24 : Métamorphose

Le reste du week-end se passe tranquillement sans accro et surtout, sans visite impromptu de la part de mon insupportable grand frère. Victor a continué de s'inquiété pour Léa et au bout du cinquième appel dans le vide, je lui ai confisqué sur son portable pour que je puisse profiter de lui et pas partager mon week-end en amoureux avec le fantôme de sa meilleure amie. J'ai pris ma douche et glander un crayon à la main pour dessiner pendant que Victor était au handball. Je n'avais pas envie qu'il se fasse de nouveau engueuler pour l'avoir empêché de s'entraîner. Ça me fait plaisir qu'il est trouvé un sport qui lui plait.

Le reste de notre samedi, nous avons regardé des films et parler pendant des heures, tranquillement, sans émotions fortes.

Dimanche, Victor s'est plongé, tête la première dans ses cours, à m'en dégouter totalement. Je ne sais vraiment pas comment il fait pour passer la journée entière à bosser sans avoir mal à la tête. Nous sommes rentrés chez lui en fin d'après-midi avant le retour de mes parents.

On est lundi et le réveille est difficile. Avoir Victor dans mon lit m'empêchait de faire des cauchemars, et cette nuit ils ont décidé de rattraper tout le temps perdu de cette semaine beaucoup trop idyllique à leur gout. Je me suis donc réveillé toutes les deux heures.

Quand on arrive au lycée, une bande d'élève se jette sur Victor qui s'écrase sur le sol sous le coup. Des rires retentissent avant que je ne descende à mon tour et qu'ils s'échappent sans que je ne puisse dire quoi que ce soit. Ils sont malades, ils auraient pu lui faire vraiment mal. J'ai reconnue des filles du groupe de pote de Carla. Je lui tends la main pour qu'il puisse se relever.

- Je pensais qu'il avait plus peur de moi que ça.

- Ils aiment tellement ça qu'ils ne vont pas s'arrêter juste parce que tu es passé du côté obscur.

- Bonne référence.

- Merci.

Je lui souris avant de remarquer que les conversations se taisent au profit de chuchotement étouffé dans tous les coins. Quand le bus s'en va, je vois apparaitre Jackson et son manteau en cuire de motard ridicule, suivit d'une Léa métamorphosée. Je crois bien ne jamais l'avoir vu porter de vêtements aussi suggestif depuis que je la connais. Elle a tout de la fille réservée qui n'aime pas attirer l'attention autrement qu'avec sa grande gueule. Comme j'aime parler de mon masque, je suis persuadée que la couche de maquillage qu'elle s'est badigeonnée sur le visage est une façade pour s'évader de la réalité. C'est un truc qui ne me manque pas depuis que je suis avec Victor et que j'assume mon homosexualité.

Victor la dévisage comme s'il ne la reconnaissait pas et elle, elle l'ignore totalement. Quand elle rentre dans le bâtiment, je remarque Jules devant les porte, aussi ébahit que mon petit ami et vexé qu'elle ne lui ait pas accordé un seul regard. Alors que je m'élance vers lui, j'entends les gens parler du nouveau couple fard du lycée, alors qu'ils sont faux jumeaux.

- Je ne comprends pas.

- Victor non plus. Il n'a pas eu une seule nouvelle de toute la semaine et il semble aussi perdu que toi.

Jules fixe les portes un instant avant de revenir sur moi.

- Elle ne m'a même pas regardé.

- Il doit y'avoir une explication.

- Comme le fait qu'elle soit devenue une pute ?

Je grimace, ne sachant pas vraiment quoi répondre à ça. Je ne connais pas Léa autant que les deux garçons, je ne sais rien de son passé et ce qui aurait pu la métamorphosé à ce point.

Pendant les cours, l'acharnement contre Victor reprend de plus bel, comme si on venait d'effacer les derniers évènements de nos mémoires. Je pensais que sortir avec lui permettrait que les frasques s'arrêtent, mais finalement, j'avais tort. Une fois que tout le monde s'est remis de mon coming out, ils sont revenus à leur activité favorite : pourrir la vie de Victor.

Le déjeuner ne se passe pas beaucoup mieux. À chaque fois que nous avancions dans la file, les autres élèves jouaient des coudes pour faire reculer Victor. Il a eu beau me dire d'avancer sans se préoccuper de lui, je n'avais pas envie de le laisser seul. J'ai toujours peur que s'il s'éloigne de moi, il lui arrive quelque chose que je regretterais pour le restant mes jours. On tombe alors sur les fonds de gamelle immangeable et les accompagnements que personne ne veut.

A peine nous nous emparons de nos plateaux que la bande de Louis s'acharne sur lui. Un gars vient taper sur le dessous de son plateau qui se renverse sur lui. Des rires fusent dans tous les coins. Ça m'agace. Jules m'indique qu'il va chercher une table alors que mes mains se resserrent autour de mon plateau. Tout le monde à les yeux rivés sur lui et la bouillie immonde qui macule ses vêtements, comme si le torturer était un jeu à qui gagnera le plus de point.

- Le prochain que je vois lever la main sur lui, il ne finira pas la journée.

Un ange passe avant que les discussions reprennent.

- Tu n'étais pas obligé.

- J'en ai marre qu'on s'en prenne à toi.

Il plonge ses iris d'un bleu profond dans les miens, comme pour être sûr que je suis sincère. C'est le cas. Quand il se débarrasse du balai après avoir dû nettoyer à la place du connard à l'origine du massacre, il s'assoit avec nous.

- Tiens.

Je lui donne mon dessert et une pomme que je choppé alors qu'on n'a pas le droit de prendre les deux. Il me remercie et mange sans rechigner. Son regard se perd dans la salle, Jules à les yeux sur son portable et le silence règne autour de notre table. Mon meilleur ami n'a vraiment rien contre Victor, mais il est incapable de parler aux gens qu'il n'apprécie pas plus que ça. Je ne sais pas faire la discussion et Victor est perdu dans ses pensées. C'est Léa qui met de l'ambiance d'habitude.

Finalement, Victor lâche un soupire en prenant la pomme et se lève sous nos yeux interrogatifs.

- Tu vas où ?

- Au gymnase pour me changer. On se voit tout à l'heure.

J'acquiesce malgré moi, une boule d'angoisse se formant dans ma gorge, et le laisse partir. Très vite après lui, Léa se précipite dehors, visiblement pressée de le rattraper. Jules affiche un regard blasé, plaque son portable sur la table avant de poser son front sur ses bras.

- Elle ne m'a même pas calculé.

- Rappelles-toi que Victor est son meilleur ami et qu'il passe avant toi dans ses priorités.

Jules tourne la tête, visiblement pas rassuré par mes paroles.

- Des fois je me demande si elle n'est pas amoureuse de lui.

- Je peux clairement t'affirmer que Victor est gay.

Il se relève, jette son téléphone au fond de son sac et accroche mon regard sombre au sien.

- Comment tu peux en être aussi sûr ?

Il se lève et sort du self. Il vient de me mettre le plus gros doute de toute mon existence. Pourtant, depuis aussi loin que je le connaisse, il n'a jamais eu de petit ami ni de petite amie. Il m'a assuré ne pas trouver d'intérêt chez le sexe féminin mais qu'est-ce qu'il en sait ? Je suis persuadé qu'il aime les garçons, sa façon de répondre à mes mots, à mes gestes, à mes caresses, il ne peut pas simuler. Mais est-ce qu'il ne pourrait pas aimer les filles aussi ? Non, ce n'est pas possible, sinon il aurait des sentiments pour Léa à l'heure actuelle, pas pour moi. Il m'aurait complètement oublié.

Je me lève finalement et prend le même chemin que tous mes amies. Quand j'entre dans le gymnase après m'être changé, Je croise Léa, un sourire aux lèvres et les joues noires de mascara. Quand j'arrive enfin près de Victor, je remarque que le tee-shirt qu'il porte ressemble étonnement au mien.

- Il est à moi, ce tee-shirt !

- Ma mère a dû mélanger.

Je pivote vers la porte, me rappelant que Léa vient de sortir de la salle en pleur avant de revenir vers lui.

- Tu l'as fait pleurer ?

- Nan. C'est une très longue histoire.

Juste avant que le prof n'ordonne l'échauffement collectif avec les ballons, je remarque que Jules et Léa engage une conversation. Jules à l'air visiblement irrité de passer en deuxième mais les lèvres de Léa bougent inlassablement. Au fur et à mesure qu'elle parle, le visage de mon ami se déride et laisse passer plusieurs émotions comme la tristesse et l'incompréhension. Je ne sais pas vraiment ce qu'il se passe avec elle mais vu le soulagement de Victor, j'en déduis que les choses rentrent doucement dans l'ordre.

Toute cette histoire me fait clairement comprendre que quand il s'agit de Léa, je suis gentiment laissé de côté. Jules doit ressentir la même chose quand il s'agit de Victor mais moi, je lui raconte toujours quand ça me touche de près ou de loin. J'ai cette impression oppressante d'être une pièce rapportée au groupe à laquelle on ne dit que le strict nécessaire.

Entre mon sentiment d'abandon et les doutes que Jules m'a mis dans la tête, j'ai dû mal à rester impassible et plein de joie de vivre. Victor ne fait passer aucun de nous en priorité, il prend tout trop à cœur, souvent ça le bouffe et il ne se préoccupe pas de son propre bonheur. Mais Jules et sa nouvelle lubie pour Léa le fait presque oublier que j'existe. Entre elle et sa sœur, il n'y a plus trop de place pour moi.

Victor les surveille jusqu'à ce qu'ils soient bouche contre bouche et qu'il affiche cet air dégoûté que nous avons tous les deux tendances à sortir dans cette situation. Je lui souris, amusé, puis reçois le ballon en pleine figure.

Le professeur balaye la salle des yeux. Quand il tombe sur nos deux amis, il affiche à son tour le même dégout.

- Blanchard, Delgado ! Je vous rappelle qu'on est en cours ! Si vous ne voulez pas que je vous fasse lécher le sol à la place de vos visages, décollez-vous !

Tout le monde éclate de rire, alors que les deux amoureux obéissent aux ordres. Jules est fier de lui. Il bombe le torse et envoie même un clin d'œil au prof. Léa se fait aussi petite qu'une souris, rouge comme une tomate. Mon meilleur ami me rejoint et me tape dans la main quand je la lui tends.

- Bon. Il nous reste deux séances avant qu'on passe à notre prochain module. Je vous propose donc de faire un petit tournois aujourd'hui.

Beaucoup d'exclamation de joie se font entendre et notre professeur attend patiemment que le calme revienne.

- Dans ce cas constitué... cinq équipes de sept.

Il nous laisse en autonomie pendant quinze minutes pour nous entrainer par équipe. Victor est très concentré sur ce qu'il fait même s'il semble amusé des mimiques que lui fait son co-équipier du hand dans l'une des équipes adverses. Ça promet d'être intéressant.

Les matchs débutent, nous ne concourons pas, mais j'analyse le jeu des autres équipes pour être les meilleurs sur le terrain. Victor ne lâche pas les joueurs des yeux, comme Jules à ma gauche. On se croirait dans une vraie compétition. Après le tour de la pool, les équipes en tête sont la nôtre et celle de Damien.

Deux équipes sont finalement éliminées et nous servent de supporters dans les tribunes. Nous restons sur le banc pendant que l'équipe de Damien affronte la troisième équipe. Il l'emporte au bout des dix minutes et nous prenons leur place sur le terrain.

Je reprends mon sérieux, un peu trop peut-être mais l'équipe adverse à l'air sur les nerfs. Ils tiennent à peine debout à force de se faire martyrisé. Ils n'ont pas eu autant de pause que nous.

A peine une minute après le début du match, les joueurs adversaires commettent des fautes minables juste pour essayer de garder la main. Quelques minutes après, Léa se fait vivement pousser par une des filles de l'autre équipe qui se fait sortir du terrain et un joueur éliminé vient la remplacer.

J'ai l'impression que tout ça va mal finir. Les joueurs encore fairplay dans leur équipe restent en retrait, fatigués et presque prêts à déclarer forfait, mais Louis, Valentin et une fille du groupe d'ami de Clara, nous dévisage, des regards noirs, prêt à nous tuer.

Jules me jette un coup d'œil curieux alors que je cherche Victor, visiblement pas conscient de ce qu'il se passe en face de lui. Alors qu'il récupère la balle et s'élance sur le camp adverse, Valentin se rue vers lui. Son pied atterrit en travers de la route de mon voisin et il perd l'équilibre trop vite. Je vois, avec horreur, sa tête heurter le sol en béton. Je vois aussi, très distinctement, le sourire de vainqueur de Valentin sur son visage.

Mon mauvais pressentiment de ce matin est en train de se réaliser sous mes yeux alors que je suis juste à côté de lui. Toute la journée, les élèves se sont acharnés sur lui, depuis ce matin huit heures où la même situation à faillit être aussi destructrice qu'à l'instant. Comme si le bonheur appelait inlassablement le malheur et que c'était une autre façon de me punir d'avoir été plus qu'heureux, toute la semaine dernière.

Le prof met fin au jeu par un coup de sifflet tonitruant et je m'élance sans réfléchir vers mon petit ami. Je pousse violemment Valentin, sur mon chemin, avant de me baisser sur Victor, angoissé.

- Ça va ?

Il plonge ses yeux dans les miens mais son regard est absent, comme s'il ne me voyait pas. Son absence de réponse me fait trembler. Je suis dans un mauvais cauchemar. Il se relève malgré tout, désorienté et pas très sûr. Malgré moi, je lâche un soupir que je retiens avant la fin, il n'est pas sortie d'affaire.

- Victor, ça va ?

Le prof nous a rejoint et répète la question que je viens de poser. Nous nous jetons des regards perdus, tous les deux les bras levés vers lui au cas où il s'effondrerait.

- Ça va.

- Tu veux t'assoir ?

Il est hors de question qu'il reprenne le jeu dans cet état. Son regard se voile et il hoche doucement la tête. Ses yeux se ferment dans une expression de douleur qui me fait sursauter. Quand son pied se dérobe sous son poids, je me précipite sur lui pour amortir sa chute.

- J'appelle les urgences.

Je l'écoute à peine, sentant le corps de Victor s'affaisser dans mes bras, inconscient. Ma tête me tourne, la douleur dans mon cœur s'intensifie et mes yeux se remplissent de larmes. Je suis contrôlé par ma peur. C'est tout ce que je ne voulais pas, comme dans mes pires cauchemars.

Et là, je prie pour que je me réveille enfin. Ce ne peut pas être vrai. Il n'est pas allongé sur le sol froid du gymnase, à moitié avachie dans mes bras, inconscient. J'ai toujours eu peur qu'il me laisse tomber mais la pire sensation, c'est d'avoir cette peur viscérale de perdre quelqu'un comme ça. J'aurais préféré qu'il me hurle qu'il ne m'aime pas plutôt que d'avoir cette effroyable impression qu'il pourrait mourir dans mes bras. J'ai l'impression d'être dans l'un de mes pires cauchemars devenu réel.

Léa s'assoit à côté de moi et me parle mais je ne l'entends pas. Mes bras le serrent fort contre ma poitrine et même si je sens son cœur battre sous mes paumes, tout ce à quoi je pense, c'est la lourdeur de ses membres, de son état inerte et de ses bras qui ne me serre pas en retour. Tout ce à quoi je pense, c'est cet air de vainqueur que Valentin a affiché à la minute où Victor est tombé à la renverse. Je serre les poings. Même si là, il ne fait plus le fier, il a voulu tout ça. Je soulève un peu le corps de mon copain et pose sa tête sur les genoux de Léa qui pleure sans s'arrêter dans les bras de mon meilleur ami.

En transe, comme métamorphosé, je me lève avec lenteur, me foutant complètement que le prof puisse me voir, et marche vers Valentin. Quand il s'en rend compte, il se décompose et recule en se justifiant :

- Hugo, je suis désolé...

- J'en ai rien à foutre de tes excuses. Je vais te casser la gueule et tu vas comprendre ce que ça fait.

Il n'a rien le temps de voir. Je le plaque au sol et le roue d'autant de coup que je peux donner avant qu'on me tire en arrière violemment.

- La décision ne me revient pas, mais je vous jure que vous serez tous les deux exclus pour violence dans l'enceinte du lycée.

Je m'en contre fiche, Valentin n'a eu que ce qu'il mérite. Il se relève difficilement, du sang sortant de sa bouche et de son nez, une expression pire que de la haine, sur le visage.

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