16 : Faux Départ... On Réessaye
Les jours suivant, je m'efforce d'éviter Victor. J'ai besoin de réfléchir, encore, et l'avoir devant moi, aussi beau qu'un diamant sous la lumière blanche, me déroute complètement. Alors je passe du temps avec mes anciens amis, qui, comme avant, reprennent des discussions légères, à des années lumières de l'attraction numéro un de ce bahut. Ça me permet de me vider la tête et d'avoir l'esprit clair. Il le faudra quand je me déciderais enfin à sauter le pas et me lancer dans le grand bain. J'ai un peu de mal pour l'instant.
- J'ai faim.
Le ventre de Jules se met à gargouiller sans aucune discrétion, ce qui m'arrache un sourire amusé. Le garçon se jette aussitôt sur la nourriture et remplit son plateau à ras-bord.
- Tu es sûr que tu vas tout manger ?
- Je pourrais manger un cheval entier si je le pouvais.
J'éclate de rire avant de commencer mon propre repas. La discussion commence à me plaire.
- Si j'étais à ta place, j'analyserais ton appétit par un manque flagrant de sexe.
Jules s'arrête net, se met à rougir comme une tomate avant de démentir.
- Je n'aurais jamais dit ça ! En plus j'en manque pas.
J'hausse les sourcils de façon aguicheuse, ce qui énerve très vite le blond. Je me marre tellement son manque est flagrant. Ça ne m'étonne même pas que la petite Blanchard soit une sainte-nitouche.
- Jules arrête de mentir. Ça se voit que t'es frustré !
- On prend notre temps !
Les gens autour de nous se retourne au cri désespéré de mon meilleur ami et je grimace. Heureusement qu'ils ne savent pas de quoi on parle, sinon, je n'imagine pas la honte qu'aurait Jules. Dans un sens, cette phrase me plait. Il prend soin d'elle, ça prouve qu'elle est différente des autres. Et il marque des points aux yeux de Victor. Une avancée nette pour moi.
Je passe aux toilettes après manger et quand je sors de la cabine, Victor est là, les deux mains autour du lavabo, le serrant tellement fort que j'ai peur qu'il ne le brise en deux. Les muscles de ses bras et de son dos sont bandés à l'extrême, presque à l'étroit dans sa chemise bleue claire. Il ne m'a pas remarqué, les yeux fixés sur le fond de la vasque, ce concentrant sur sa respiration.
Je me demande ce qui le met dans des états pareils. Je me rappelle avoir furtivement posé les yeux sur lui dans le self, et avoir remarqué qu'il mangeait avec Léa et Thomas. Qu'est-ce que Thomas a bien pu lui faire pour qu'il finisse fiévreux dans les toilettes ?
- Ça va ?
Son corps entier sursaute à l'entente de ces simples mots et sa main vient appuyer sur son sternum pour se tranquilliser à nouveau. Je ne pensais pas lui faire peur à ce point. Je m'approche doucement pour me laver les mains et tempérer ses réactions. Il ne me quitte pas des yeux une seconde.
- Je ne peux pas te parler de ça.
Je plisse les yeux, désireux d'en savoir plus. Je suis persuadé que ça à un rapport avec Thomas et la petite guerre qu'on mène tous les deux.
- Pourquoi ?
Il tourne les talons vers la porte puis s'arrête et reviens vers moi, comme si ma question l'avait ramenée à la réalité.
- Tu veux vraiment que je te raconte comment Thomas me drague ? Ou à quel point je suis submergé de doute à cause de vous deux ?
Je fronce le nez en entendant sa première interrogation. Non, il est clair que je ne veux pas savoir ce que le nouveau prétentieux utilise comme technique de drague. Je passe les mains sous le séchoir avant de revenir vers lui. On dirait qu'il a peur de moi et recule jusqu'à heurté le mur derrière lui avant que je ne pose mes paumes de chaque côté de son visage.
- Alors comme ça tu doutes ? De quoi est-ce que tu doutes ?
Mon visage s'approche petit à petit du sien afin de l'empêcher de réfléchir à ce soit disant doute sur son choix entre nous deux. Il est hors de question que Thomas s'insère dans son esprit et m'y éjecte d'une pichenette.
Sans même le toucher, je devine à sa respiration rapide, que son cœur s'emballe. Sa bouche est entrouverte, comme si elle attendait que la mienne s'y pose sans ménagement. Ses yeux sont à la limite de se fermer alors que son regard me transperce de toute part. Plus je me rapproche et plus il dévie vers mes lèvres. Mon cœur me hurle de combler la distance qu'il reste, mais mon but est qu'il ne pense plus qu'à moi sans pour autant lui donner ce que nos deux corps réclament comme des damnés. Finalement, ses joues se colorent joliment d'un rose pâle mais bien visible. Il est indéniable que je lui fais de l'effet.
- Je... je... ah ! Recule ! Tu me bouffes mon oxygène !
Un sourire en coin barre mon visage alors qu'il me pousse délibérément avant de se baisser pour reprendre son souffle. Je savais que ma place était toujours bien ancrée dans son cœur, Thomas n'est qu'une pauvre illusion qui se calque sur ses vrais sentiments. Et à cet instant, je pense que ces doutes ne sont qu'un de ses mécanismes de défense.
- Moi, je crois que tu ne devrais pas avoir de doute si tu ne ressens pas cette alchimie qu'il y a entre nous avec Thomas.
- Le problème il est là. Je n'aime pas Thomas comme je t'aime toi. Mais le problème avec toi, c'est que je ne peux pas te demander de choisir entre ta famille et moi.
Je me décompose aussitôt sa première phrase achevée. Le reste ne m'arrive que part un bourdonnement sourd à mes oreilles et j'en perds tout amusement, devenu aussi sérieux que je peux l'être. Devant mon air atterré, Victor prend conscience de toute l'étendue de ses paroles. Ma bouche s'ouvre et trois pauvres petits mots en sortent.
- Tu m'aimes ?
Il reste figé un instant, me permettant de m'imprégner totalement de ses paroles. Victor m'aime, il vient de me le dire de vive voix. C'est la première fois qu'il met des mots sur ce qu'il ressent. Ce n'est pas juste de l'attirance physique ou une admiration sans faille. Il m'aime véritablement. Mon cœur s'en nourrit et devient presque douloureux dans ma poitrine quand mes hormones accélèrent son rythme déjà rapide.
Mais il reste muet. Comme si sa déclaration lui avait échapper. Comme s'il ne le pensait pas vraiment. Mais le naturel avec lequel il l'a sortie parle pour lui, comme un lapsus indique les vrais émotions d'une personne à l'égard d'une autre.
- Hugo, écoute, oublie ça.
Ma tête devient douloureuse et mon cœur s'arrête de battre. Oublier ? Pas question ! J'ai besoin qu'il me le confirme, autant pour moi, que pour lui. Il se pourrait que ce soit le déclencheur qu'il me manque pour oser enfin me révéler au monde entier. Je lui plaque les deux épaules contre le carrelage avant qu'il ne s'échappe et plonge mes iris noirs dans les siens. Il fronce les sourcils devant tant d'hostilité. J'ai l'impression de devenir fou.
- Réponds à ma question !
- Qu'est-ce que ça changerait ?
Sa question se répercute dans chacune de mes cellules, comme un écho infini. Qu'est-ce que ça changerait ? Tout. Absolument tout. Je connaissais l'étendue de ses sentiments pour moi, je savais ce qu'il éprouvait mais j'avais besoin d'être profondément sûr, j'avais besoin d'une confirmation de sa part, pour me rassurer et il vient de me la donner, là, maintenant, au milieu des toilettes. J'aurais enfin le courage de me révéler, je n'aurais plus peur de ce que ça implique parce que je serais sûr que lui sera là quand je n'aurais plus rien.
Je relâche un peu la pression sur ses épaules fermes et musclées sans retirer mes mains. Soudainement, l'envie de l'embrasser, de lui faire comprendre par n'importe qu'elle moyen que je ressens la même chose, devient trop forte. Je rapproche ma bouche de la sienne dans l'optique d'enfin sceller cette promesse muette.
Mais la porte des toilettes s'ouvre et je fais un bond en arrière. Je passe ma main dans mes cheveux désordonnés alors que le garçon asiatique nous regarde bizarrement avant de se mettre devant l'urinoir.
Merde ! Comment je peux me dire que je suis enfin prêt à sauter le pas alors que je ne suis même pas capable de l'embrasser devant un seul mec. Je me trouve pathétique de vouloir lui prouver que je veux changer, que je veux être avec lui, alors que je ne suis même pas capable d'assumer que je suis gay. C'est invraisemblable. Je suis minable. Et le regard à la fois blessé et triste de Victor me prouve que ma réaction était démesurée et loin de ce que lui voudrait vraiment.
Je finis par prendre la porte en râlant, dégouté de moi-même et déçu de ne pas avoir pu aller jusqu'au bout. Je croise Thomas à la sortie et son regard noir m'aurait fait jubiler quelques minutes plutôt. Maintenant, il me rend triste. Je ne lui jette même pas un regard et m'échappe de cet enfer. Si je veux rivaliser avec Thomas, il va vraiment falloir que je dépasse ma plus grande peur, et ce n'est pas gagné.
En retournant en cours, je suis presque anéantie et Jules me regarde avec pitié. Ça ne me fait pas spécialement plaisir, sachant qu'en plus il ne connait pas la vérité. Ce qu'il vient de se passer.
- Ça va ?
- Non.
Jules grimace et s'assoie à côté de moi. Je jette mon sac sur la table et pose la tête dessus, entourant mon visage de mes bras.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Je prends une grande inspiration. Jules sait ce que j'ai l'intention de faire, mais je n'ai pas envie qu'il me regarde avec sévérité quand je vais lui expliquer ce qu'il vient d'arriver. Je finis par vider mon sac, au point où j'en suis, un peu plus ou un peu moins de ressentiment n'aura aucun effet sur le dégout que je ressens déjà pour ma propre personne.
- J'ai réagis comme le mec que j'étais avant. Comment est-ce que tu veux que j'arrive à le convaincre que je veux enfin faire mon coming out ?
- C'est vrai que tu es mal lancé, mais ça ne veut pas dire que c'est perdu d'avance. Frappe fort, montre-lui que tu ne veux plus te cacher et il ne pourra que te croire.
Il me sourit avant de sortir ses affaires. J'enfonce un peu plus la tête dans mon sac et pousse un très long râle de frustration qui me permet de me libérer, un peu.
À la sortie, alors que j'attends le bus que je vois arriver au coin de la rue, mon regard est aussitôt attiré par Victor et Thomas qui s'éloignent du bahut ensemble. Victor n'a pas la même joie de vivre que d'habitude, mais ça ne suffit pas pour que je me sente rassurer. Et si c'était déjà trop tard ? Mon cœur se serre dans ma poitrine à la vue des deux garçons qui disparaissent petit à petit dans la rue. La carlingue du bus me coupe et atténue un peu la douleur qui se répand dans tout mon corps, cette vague de picotement qui atteint presque mes doigts et qui me vrille la tête.
Alors que je sors du bus, je les vois tous les deux arriver au bout de la rue, ils s'arrêtent en plein milieu de celle-ci, Victor dos à moi. Je ne peux pas voir ses expressions faciales mais Thomas n'a plus son petit sourire insupportable aux coins des lèvres, c'est un bon début. Je m'empresse de me changer pour avoir le temps de lui parler et être prêt à piquer un sprint si ses réponses ne me plaisent pas. Je m'assois sur le perron de ma maison et lace mes chaussures en attendant que Victor est finit sa discussion.
Je me relève quand il apparait mais il fait un geste pour m'en dissuader. Il a l'air énervé et je maudis Thomas d'être passé avant moi. Je vais m'en prendre plein la gueule, quoique je dise.
- Je suis désolé de m'être sauvé comme ça tout à l'heure. Mais tu n'as toujours pas répondu à ma question.
- Je n'ai pas envie d'en parler, pas maintenant.
Je descends les quelques marches devant moi et m'approche de lui. Je ne vais pas renoncer, même avec son air ronchon.
- Je comprends mais j'ai vraiment besoin de savoir.
Sa colère vient se matérialiser sur son visage et j'en déduit que ce que je vais entendre ne va pas me plaire. Je m'en veux aussitôt d'avoir insisté, il n'est pas en état pour me dire la vérité.
- Tout ce que j'ai dit est vrai, je n'ai pas menti, sur rien. Maintenant, laisse-moi tranquille.
Je suis abasourdie par tant de sincérité, même si ses paroles restent cinglantes et qu'il ne semble pas spécialement heureux de me le dire. Mais tout ça me conforte dans mon idée : je suis prêt et j'ai l'intention de faire ça en grande pompe.
Le lendemain, je me rends au lycée avec le premier bus et une énorme boule d'angoisse dans la gorge. Il pleut des cordes, pas super joyeux. J'ai l'impression que la météo s'est accordée avec mes émotions aujourd'hui, un vrai déluge de doutes et de ressentiments. Des dizaines de questions fourmillent dans ma tête et un tas de doutes s'insinuent en moi. Et s'il me repoussait ? Et si ce n'était pas assez ? Et si finalement ça ne servait à rien et qu'il avait déjà choisi Thomas ? Ma tête se met à tourner alors que les premiers élèves arrivent. Beaucoup me regardent bizarrement, il faut dire que c'est inédit de me voir arriver avant tous les autres.
Calé contre un mur, j'ai une vue d'ensemble sur toutes les portes qui mènent au hall qui se remplit à vue d'œil. Il y a un monde fou ce matin, comme s'ils s'étaient tous décider à venir à l'heure ce matin pour me voir me jeter dans le vide. Et puis finalement, je le vois. À l'autre bout du hall, il rentre à l'instant, trempé jusqu'à la moelle et visiblement à la recherche de quelque chose. La boule d'angoisse dans ma gorge s'agrandit à mesure que les minutes passent.
Je n'arrive pas à le quitter des yeux, comme aimanté à lui, incapable de détourner le regard de son incroyable charme. J'essaye de retenir cette image de lui, si innocent et encore à l'extérieur de ma bulle. Quand il y rentrera, je me promets de le protéger de ce qui pourrait m'arrivé et de tous ceux qui nous voudront du mal.
J'essaye de me donner du courage pour entrer dans la marée humaine et le simple fait de le voir semble suffisant. A la moitié du hall, un vide se crée et je m'engouffre dedans, à cours d'air. Entre ma peur grandissante et le monde autour de nous, j'ai dû mal à respirer normalement. Mais quand je le vois, se glissant difficilement jusqu'à moi, les gens qui me faisaient peur, s'efface d'un coup de baguette magique. Le hall me semble vide, comme si nous étions seuls, l'un en face de l'autre, au milieu d'un gymnase désert. Aucun bruit n'est audible, comme si on avait coupé la bande son. Il est là, dans son éternel chemise bleue sous un pullover beige.
Nos regards se touchent, s'accrochent et ne se lâchent plus. Je suis encore et toujours attiré par son regard bleuté, glacé, si vif, qui me pétrifie sur place. J'aime ce qu'il est devenu, comme j'aimais ce qu'il était quand nous étions enfants. Malgré tout, il est resté le même et c'est sa plus grande force. Je serais prêt à tout pour préserver son innocence, sa joie de vivre et son magnifique regard caché derrière ses lunettes noires. Il me fait oublier la douleur, la souffrance, les doutes, la rancœur que je peux avoir contre moi.
Je décide qu'il est temps, pas besoin de tester la température, je me jette à l'eau d'instinct.
- Je ne veux plus me cacher.
- De quoi tu parles ?
- Je t'aime, Victor. Depuis aussi loin que me souvienne.
Sa bouche s'ouvre comme celle d'un poisson.
Sans plus attendre, Je réduis la distance qui nous sépare, attrape son visage de mes deux mains et pose mes lèvres sur les siennes. Mes yeux se ferment à la seconde où je le sens contre moi. C'est tellement indéfinissable d'enfin pouvoir se laisser aller pleinement sans penser aux conséquences. Je sens sa main se poser sur l'un de mes poignets et le serrer fermement entre ses doigts pour m'empêcher de le lâcher. La caresse de ses lèvres est une vraie délivrance à la mesure de cet oiseau en plein vol incrusté dans ma peau. Je revis et me réinvente comme s'il me fallait cette dose d'adrénaline que distille mes veines pour enfin être révélé en plein jour. Ça ne sera pas une partie de plaisir, mais je ne suis plus seul et il est là, le vrai bonheur.
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