27 : Retour de Flamme
Le reste de la semaine a été épuisant. Après sa crise dans la salle de bain, j'ai passé chaque minute à le surveiller comme un gosse de quatre ans qui découvre avec beaucoup trop d'enthousiasme qu'on va plus vite debout qu'à quatre pattes. Quand il dormait, soit les trois quarts de la journée, je passais la majeure partie de mon temps à suivre sa respiration comme si elle allait s'arrêter subitement, à envoyer des messages à mon meilleur ami pour savoir comment il allait s'en jamais avoir de réponse et à tomber de fatigue.
Après qu'il m'est dit ces trois petits mots, je suis resté figé, incapable de répondre. Pourtant j'ai essayé, les lettres se formant dans mon esprit mais sans jamais dépasser la barrière de mes lèvres. Alors comme un con, j'ai souris et je lui ai dit : « Je t'embrasserais bien, mais le truc de la morve et tout ça, je trouve ça dégueulasse. » Avec le recul, j'aurais eu mieux fait de ne rien dire. C'était stupide de faire de l'humour dans un moment pareil alors qu'il attendait simplement que je lui réponde la même chose. Mais j'en suis incapable.
J'ai tellement refoulé mes sentiments, toutes ma vie, que même le dire à mes parents était impossible. C'est différent, avec Victor, je le sais, mais pourtant lui dire est un obstacle que je n'arrive pas à franchir. Je l'aime. Oh, oui ! Je l'aime, plus que n'importe qui, plus que tout au monde et depuis beaucoup de temps. Je suis heureux de savoir que lui aussi m'aime malgré tout, et que malgré les années la force de ses sentiments n'a pas diminuée. Mais il me faut plus de temps pour réussir à lui dire.
Du mouvement dans le lit me tire de mon sommeil et je baille comme un ours en ouvrant les yeux. Il va falloir que je me repose ce week-end si je veux être en forme pour reprendre les cours. Victor me regarde. Depuis mercredi, je vois dans ses yeux qu'il est contrarié et qu'un milliard de question se bousculent dans sa tête. Pourtant, il ne dit rien et son regard devient de plus en plus pesant.
Je détourne mon attention de lui et prends mon portable pour aviser l'heure. Dix-sept heures vingt-deux, un samedi. Un message s'affiche sur mon écran avec le nom de Jules en entête.
Jules, 16h56 : ON PEUT PARLER ?
Je me relève. Je ne m'attendais pas à ce que se soit son premier message depuis son silence radio. Je passe ma main dans ma nuque en me rendant compte qu'il faut que j'aille le voir, et donc que j'abandonne Victor. Il va le prendre mal.
- Faut que j'aille voir jules, il ne va pas très bien. Je peux te laisser ?
Son regard se perd sur la couverture, déçu que je m'en aille. La douleur qui m'étreint la poitrine est désagréable. Si j'avais un autre choix, je le ferais. Mais je dois aussi m'occuper de mon meilleur ami, encore plus si son père est revenu.
Je l'embrasse, soulagé qu'il me le rende malgré ses yeux de chien battu et je sors dans le couloir.
Hugo, 17h34 : T'ES OÙ ?
La réponse arrive quand je suis enfin dehors après avoir salué les parents de mon petit copain, après avoir récupérer mes chaussures et ma veste en cuir.
Jules, 17h41 : A L'HOPITAL.
Je me fige, un mauvais pressentiment prenant possession de mon corps. Je prends le premier bus et arrive vingt-minutes plus tard devant le grand bâtiment que j'ai quitté il y a quatre jours maximum. Je trouve mon meilleur ami devant les portes, son portable à la main, le visage étrangement fermé.
- Ça va ?
- Oui.
Je fronce les sourcils. Sa voix n'a rien à voir avec celle qu'il a d'habitude. On dirait qu'il a quitté son corps. Je le détail de haut en bas et mon regard s'arrête sur une tâche de sang sur son tee-shirt à moitié déchiré.
Ce n'est pas la première fois que je vois Jules couvert de sang. Plus jeune, son père le frappait jusqu'au sang avant de s'arrêter. Mais ça fait un moment qu'il n'a rien de plus que des bleus. Il se défend depuis que sa grande sœur les a quittés.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Il referme sa veste pour cacher les dégâts, le regard morne. Il ne me répond pas et je commence à me dire qu'il m'en veut plus qu'il ne laisse paraitre. Je ne sais pas comment y réagir.
- Rien.
- Sérieux, Jules ! On a passé l'âge où je faisais semblant de ne rien voir !
- Parce que maintenant ça t'intéresse ?
J'ai un mouvement de recul. C'est tout à fait ça, il m'en veut d'avoir fait passer Victor en priorité et de ne pas avoir pris de ses nouvelles depuis un bout de temps. Mais c'est lui qui a décidé de ne plus me répondre depuis mercredi.
- Tu sais très bien que je devais m'occuper de Victor. Il s'est quand même bien fait mal.
Un rire cynique sort de ses lèvres et pour la première fois depuis que je suis arrivé, il me regarde vraiment dans les yeux. J'y vois de la haine, du mépris, de la tristesse.
- Ça ne te gênait pas avant.
Ces paroles me font mal et il le sait très bien. Je n'ai jamais aimé regarder les autres lui donner des coups, mais j'avais assez d'expérience pour savoir que tout était superficiel, au moins en apparence. Ce que Valentin à fait, même dans mon autre vie, je ne l'aurais pas supporté et je lui aurais fait ravaler sa fierté. Je lui aurais dit que le but n'était pas de le tuer.
- Tu sais que c'est faux.
- En attendant, tu te la coule douce avec ton mec alors que je retrouve à l'hôpital.
- Je t'ai envoyé des messages, je t'ai appelé...
- Depuis quand ça te suffit ?
Je serre les mâchoires. Si son but est de me mettre en rogne, il commence à s'en approcher dangereusement. Je sais qu'il n'est pas dans son état normal, mais là, je n'ai plus envie de me retenir.
- Si c'est tout ce que tu as à me dire, ça sert à rien que je perde mon temps.
Je me retourne et au bout de quelques pas, il reprend la parole :
- Justine est morte. Ma mère passe des examens en vue de récolter des preuves contre mon père. Je voulais juste que tu le sache. Je n'ai pas besoin de tes condoléances ou ta pitié.
Je reviens vers lui, ma colère ayant complétement disparue. Des larmes coulent sur ses joues. Mais quand je m'approche un peu plus pour lui montrer mon soutien, il recule la main entre nous.
- Je n'ai pas besoin de toi. Tu méritais de savoir parce que tu es mon ami mais je n'ai pas encore digéré toute cette histoire. Depuis que Victor est revenu dans ta vie, tu n'en as que pour lui. Je comprends et ça me fait plaisir pour toi, mais je préfère qu'on prenne nos distances.
- Jules...
- Vas t'en.
Je ne réplique rien mais la boule dans ma gorge me fait souffrir. Pourquoi tout doit toujours être tout blanc ou tout noir. Les nuances, c'est ce qui fait avancé le monde. J'ai commencé à le comprendre quand Victor m'a redonné une chance.
Jules n'est pas comme ça. Ce n'est pas son genre de repousser les gens d'avoir des ressentiments et des soupçons à propos de qui que ce soit. Je fais un pas mais son crie me dissuade dans faire d'autre.
- VAS T'EN !
Je fais demi-tour sans trop savoir où aller. Je n'ai pas envie de rentrer et de me confronter à la même tristesse dans les yeux de Victor parce que je suis incapable de lui dire ce que je ressens. Je ne peux pas non plus rentrer chez moi parce que je n'y ai plus ma place. Je ne sais pas quoi faire.
Alors que je marche sans but dans la ville, je passe devant un immeuble que je connais bien et sonne à l'interphone.
- Ouais ?
- C'est Hugo, je peux monter ?
Antoine ne me répond pas mais déverrouille la porte. Je m'engouffre dans le bâtiment et monte les escaliers jusqu'au deuxième étage. Sa porte est grande ouverte, je la referme en entrant.
- Que me vaut le plaisir ?
Je lui souris en le regardant s'habiller. Il se prépare pour son travail de vigile qui commence dans une heure et demi.
- Je me suis engueulé avec Jules et je n'ai pas envie de rentrer chez Victor.
Antoine revient de sa cuisine avec deux bières et m'en tend une.
- Y a de l'eau dans le gaz ?
- Je ne sais pas trop ce qui se passe en ce moment, mais j'ai l'impression que tous les quatre, avec la copine de Jules, on ne se comprend plus trop.
Antoine me toise. Je sais qu'il pense que je suis l'élément perturbateur. Je l'ai toujours été et dans un sens, c'est un peu vrai.
- Et avec Victor ?
Je prends une grande inspiration avant de lui raconter tout ce qui s'est passé ces derniers jours. Il m'écoute attentivement, hochant la tête de temps en temps comme un psy.
- Pourquoi tu n'arrives pas à lui dire ?
- Ça fait neuf ans que je cache mes sentiments, ça ne se débloque pas aussi facilement.
- Et tu ne crois pas que tu te sentirais mieux quand tu auras hurlé un bon coup ?
J'en ai marre que les gens aient tout le temps raison. Ça m'agace parce que le sais, mais je n'ose pas me l'avouer.
- De quoi tu as peur ?
Il me connait trop bien, c'est agaçant.
- D'être vulnérable.
Il me sourit, se relève sans avoir toucher à sa bière et passe sa veste. Il attrape ses clés avant de revenir vers moi.
- Tu ne le seras pas. Peut-être devant ton petit ami, mais c'est avoir confiance en lui pour qu'il ne s'en serve pas qui devrait te faire peur, pas de laisser parler tes sentiments. Il sera ta plus grande force quand tu l'auras enfin compris.
Il attrape son téléphone sur la table à manger. Avant qu'il ne se dirige vers la porte d'entrée, il me lance :
- Et entre nous, Victor est loin d'être faible. Reste autant que tu veux.
Et il claque la porte.
J'ai donné la pire excuse du monde à mon copain pour ne pas rentrer à la maison. Prétextant soutenir Jules, je suis resté allongé sur le canapé d'Antoine sans réussir à m'endormir. Je ne sais même pas pourquoi je lui ai caché que j'étais chez le videur, il me connait et il le connait, ça n'aurait pas dû le déranger. Mais j'avais peur qu'il le prenne mal, à sa place, c'est ce que j'aurais fait. Et en même temps, je ne suis pas à sa place.
Quand le soleil a pointé le bout de son nez, je me suis dit qu'il était préférable de je rentre. Mais sur le chemin, toute mon énergie et ma détermination à l'affronter m'ont déserté. Alors je lui ai simplement dit bonjour avant de me changer et d'aller courir.
Quand je reviens, j'ai eu le temps de cogiter et de prendre mon courage à deux mains pour l'affronter. Je me suis donc empressé de me doucher avant d'aller le rejoindre dans sa chambre.
- Ça va ?
Je ne le vois pas réagir, encore moins quand je pose mes lèvres sur les siennes. J'ai peut-être fais une erreur en ne rentrant pas de la nuit. Je fais semblant de rien voir même si ma tête me tourne.
- Hugo ?
Je me retourne et remarque que sa lèvre est coincée entre ses dents, signe d'anxiété. Je débarrasse son lit pour retenir mon propre stresse. Il est bizarre.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
- Est-ce que tu m'aimes ?
Je m'apprête à répondre mais mes mots se bloquent une nouvelle fois dans le fond de ma gorge. J'ai beau repenser à ce que m'a dit Antoine, ma peur est trop grande, je n'arrive pas à l'affronter. Je finis par détourner les yeux, incapable de soutenir son regard insouciant qui espère un mot de ma part. trois, pour être précis.
Son silence me fait l'effet d'une gifle qui me ramène peu à peu à la réalité. Il est en colère en retenant ses larmes. Ça me brise le cœur de voir la souffrance dans son regard. Je suis vraiment un boulet que tous mes amis supportent comme un fardeau. Je m'avance vers lui pour démentir, il le faut.
- Victor ! Ce n'est pas ce que tu crois !
- Alors je crois quoi ?! Que tu ne m'évites pas depuis mercredi soir, que Léa ne débloque pas et qu'elle m'a embrassé juste parce qu'elle le voulait ?! Je ne vous comprends plus ! Je ne supporte plus tout ça !
Je m'arrête, net, ma peur se transformant en une colère sourde. Léa l'a embrassé !
- Elle a quoi ?!
- Ne change pas de sujet ! On parle de toi et moi, là ! C'est quoi ton problème ?! Qu'est-ce qui a changé ?!
Ça m'énerve. Je pars une nuit et Léa lui a déjà sauté de dessus. Jules avait des doutes et j'aurais sans doute dû le croire. Ma colère se mêle soudainement à mes pires angoisses. Je reviens à lui et sa colère. Sa colère contre moi et mon incapacité à dire mes sentiments. Je serre les poings, puis les dents.
- Rien ! Rien du tout !
- Alors qu'est-ce qui y a ?
Sa voix se brise, laissant apparaitre des sanglots étranglés qu'il n'arrive plus à retenir. Mon corps se relâche et mes propres larmes commence à monter. Comment on en ait venu là, comment on est venue à se disputer pour une histoire de parole non dites.
- T'es incapable de m'aimer...
Ses mots me brisent le cœur, plus encore que les reproches de Jules hier soir. Je vais craquer, à force devoir encaisser tant de méchanceté. Je l'aime, je n'arrive seulement pas à le montrer avec des mots.
- Tu n'as aucun reproche à me faire ! A voir ta tête, on dirait que cette histoire avec Léa t'a troublé !
Je ne sais pas pourquoi je dis ça, ça n'a aucun sens, mais les paroles de Jules tourne en boucles dans ma tête.
- Mais bien sûr ! Je ne pensais pas qu'elle ferait ça, c'est ma meilleure amie !
- Et tu ne ressens rien pour elle ?
Il fronce les sourcils, pas sur de me suivre. A vrai dire, moi non plus. Je n'ai pas envie qu'il me réponde, je ne veux pas savoir qu'elle lien il a avec elle qu'il n'a pas avec moi.
- Bien sûr que non...
- Alors quoi ?! Tu es juste troublé ! Ne me fait pas rire...
- C'est toi que j'aime !
C'est trop dur. Trop dure de l'entendre me crier sa peine. Je pensais que le voir partir me ferait le plus mal, mais ce qui est vraiment atroce, c'est de le voir m'aimer et d'en souffrir. Il faut que je m'éloigne, pour lui.
Je descends les escaliers et remplis mon sac de sport avec le strict nécessaire pour les cours de demain sous son regard.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je m'en vais.
Je ferme mon sac et vais pour sortir mais il me retient par le bras.
- Lâche-moi.
Je sens mon cœur se fissurer dans ma poitrine, encore une fois. Je n'aurais pas dû regarder ses yeux, la douleur que j'y vois est inimaginable, douloureuse et insupportable. Je m'échappe. Perdu, frustré, anéantis, contrarié.
Sur le trajet jusque chez Antoine, je me rends rapidement compte de la connerie que je viens de faire. J'ai tout gâché, pour une histoire de jalousie et d'égo mal placé.
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