22 : Frénésie

Mes mains tremblent alors que je vide mes sacs pour pouvoir les remplir avec tout ce que j'ai pu oublier chez moi, la semaine dernière. J'ai attendu ce moment toute la semaine, depuis que Julie m'a dit oui pour ce week-end, et je suis en train de stresser comme un débutant. Je m'arrête, ferme les yeux et respire tranquillement.

- Du calme, Hugo. Ce n'est que Victor.

Et pourtant, c'est tellement plus que ça. Je rouvre les yeux et reprends ce que j'étais en train de faire. Ça représente tellement à mes yeux. Je sais qu'il a émis une règle : c'est lui qui tient les rênes. C'est pour ça que je ne me fais pas d'illusion. Mais seulement l'avoir pour moi tout seul et de ne pas avoir à me retenir, ça me suffit.

J'entends une porte à l'étage claquer. Je n'y prête pas beaucoup d'attention. Je ferme le dernier sac avant d'aller attendre Victor dans l'entrée. Julie a le sourire aux lèvres.

- Pas de bêtises.

Mon sourire espiègle vient se confronter au sien. On se comprend bien.

- Tout dépendra de Victor.

- Tu as du souci à te faire alors.

C'est un peu bizarre de parler avec ma belle-mère de ça. Elle est quand même plus ouverte d'esprit que son fils. Je ricane et laisse tomber mon regard sur la clé que je tiens entre mes doigts tremblant. Je n'ai pas réussi à me détendre finalement.

Quand nous rentrons finalement dans la demeure voisine, je tente de cacher ma peur. Ça fait un peu bizarre de passer d'une maison à l'autre alors que nous vivons ensemble depuis une semaine. Je lâche mon sac au passage et me tourne vers lui.

- Bon tu veux faire quoi ?

Il détaille les murs comme s'il n'était jamais venu. Il essaye de se raccrocher à quelque chose, il est peut-être aussi angoissé que moi. Il hausse les épaules. Je vais sortir deux canettes de soda du frigo.

- Tu sais qu'il va falloir que tu me parles dans les deux jours si tu ne veux pas que ça devienne gênant à la longue.

Son regard noir arrête les battements de mon cœur un demi-seconde puis il tourne la tête vers la baie-vitrée. Je gère mon angoisse un peu mieux que la sienne mais s'il n'ose pas me décrocher un mot, on ne va pas aller loin.

- Tom veut rentrer.

Je me penche au-dessus du bar pendant qu'il lui ouvre. Le chat gris se frotte à ses jambes pour le remercier. Il ne l'a pas oublié. Je sors le paquet de croquette et lui en remet dans sa gamelle.

- Mon père doit le laisser dehors souvent ces temps-ci. Il n'a jamais supporté ce chat, il n'y avait que moi qui m'en occupait.

J'essaye de le faire parler sur un sujet léger sans prise de tête.

- Plus jeune il venait me voir quand je rentrais de l'école puis il a arrêté de le faire pour une raison qui m'est complètement inconnu.

- Peut-être qu'il sentait la tension.

Je le vois enfin revenir vers moi, ses iris glaçante, transcendante. Qu'est-ce que j'aimerais l'embrasser, là, maintenant, à en perdre haleine. J'ai toujours l'impression qu'elle est là, cette tension. J'ai beau essayer de me convaincre que tout va bien entre nous, j'ai toujours le poids de la culpabilité sur les épaules et lui, celui de ses souvenirs.

- Ça ne sert plus à rien d'en parler. Tout a été dit. Je sais que j'ai fait une grosse connerie, pas besoin dans rajouter.

Il acquiesce mais l'éclat que je vois dans ses yeux me prouve que nous ne sommes pas vraiment sur la même longueur d'onde. Je ne sais pas quoi lui dire de plus, alors je lui tends l'une des canettes. Je n'ai pas envie que notre week-end se passe dans une humeur morose, à ressasser le passé. Une idée me vient alors à l'esprit. Je vais donc m'assoir sur le tabouret du piano et découvre le clavier.

Après avoir, sans le vouloir, fait sonner quelques notes foireuses en me penchant, je ne le quitte pas du regard, attendant qu'il se décide à venir s'assoir à côté de moi, comme quand on était petit. Je ne sais peut-être pas parler de mes sentiments, mais la musique m'a toujours aidé à me faire comprendre. J'espère qu'il en ait encore capable.

Quand il s'assoie enfin, je ferme les yeux, me représentant, à la fois le dernier souvenir de nous deux sur ce tabouret et les notes que je m'efforçais de perfectionner pendant les vacances avant que Lucas ne m'interrompe. Quand les premières notes retentissent dans la pièce, je me laisse aller, sans ouvrir les paupière, commençant par le commencement. Le piano est une extension de moi-même, quelque chose qui me permet de m'exprimer quand je n'arrive plus à le faire par les mots. Je me laisse aller, comme si les ondes sonores retranscrivaient les battements mon cœur, alimentant mon âme et mes organes.

Je parle. Je parle d'abord, en introduction de cette amitié indéfectible que j'ai détruit. Je nous revois tous les deux, assis au même endroit alors que je laissais mes doigts courir sur le clavier, la langue légèrement sortie pour me concentrer sur ce que je faisais. Victor était la seule raison qui me donnais envie d'être parfait et de me surpasser. Je voulais qu'il soit fier de moi. Un autre indice qui m'a fait comprendre quelle importance il avait pour moi.

Je parle de moi, grâce à une mélodie dure, soutenue rapide et forte, du dégout de moi-même quand j'ai vraiment compris ce qu'il m'arrivait. Je parle de cette espoir étouffé dans l'œuf par mon frère quand il s'est révélé que Victor était comme moi et de la peur que Lucas me procurait.

Je laisse exploser la rage qui me consumait de ne pas avoir été assez fort pour me faire confiance, pour l'avoir abandonné, pour avoir été faible. Je sens mes doigts enfoncer les touches avec force, rendant les notes plus forte, en écho avec mes sentiments.

Je parle de ma peur, de ma tristesse avec une musique plus douce et régulière comme le clapotis des gouttes de pluie sur le sol. Celle que j'ai laissé m'envahir quand j'ai laissé traîner les choses pendant six ans. La peur de ne pas être à la hauteur de sa force, de son mental, de lui. La peur des autres et de ce qu'il pourrait me faire, la peur de recevoir des coups et des insultes sans n'avoir personne à qui me raccrocher. La peur qu'il me rejette, qu'il s'en aille qu'il disparaisse, qu'il prenne un coup de trop, qu'il meurt.

Et puis les sentiments que j'éprouve depuis quelques semaines, quelques jours, s'imposent à mon esprit. La mélancolie laconique de la pluie et des larmes se tarie pour laisser place à la douceur d'un rayon de soleil, de joie, retranscrit par un rythme soutenu, des sons plus aigües, des notes douces et rapides.

Je parle alors de ses sourires, de son rire, de ses magnifiques yeux qui me rendent complètement fou. Fou de lui. Je parle de ce que j'ai pu aimer dans tous les monologues qu'il m'a sortie sur des auteurs et des histoires qui ne m'ont pas paru barbants dans sa bouche. Je parle de sa tendance à trop travailler et de tout prendre à cœur, une habitude qu'il a prise depuis longtemps et qui m'impressionne. Je parle de son envie de protéger tout le monde sans jamais penser à son propre bonheur. Je parle de sa chaleur, de sa force, de son corps, tout ce qui me rend heureux chez lui.

Et puis je parle d'amour. Avec de la douceur, des notes percutantes pour lui montrer à quel point je l'aime. De cette indécente attraction qui nous ramène constamment l'un vers l'autre, de ses lèvres contre les miennes, de ses doigts traçant le contour de mes tatouages, de ses mains parcourant mon torse, de sa peau contre la mienne, de ce désir ardent qui nous consume l'un l'autre.

Lui. Je parle de lui.

Simplement parce qu'il est mon monde, ma raison de vivre.

Je baisse la cadence, je ne ponctue pas mon histoire parce qu'il est hors de question qu'elle s'arrête ici. Quand je rouvre les yeux, Victor et Tom ne me quitte plus des yeux. Mon voisin à les larmes aux yeux. Il a compris.

- C'est agréable d'entendre une vie sous forme de musique. Ça me rappelle tellement de souvenir.

- J'ai toujours aimé jouer pour toi.

Son visage s'empourpre. Je n'ai jamais été autant sérieux de toute ma vie. Savoir qu'il réagit aussi distinctement à ce que j'essaye de lui dire, me conforte dans mes idées. Il ressent la même chose. C'est tout ce qui compte. J'ai cette envie irrépressible de combler la distance entre nous, de lui montrer qu'il n'y a jamais eu que lui dans ma tête. Mon cœur répond à mon cerveau et commence déjà sa course folle dans ma poitrine, prêt à rejoindre son âme sœur. Mais je me retiens, ça doit venir de lui.

Il ne dévie pas une seule seconde les yeux des miens. J'y vois à la fois de la confusion et autant d'admiration qu'à l'époque. Cette petite lueur qui ne le quittait jamais et que je ne voulais pas le voir perdre. Cet éclat qui avait disparu et qui aujourd'hui fait briller ses yeux comme autre fois. Cette étoile qui m'a fait tomber amoureux de lui.

Une résolution passe sur son visage avant qu'il ne s'élance et pose sa bouche contre la mienne, me retenant contre lui avec les deux mains. Son audace me fait l'effet d'un coup de fouet. Je ressens tous ses tourments, toute sa retenue et sa peur. Mais l'émotion la plus puissante : c'est de l'amour. Autant qu'il est possible d'en transmettre dans un simple baiser. La déferlante d'émotion est aussi intense que la surprise que j'ai eue quand il m'a dit « je t'aime » dans les toilettes du bahut.

Je ne peux pas me retenir et réponds encore plus intensément à son étreinte, passant mes bras dans son dos pour le coller à moi. J'ai besoin de sentir son corps contre moi, j'ai besoin qu'il me montre la force de ses sentiments. Nos langues viennent s'enlacer avec force, presque à nous faire mal. Mes mains se font aventureuses, parcourant la longueur de son dos, avide de sentir sa peau contre la mienne, chacun de ses muscles se contracter sous mes caresses.

Les siennes restent sur mon visage. Plus le temps passe et plus elle descende, suivant les courbes de ma mâchoire, de mon cou avant de glisser sur ma poitrine. Chacun de ses mouvements est à la fois un supplice et une délivrance. J'ai besoin de plus, de beaucoup plus.

Je laisse tomber les miennes sur ses hanches et m'empare du bas de sa chemise, puis elles s'immobilisent. Je me détache de lui, autant pour reprendre ma respiration que pour savoir s'il est d'accord. J'ai dit que je suivrais ses règles, c'est que je fais. Après un certain temps de réflexion, dirigé par la peur, il acquiesce. Je me retiens de sauter de joie avant de glisser délicatement mes doigts sur la peau de ses hanches et celle de son dos.

La sensation est irréelle, autant que le désir ardant qui brûle dans ses yeux, faisant fondre la glace de ses iris. Je suis hypnotisé, appréciant de voir que le simple fait que mes mains passent délicatement sur sa peau le fait chavirer. Ses lèvres s'entrouvrent pour respirer et je ne peux pas me retenir d'aspirer sa lèvre inférieure, gonflée de désir.

Désinhibé, ses mains se glissent sous mon tee-shirt, parcourant mes abdominaux en traçant les lignes de mes tatouages de mémoire pour remonter avec une lenteur exagérée jusqu'à mes pectoraux. Chaque parcelle de ma peau qu'il effleure s'embrase, un râle silencieux s'échappe de mes lèvres. Je me sens à l'étroit, dans mon pantalon mais aussi dans mon tee-shirt, alors je le retire.

Victor reste figé sur mon torse. Ses yeux me détaillent, me décortique, me dévore, c'est indécent. Son regard seul, me fait bander. Ses dents se plantent dans sa lèvre et il me faut toute la volonté du monde pour ne pas lui arracher ses vêtements.

Je sens qu'il se retient. Il n'est pas encore prêt à tout ce que ça pourrait impliquer. Je ne suis pas un animal, je peux me retenir, je peux y aller petit à petit. Alors je me penche, prends son visage en coupe et pose délicatement mes lèvres sur les siennes. Ses mains viennent enserrer mes poignets puis poursuivent leurs caresses jusqu'à mes avant-bras.

Je prends ça pour une ouverture. Doucement, je laisse glisser mes mains jusqu'au premier bouton de sa chemise. Je ne le quitte pas des yeux. Dans mon regard, je lui demande à chacun de mes mouvements s'il est d'accord, qu'il peut m'arrêter à tout moment. Je défais le premier, alors que ses lèvres se pincent. Il n'a pas peur de ce qu'il se passe mais plutôt de que je pourrais penser de lui. Ce n'est pas la première fois que je le verrais torse nu, et il peut penser ce qu'il veut, moi je le trouve aussi beau qu'un dieu. Je mordille sa lèvre pour qu'il arrête de faire la grimace, je veux qu'il est confiance en lui. Pendant tout ce temps, je défais un a un chaque bouton, je m'arrête un peu avant chacun d'eux pour être sûr qu'il ne va laisser tomber. Quand je défais le dernier, il la retire rapidement comme pour ne se raviser.

Mes séances d'espionnage à travers la fenêtre de ma chambre me donnaient un aperçu à des années lumières de la réalité. Je ne me gêne pas pour l'admirer à mon tour. Sa respiration est accélérée mais je n'arrive pas à savoir si c'est à cause de la peur ou de ce qui s'est passé juste avant. Sa peau est plus blafarde que la mienne et ses muscles sont moins développer mais ils sont là. Ses abdominaux transpercent légèrement sa peau, ses bras ont un bon volume et ses pectoraux sont bien gonflés. Il n'a rien à envier. Il est parfait, à sa façon. Il n'a jamais été adepte du sport et pourtant il est bien plus musclé que n'importe quel geek.

- Au moins, Léa ne dit pas que des conneries.

- Tu parles avec Léa ?

- Nan, elle parle à Jules, qui me raconte tout, juste après.

Cette gamine dit beaucoup de connerie mais quand elle parle du sex-appeal de son meilleur ami, elle ne ment pas. Si Victor n'aimait pas les mecs, Jules aurait du souci à se faire. Je vais finir par me méfier de tous les regards bien trop instants de certain mec à chaque fois que je vais sortir avec lui.

Le silence revient et aucun de nous n'ose déchirer son voile agréable. Nos regards se croisent, dévient sur nos corps, nos lèvres, nos mains ballantes. Je sens la tension sexuelle redescendre dans la pièce mais c'est loin de me déplaire. Victor a fait un grand pas en avant et je suis persuadé que la prochaine fois, il franchira un nouveau cap. Un sourire sincère se dessine sur ses lèvres alors que son regard se perd dans le vague. Ça me fait plaisir. Je sors de ma contemplation et avise la chair de poule qui parsème sa peau.

- Tu vas bien ?

Il hoche la tête, avant de se pencher vers moi et de me prendre dans ses bras. Les mains à plat contre mon dos et la joue posée contre mon épaule, il s'abreuve de ma chaleur. Ses cheveux me chatouillent. Je lui rends son étreinte, posant mon visage contre son cou, appréciant l'odeur qui se dégage de sa peau. Je n'ai plus envie de le lâcher.

Il nous est difficile de parler de tout et de rienmais je sais que nos silences disent tout à notre place. J'ai beaucoup de mal àparler de mes sentiments mais je suppose qu'il le comprend dans ma façond'être, dans ma façon de le serrer contre moi comme si ma vie en dépendait,dans ma façon de l'embrasser. Et même si malheureusement ça ne devait pasdurer, pas que je veuille que ça se termine, je préfère apprécier le momentprésent et la sérénité dans laquelle nous sommes plongés, ne plus le lâcher.

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