8 : Journée... de Rêve ou de Cauchemar ?

Mon esprit est aussitôt embué par la simple sensation extrême que je ressens dans tout mon corps, qui fait battre mon cœur à la limite de la syncope et qui réveille chacun de mes nerfs. Sa joue contre ma main me semble aussi douce qu'une plume et ses lèvres me font l'effet d'une drogue dont on ne peut pas se passer.

Le bonheur que me procure cette étreinte est très vite entachée par sa poigne sur ma poitrine qui me repousse avec beaucoup de force. Je suis sonné, à la fois par l'extase de cette étreinte et par la violence de son rejet. Je ne pensais pas que ça faisait aussi mal, comme deux mains qui déchireraient mon cœur en deux.

- Mais c'est quoi ton problème ?! Tu règles tous tes conflits en embrassant ton adversaire ?! Mon cœur va littéralement exploser à force de faire le yoyo entre tes sauts d'humeurs !

Ses bras partent dans tous les sens jusqu'à se poser sur le haut de son crâne pour presque lui arracher les cheveux. Je me mets soudainement à sourire, amusé de sa réaction. Je suis heureux de savoir que je ne suis pas le seul à me retrouver entre deux feux et complètement perdu.

- Tu semblais pourtant apprécier...

Il râle en tournant les talons. Tout cela est de plus en plus amusant, le tourner en bourrique va devenir mon passe-temps préféré.

- Je te ferais remarquer, que contrairement à toutes les pouffiasses avec qui tu es sortis, je ne tombe pas à genoux devant tes beaux yeux.

Que des filles prêtes à se damner pour finir dans mes bras et dont je me suis servi pour entretenir ma stupide réputation de bad boy hétérosexuel. Mais j'avoue que c'est bien plus excitant de devoir valoir ma place auprès de lui.

- C'est plus marrant quand on me donne du fil à retordre.

- Vas te faire foutre.

J'éclate de rire en le suivant du regard jusqu'à l'angle de sa maison. Ça ne fait pas spécialement plaisir de plus l'avoir près de moi, de devoir me retenir à ce point. J'ai ce besoin viscéral de l'avoir à côté de moi, de ne plus le lâcher des yeux de peur qu'il ne disparaisse ou qu'il se fasse tabasser.

Dans un élan d'impulsivité, je sors mon portable de ma poche et cherche mon meilleur ami dans ma messagerie.

Hugo, 23h38 : IL FAUT QUE TU TROUVES UNE EXCUSE POUR INVITER VICTOR ET LÉA DEMAIN POUR UNE JOURNÉE ENTRE POTE.

En attendant sa réponse, je décide de ne pas tenter de passer par la haie et de faire le tour pour rejoindre la baie-vitrée. Alors que je la referme discrètement, la lumière s'allume et m'éblouit, laissant apparaitre mon grand frère dans le séjour. Sa persévérance commence à me taper sur le système.

- T'étais où ?

- Tu n'es pas mon père, j'ai aucun compte à te rendre.

Je me dirige vers l'escalier mais je n'avais pas prévu que mon vrai père débarque à ce moment-là.

- Et à moi, tu m'en rends ?

Ma bouche s'ouvre comme pour répondre mais en fait je ne sais même pas ce que je peux dire pour cacher la vérité.

- Je suis sorti fumer.

- Tu mens. Ça ne t'a jamais dérangé de fumer dans ta chambre, je ne vois pas pourquoi aujourd'hui ça changerait.

Je vous en prie, donnez-moi une bonne raison de ne pas étrangler mon frère là, maintenant. Mon père le croit et c'est pour ça que je dois trouver une nouvelle excuse. Il m'énerve à toujours se mêler de ma vie avant de faire le chouchou auprès de nos parents. On a plus huit ans, faut qu'il arrête de leurs lécher les pieds. Ma mère apparait dans le couloir et pose sa main sur l'épaule de mon père.

- C'est de ma faute. Je savais que Lucas ne s'excuserait jamais alors j'ai demandé à Hugo d'aller le faire auprès de Victor, après tout, ils étaient amis avant ça.

Mon père lève les yeux au ciel comme s'il prenait ma mère pour une demeurée.

- Pourquoi s'excuser ? Ce n'est pas de la faute de Lucas si ce garçon n'a jamais eu les couilles de le dire à ses parents. Si t'en est qu'il en ait.

Lucas pouffe de rire et mon père ne tarde pas à rire aussi de sa propre blague. Moi, je ne rigole pas du tout. Je me retiens de me jeter sur mon frère pour lui faire ravaler son rire et qu'il s'étouffe avec. Je me rends compte que plus je balance vers mon homosexualité et moins j'ai de patience avec les gros cons du genre de Louis et Julien, et les connards homophobes du genre de mon père et Lucas. Que des machistes misogynes qui ne pense qu'avec leur sexe.

Ma mère me jette un regard contrit alors que je serre les poings au point de me rentrer les ongles dans les paumes de main. La douleur n'est pas aussi fulgurante que la rage qui émane de mon corps. Au final, elle frappe mon père derrière la tête et ordonne à mon frère d'aller se coucher. J'en fais de même mais frappe dans le mur en béton de ma chambre. Il est clair qu'il va falloir que je retourne à la salle pour extérioriser toute cette colère sans m'exploser les mains.

En sortant mon portable de ma poche pour me débarrasser de mon pantalon, je remarque de Jules m'a répondu.

Jules, 23h42 : QU'EST-CE QUE TU AS EN TÊTE ?

Hugo, 23h59 : IL FAUT QUE JE TROUVE UN MOYEN DE PASSER PLUS DE TEMPS AVEC VICTOR.

Je le mets en veille et finis de me déshabiller. Penser à Victor réussi à me calmer, presque à me détendre.

Jules, 00h02 : IL VA VRAIMENT FALLOIR QUE TU LUI DISES LA VÉRITÉ. TU SAIS QU'IL EST COMPRÉHENSIF. C'EST RÉGLÉ, LÉA N'A PAS MIT LONGTEMPS A RÉPONDRE.

Hugo, 00h06 : CETTE FILLE EST VRAIMENT ACCRO...

Jules, 00h09 : TU NE T'ES PAS VU !

Je souris comme un con avant de le mettre en silencieux pour la nuit. Je suis pressé d'être demain.

Je n'ai pas beaucoup plus dormi cette nuit que celle d'avant, réfléchissant à ce qu'on pourrait faire le jour même. Jules m'envoie un message à neuf heures et demi pour me dire qu'il passe chercher Léa avant de venir chez nous. Une fois dans la voiture, je suis confronté au regard acerbe que me lance Léa.

- Qu'est-ce qu'elle a l'emmerdeuse ?

La question était destinée à Jules mais elle s'empresse de répondre pour elle-même.

- Je te surveille. J'ai aucune envie que tu le fasses encore souffrir.

- Ce n'est pas mon but, gamine.

- Laisse-moi en douter.

Elle croise les bras sur sa poitrine autant pour se protéger que pour me faire affront et ça me fait presque rire. Jules sourit comme un débile, je décide de ne pas lui prêter attention.

- Je vais chercher Victor.

Avant qu'elle ne sorte de la voiture je l'arrête de la main.

- Non. Passe-moi ton portable.

Elle plisse les yeux, méfiante, avant de me le donner sans rechigner. Jules m'interroge du regard et je lui lance un faux sourire. Je l'allume et tombe sur le clavier de déverrouillage. J'aurais dû m'en douter.

- Déverrouille-le.

Elle souffle d'exaspération mais s'exécute. J'appelle aussitôt Victor. Il ne décroche qu'à la quatrième sonnerie.

- Allô ?

Sa voie me semble lointaine. À mon avis, je le réveille, ce n'est pas plus mal.

- Je te laisse dix minutes pour te lever, t'habiller et sortir de ta maison.

Un silence de plomb retentit dans le téléphone et je suppose que son cerveau est en train de se mettre en route.

- Comment t'as eu mon numéro ?

- Je ne l'ai pas, je t'appelle du portable de ton insupportable amie.

Léa me tire la langue et je lui renvoie le même faux sourire que j'ai sorti à Jules tout à l'heure. Un léger rire nerveux sort de sa bouche, puis le silence revient.

- Plus que huit minutes.

Je raccroche et rends son cellulaire à la jeune fille blonde qui me remercie sans grande conviction. Jules me fait les gros yeux mais je l'ignore en regardant le paysage.

La portière s'ouvre quelques minutes plus tard et le garçon d'à côté s'assoie près de sa meilleure amie.

- Tu peux dire à ton copain que je ne suis pas insupportable et qu'il n'a aucune remarque à faire sur mon caractère, vu que le sien est pire que le mien.

Léa est une cafteuse incapable de retenir sa langue, tu m'étonnes que je la trouve insupportable.

- Euh...

Victor dévisage Léa avant de se tourner vers moi à l'avant de la voiture. Jules est mort de rire et concentré sur sa conduite. Je percute finalement sur les paroles de Léa et fronce les sourcils. Cette fille est au courant de tout.

- Tu lui as dit ?

- C'est ma meilleure amie. Et puis je n'ai pas eu à lui dire, elle l'a compris toute seule, bien avant moi. Visiblement, l'autre au sourire stupide, est aussi au courant.

Je me tourne vers Jules qui essaye de reprendre une expression neutre sans y parvenir. C'est vrai qu'il a l'air débile et il m'est difficile de rester impassible. Léa me tire la langue comme tout à l'heure, fier d'avoir eu le dernier mot.

- Qu'est-ce qu'il se passe exactement ? Ou est-ce qu'on va ?

- Ils n'ont pas voulu me le dire.

Elle m'énerve. On dirait qu'on les a kidnappés pour faire je ne sais quoi. Ce n'est pas parce qu'on ne dit rien qu'on va les emmenés dans un endroit désert pour les découper en morceaux. Quoi que, me débarrasser Léa ne serait pas une mauvaise chose.

Jules rigole encore et je me demande s'il n'est pas complètement défoncé pour avoir autant de joie à libérer. On débarque sur le parking d'une zone commerciale remplit de grandes enseignes ainsi que des salles de spectacle et des cinémas. Jules se gare puis nous nous retournons vers eux.

- J'ai deux trois trucs à acheter, vous faites ce que vous voulez pendant ce temps-là. On se retrouve à la voiture dans... (Jules regarde sa montre) une demi-heure. Ça vous va ?

J'acquiesce et Victor se contente d'hausser les épaules. Nous sortons en même temps et Léa engage une discussion avec Jules à laquelle je ne prête pas la moindre intention. Nous nous dirigeons vers le centre commercial visiblement ouvert exceptionnellement pour ce dimanche matin.

- Tu vas faire quoi ?

Victor se tourne enfin vers moi. Je le soupçonne de vouloir m'éviter, je le comprends même si ça ne me fait pas plaisir.

- Espace culturel.

J'aurais dû m'en douter. À quoi bon venir dans une aussi grande galerie pour ne pas profiter de l'une des cavernes d'Ali baba pour les mordus de culture.

- Les livres...

Je lève les yeux au ciel simplement pour paraitre désintéressé et il sourit sincèrement. Chacun ses drogues, lui, c'est les livres, moi, c'est lui. Comme un chien docile ou un garde du corps collant, je le suis à la trace à travers les étalages de livre jusqu'à la section jeune-adulte.

- Tu n'es pas obligé de surveiller, je m'en sortirais tout seul.

- Je ne te surveille pas.

Il plisse les yeux, visiblement il me connait trop bien, mais en même temps, j'ai envie de découvrir son univers, ce qu'il aime et vérifié qu'aucun gros con du lycée ne se trouve dans les parages. Pendant qu'il cherche un peu partout un truc qui pourrait étoffer sa bibliothèque, je reste dans mon coin, les yeux plantés sur l'écran de mon portable. Je ne pensais pas que ce serait aussi chiant de passer ne serait-ce que dix minutes au milieu des livres. Ce n'est vraiment pas mon truc.

- Si tu t'ennui, tu peux aller voir ailleurs.

Je relève les yeux et le dévisage, pas sûr de comprendre ses paroles. J'ai l'impression qu'il essaye de se débarrasser de moi. Je ne pensais pas donner l'impression d'être ennuyé. Je ne suis vraiment pas doué en relation humaine.

- Tu ne m'ennuis pas.

Ce n'étais pas sa question mais en même temps, j'avais besoin de lui dire. Même si on ne vit pas vraiment dans le même monde, j'aime voir à quel point il s'émerveille et se complet à la simple vue d'un livre.

Il semble déstabilisé par ma réponse et ça ne m'étonne pas. Je préfère le laisser croire ce qu'il veut plutôt que de paraitre sentimentale. Il reprend sa recherche en m'ignorant. Il l'a pris mal, ce n'est pas ce que je voulais. C'est une vraie catastrophe dès que j'ouvre la bouche.

Nous finissons par sortir du magasin sans se dire un seul mot, moi les mains dans les poches derrière Victor, plutôt content d'avoir trouvé un livre à son gout. Jules et Léa reviennent dix minutes après nous et je suis content que le silence pesant cesse, même s'il est remplacé par le monologue insupportable de Léa.

- Avec Léa, nous sommes d'accord pour aller voir un film d'action ou fantastique après le déjeuner.

Victor joue la carte de l'indifférence et j'acquiesce pour faire plaisir à Jules même si je me dis que cette sortie n'était finalement pas une bonne idée.

Pendant le déjeuner, j'essaye de prendre part à la discussion mais tout ramène finalement à Jules et Léa. Victor est complètement à l'ouest, je ne suis pas sûr qu'il soit enjoué de passer la journée avec nous.

Ça se voit comme le nez au milieu de la figure que Léa et Jules se cherche, Victor en a peut-être marre de les voir fricoter. C'est à vomir.

En marchant jusqu'au cinéma, je ne les écoute que d'une oreille, perdu dans la contemplation du garçon que j'aime. Même quand il est dans ses pensées, triste ou déboussolé, je le trouve plus beau que n'importe qui dans ce monde.

J'acquiesce au choix que font les deux derniers amoureux, pour nous deux étant donné que Victor semble très loin de nous actuellement. Je le laisse rentrer dans la rangée en premier et il s'assoie entre sa meilleure amie et moi. Plusieurs fois je le vois tourner la tête vers Léa pendant le film, mais la jeune fille est tellement absorbée par Jules qu'elle le snob totalement.

De notre groupe, personne ne regarde vraiment le film. Jules et Léa parlent par alternance, de tout et de rien, tout en me gâchant le plaisir d'un bon film et Victor a le regard dans le vague. Je me contente de mon portable, n'arrivant pas à suivre. Cette après-midi est une vraie mascarade dans laquelle Victor et moi portons la chandelle.

Je remarque que mon voisin balade son regard dans toute la salle comme s'il cherchait une issue. Je comprends qu'il veuille s'en aller et même si c'est égoïste, je ne veux pas rester seul face aux tourtereaux. Alors j'attrape sa main et entrelace mes doigts aux siens. Je sens mon cœur manquer tout un tas de battement dans ma poitrine, accompagné d'une chaleur sourde se répandant dans l'ensemble de mon corps quand il ressert sa prise sur la mienne. Je passe le reste du film à regarder nos mains comme si je n'arrivais pas à y croire. Mais quand les lumières se rallument, un poignard d'angoisse vient exploser mon sternum et je me dérobe aussitôt pour sortir de la salle.

- Je crois que je vais rentrer.

Le soleil me fait mal aux yeux mais l'air frais du mois de février me fait un bien fou. Pourtant, je le regard nous dire au revoir. Je ne veux pas finir ma journée comme ça.

- Bah non, c'est dommage. On passait un bon moment.

Je pouffe légèrement, ce qui fait tourner tous les regards vers moi. Je grimace en cherchant de l'aide auprès de lui mais il ne semble pas du même avis.

- Je peux raccompagner Victor. Mais on se retrouve ce soir.

Victor fronce les sourcils en ne regardant que moi. Les deux autres acquiescent de connivence. Léa fait simplement ça pour attirer l'attention du garçon de ses rêves. Mais au moins, elle a le pouvoir de faire changer d'avis le blond.

- Comment ça ce soir ?

- On sort.

Un rire nerveux sort de sa bouche.

- Mes parents ne me laisseront jamais sortir, encore moins un dimanche soir. Et je ne suis pas majeur, je te rappelle.

Je me perds dans la contemplation du lac en contre-bas, cherchant une solution pour qu'il puisse venir. Quand je sais exactement ce qu'on pourrait faire, je le pousse par les épaules direction l'arrêt de bus.

- À tout à l'heure, les amoureux.

- À quoi tu joues ?

J'arrête de le pousser et lui emboîte le pas. Une fois hors de portée des oreilles indiscrètes, je vérifie par-dessus mon épaule et reprends la parole.

- Tu n'as qu'à venir chez moi. Mes parents sont en déplacement, il n'y aura personne.

Ses yeux papillonnent quelques instants.

- Tu me demande sérieusement de faire le mur ?

J'hausse les épaules en regardant droit devant moi. C'est la seule idée qui m'est venu pour que la journée ne s'arrête pas maintenant. Une fois assis tout au fond du bus, je me tourne vers lui.

- Pourquoi moi ?

- Quoi ?

Il se met à rougir, je trouve ça trop mignon. Il est tellement naïf, c'est attendrissant.

- Je n'en sais rien, ça ne se contrôle pas.

J'hoche légèrement la tête sans rien ajouter. Il a raison, sinon je n'aurais jamais su que j'aimais les garçons, j'aurais juste trouvé bizarre de ne rien ressentir en face d'une femme. Alors que Victor se dirige vers chez lui, la situation m'amuse. J'attrape la manche de son sweat et le tire vers chez moi pour le lâcher qu'une fois que nous sommes à l'intérieur.

- Hugo... je ne vais pas venir avec vous ce soir. Je ne sais pas m'amuser de... ça.

- Ce n'était pas une question.

Je nous emmène jusqu'au séjour.

- Est-ce qu'il t'arrive d'être agréable avec les gens qui t'entour ?

Je jette mes clés sur la table avant d'aller trifouiller dans mon frigo.

- Seulement avec les personnes que j'aime bien.

- Qu'est-ce que je dois en conclure ?

Je percute. Ma réponse automatique n'est pas franchement reluisante. Je ne sais pas comment me rattraper et le regarde sans rien désavouer. Mécaniquement je lui tends un coca avant de rejoindre le canapé et de m'y laisser tomber sans grâce.

Je me prends la tête pendant que ses pas deviennent de plus en plus étouffés. Quand je me retourne, il a disparu dans le couloir et je me rue à sa suite. Je bloque la porte pour ne pas qu'il sorte, encore une fois. Notre histoire devient récurrente.

- Je suis désolé.

Je souffle bruyamment alors qu'il se retourne pour me faire comprendre qu'il n'y croit pas.

- Ne me regarde pas comme ça. Je ne suis pas doué pour laisser parler mes sentiments.

- Je dirais que tu en as perdu la capacité.

Je grimace devant son ton sec mais surtout parce qu'il a totalement raison. Je tends la main vers sa joue mais il la balaye de la sienne. Je soupire de protestation cette fois, mais il ne se démonte pas.

- Tu ressembles à une gamine capricieuse.

- Et bien soit, si ça peut te faire redescendre sur terre. Il faut que tu comprennes qu'on n'a pas tout ce qu'on veut en un claquement de doigt.

Je me retiens de sourire, sachant qu'il trouve cela exaspérant.

- Tu as raison.

Victor me pousse pour revenir dans le séjour et après avoir vraiment souri comme un con, je le rejoins.

- Tu dis ça uniquement pour me faire plaisir.

Le trouvant bien trop éloigné de moi, je le tire contre mon corps et passe mon bras autour de ses épaules dans un geste d'appartenance.

- Non, je le pense vraiment.

Ses joues prennent une très jolie teinte rosée. Il est tellement émotif.

Vers la fin de la journée, Léa prévient Victor de leur arrivée et je me dirige vers le premier étage.

- Je vais me changer.

- Mais moi, je n'ai rien à me mettre.

- Tu es toujours bien habillé.

Quand je descends les escaliers, habillé de vêtements que je n'avais pas sortis depuis un bout de temps, Victor est en pur admiration. Je nous revois encore petits, ce garçon de deux ans mon cadet avec les yeux pétillants quand je passais mes journées à raviver son sourire. Le seul détail qui change, c'est que maintenant, il est presque adulte et porte des chemises à longueur de temps à la place de tee-shirts unis. Ce pull rouge que je porte est l'un des vestiges de notre enfance, même si ce n'est pas le même, ça fait le même effet. Contrairement à moi, son visage juvénile et sa tendance à tout ressentir avec intensité ne l'ont jamais quitté.

- Victor ?

Il se concentre sur sa meilleure amie qui lui tend gentiment la main. Jules m'attend pendant que je récupère mes affaires alors qu'ils sont déjà partis à la voiture.

- Tu l'as éblouie.

- Ça ne suffit pas, malheureusement.

Nous nous garons sur un parking bondé pour un dimanche soir puis nous nous dirigeons directement vers le videur. Je le salut devant mes amis et les visages interrogateur de Léa et Victor. Il nous demande nos cartes d'identité et en regardant celle de mon voisin, il se tourne vers moi.

- Il est mineur.

- Je me porte garant.

- Tu as intérêt à finir plus sobre que lui.

Je lui souris et tire Victor avec moi dans l'antre de la boîte de nuit. Je nous conduis vers un coin tranquille. Une fois assis, Victor me pose la question qui lui brûle les lèvres.

- D'où tu le connais ?

- C'est un pote de mon frère.

Il se raidit dans son siège. Je passe mon bras autour de lui pour le rassurer.

- Ne t'en fait pas, Lucas ne sera pas au courant.

Jules en face de nous parle avec Léa mais la musique couvre leur discussion et surement la nôtre. Victor, droit comme un piquet, regarde dans tous les sens.

- Détends-toi.

- Je n'y arrive pas. Je n'aurais pas dû venir.

Je ne passe pas par quatre chemins et lui prends la main pour qu'il ne se concentre que sur moi.

- Ne t'en fais pas.

Il acquiesce mais son regard se fait insistant. Ça ne me plait pas trop.

- Qu'est-ce que ton frère a contre moi ?

Je fronce le nez en déviant le regard. Il n'en démord pas et ça m'agace.

- Dans ma famille, l'homosexualité est plutôt mal vu. Mon père s'en moque constamment au point de ne s'attacher qu'aux préjugés. C'est surement pour ça qu'il ne s'est jamais douté de ton orientation. Depuis vendredi, il n'arrête pas de faire des remarques sur toi et ça m'énerve.

- Et Lucas dans tout ça ?

Je prends une grande inspiration. Voir Jules en face de moi, me donne la force qu'il me manque.

- Contrairement à moi, il a les mêmes convictions que mon père mais un degré au-dessus. Il trouve ça contre nature et il a toujours eu peur que tu m'influence. Ce qu'il ne savait pas, c'est que je me posais des questions bien avant ton coming out.

Son visage me renvoie une expression neutre mais sincère. Il n'est pas fâché et il semble reconnaissant de lui avoir enfin dit la vérité. C'est la première fois que j'avoue ça à quelqu'un, même Jules ne savait pas que ça datait de bien avant les révélations sur Victor.

- Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ?

La question que je redoutais et je veux vraiment qu'il me comprenne. Je plonge alors mon regard dans l'océan des siens.

- Je n'ai pas changé d'avis, j'ai juste eu peur. J'avais treize ans et mon frère m'a fait la morale. Quand il m'a fait clairement comprendre que ce n'était pas normal, j'ai pensé que je ne l'étais pas moi non plus. J'ai tout fait pour changer de bord. Je n'ai jamais réussi.

Je suppose que son aversion pour Lucas s'alimente avec mes dernières paroles. Il n'a jamais connu ça, il ne peut pas comprendre cette envie de plaire à sa famille.

- Quand j'ai appris pour toi, je me suis sentis libéré, je pensais que j'avais enfin mes chances. Je voulais te le dire, avant que mon frère...

- J'ai compris.

Si je pouvais voir les rouages de son esprit, ils seraient au bord de la surchauffe. Son regard se perd dans la foule mais la plénitude que j'y lis me réconforte.

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