autre.

Je sais maintenant que mon père ne fait pas seulement qu'en rire, il pense vraiment qu'il s'agit d'une honte d'avoir un enfant gay. Ma mère acquiesce et reprends son rituel. Je ne sais pas si elle fait cela seulement pour faire plaisir à mon père ou si elle le pense vraiment. Je sais maintenant que je ne peux pas dire la vérité à mes parents, je ne ferais que devenir un problème pour eux.

Une boule se forme dans ma gorge quand je repense à tous ce qui s'est passé avec Victor depuis vendredi soir. Je n'aurais jamais dû essayer de renouer le contact avec lui. Je ne fais que nous détruire encore plus.

En regardant la montre à mon poignet, je me rends compte que quoi que je fasse, je serais en retard alors autant prendre mon temps. Je m'assoie devant mon petit déjeuné et mange mes céréales en silence. Tom, le chat que je partage avec Victor depuis huit à dix ans, saute sur mes genoux et tente d'attraper mes céréales. Ce chat est pire que nous deux réunis quand il s'agit des céréales que nous affectionnons tous les deux.

J'arrive au lycée à dix heures et tombe sur le pion qui m'a collé pour mes retards. J'en reprends une pour le fun mais je m'en contre fiche. Je rejoins Jules entre deux de nos cours et quand il avise mon visage, il range son portable et fronce les sourcils.

- Je pensais que tu serais plus heureux que ça après le week-end que tu viens de passer.

- Mes parents viennent de bousiller encore un peu plus mon rêve d'idylle. Je ne sais plus comment faire, je ne sais même plus si ça vaut le coup que je tente le coup avec Victor, j'ai peur de le faire plus souffrir qu'autre chose.

Jules secoue la tête en entrant dans la salle de cours. Une fois assis, il se tourne encore une fois vers moi pour me faire la leçon.

- Je crois qu'il va falloir que tu te mettes un jour dans le crâne que ton bonheur passe avant celui des autres. Si tes heureux avec lui, ne laisse pas ton frère et tes parents tous gâcher.

Le professeur demande le silence et je rumine les paroles de Jules pendant toute l'heure. C'est la première fois que je l'écoute vraiment et il n'a pas tort. Mais d'un autre côté je risque de gâcher ma vie et dans une autre mesure, la sienne. Quand je pose les yeux sur lui, je me fou de ce que peuvent penser les autres, mais son bonheur restera toujours une priorité à mes yeux. Je ne peux pas l'entrainer dans ma chute.

Pendant le déjeuner, Jules me parle du reste de sa soirée avec Léa. Il est clairement accro à cette fille au point qu'il en oublierait presque les problèmes qu'il a à la maison. Je sais qu'il prend quand même du temps pour avoir un œil sur sa petite sœur, mais cette fille arrive à le ramener à la vie qu'il devrait avoir, celle de l'adolescent normal. Elle commence à remonter dans mon estime.

Je n'ai pas croisé Victor de toute la matinée, je commence à m'inquiéter. Dans un autre sens, il faut vraiment que je commence à lui donner de l'espace, donc je m'efforce de ne pas le suivre dans tout le lycée. Je n'écoute que d'une oreille les histoires de meufs que toutes celles racontent autour de moi, enfin jusqu'à ce qu'une histoire attire mon attention.

- Tu ne sais pas quoi ! Louis a découvert que Victor avait des vus sur un mec du lycée.

- T'es sérieuse ?! Le pauvre mec, imagine que Brisson tente quelque chose !

- Comme quand il avait essayé de t'embrasser Hugo !

- Ouais...

Si elles s'avaient que c'est moi qui l'ai agressé en premier. Louis est un vrai connard, il était tellement énervé contre moi qu'il est allé dire la première connerie qui lui passait par la tête à tout le lycée.

Je regarde dans tous les coins mais je ne le trouve pas. Je n'ai pas le temps de faire un pas, qu'un garçon de notre groupe vient me tenir la discussion et je ne peux pas m'échapper.

Je me force à sourire alors qu'un mauvais pressentiment vient me figer dans ce masque bidon. Je suis persuadé que Victor est en danger et pourtant je ne peux rien faire pour arranger les choses sans me révélé, en tout cas de sorte qu'on croit que j'ai changé d'avis sur les gays.

- T'es qu'un connard !

Je récupère enfin le contrôle de mon corps et me retourne comme un automate vers la source de ce cri de souffrance. Mon sourire s'efface en une fraction de seconde quand je vois de qui il provient. Il est au courant de la rumeur et me croit responsable. Ma main passe machinalement dans mes cheveux. Je peux toujours essayer de me justifier, jamais il ne me croirait, pas dans l'état dans lequel il est.

Je fais un pas vers lui et me retiens de le toucher. C'est une vraie torture de l'avoir juste en face de moi, complètement démunie et au bord des larmes sans avoir le pouvoir de le prendre dans mes bras. Je me tords les doigts pour me retenir et à mon avis, il s'en rend compte.

Je ne pensais pas recevoir un coup de poing en plein visage tellement ça ne lui ressemble pas. Je le vois serrer sa main, il a dû se faire mal. Il a plus de force que ce que j'aurais pu croire et je me trouve obligé d'essayer d'atténuer la douleur. Plus personne ne parle, tout le monde nous regarde dans un silence de plomb. Ils attendent surement que je réagisse. Je vais décevoir tout le monde, même Louis en train de me regarder à l'entrée du couloir, les bras croisés.

- Victor...

- Ta gueule ! Ne m'approche plus, ne me parle plus. T'es qu'un connard !

Il disparait et mes admirateurs commence à parler entre eux de ce qu'il vient de se passer.

- Bah alors, Hugo ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

- Lâche-moi.

Je récupère mon sac sur le sol. Quand je passe devant Louis, son sourire augmente ma colère.

- Tu te ramollie ! Je ne pensais pas que Brisson avait encore de l'importance à tes yeux. Tu me déçois Freigné.

- Tu le touche encore, je te promets que tu finiras à l'hôpital.

Il approche de mon visage, toujours cette expression de vainqueur sur le visage qui commence sérieusement à pomper sur le système.

- Mais je ne l'ai pas touché, par contre je ne sais pas ce que je pourrais dire de toi. Je n'ai pas peur de toi, Hugo. Par contre, toi, tu devrais avoir peur de ce que je pourrais dire.

Ne pouvant plus me retenir, je le plaque contre le mur derrière lui, ma main sous sa gorge.

- Tu ne sais rien, sinon tu n'aurais pas fait courir cette rumeur bidon. Mais ne t'avise pas de me chercher parce que tu risques de me trouver.

Je ne lui inspire pas la peur que je voudrais et ça m'énerve. Je finis par le lâcher et me dirige vers le gymnase pour me défouler.

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