14 : Combat de Coq
- Arrête de les observer et mange.
Je grogne à l'intention de mon meilleur ami avant d'enfourner un bout de la viande immonde qu'ils nous servent à la cantine. Mais il m'est difficile d'avaler, pas parce que ce n'est pas bon, même si c'est un fait, mais parce que Victor sourit à l'autre greluche. Il est nouveau et lui accapare déjà toute son attention. J'ai envie de vomir à chaque fois qu'ils rigolent et je bénis le ciel qu'il n'ait pas prit la section littéraire, au moins il n'est pas dans notre classe. Le pire dans tout ça, c'est que Léa ne dit absolument rien.
- Je vais vomir.
Quand je me lève, je découvre que la petite bande aussi et j'en profite pour prendre de l'avance. Je connais assez bien Victor, c'est pour ça que je sais exactement par où ils vont passer. Il faut vraiment que je mette les choses au clair avec ce mec qui drague mon voisin depuis trois jours.
Ce que je vois dans le couloir accentue mon amertume et le gout de bile que j'ai sur la langue. Victor lui sourit, sans discontinuer et l'autre s'en abreuve comme un vampire du sang de ses victimes. Et je peux le dire, je vois rouge.
Alors que les deux garçons passent devant moi sans me voir, un affront supplémentaire de la part de Victor, je pousse de toutes mes forces le nouveau contre la porte des toilettes. Il la traverse avant de s'écraser sur le sol dégueulasse. Enfin un endroit où il est à sa place. Victor ouvre de grands yeux devant moi mais je n'y prête pas attention.
Le garçon aux yeux verts affiche toujours son petit sourire suffisant et se relève sans aucune difficulté. Il est clairement suicidaire de garder son air supérieur sur le visage devant moi. J'oublie un peu vite qu'il est nouveau et qu'il ne sait pas que je fais la loi ici.
- Hugo arrête !
- Ta gueule !
Je lui jette à peine un regard mais je sais que ça a l'effet escompté. Par contre, Thomas se met à rire sans gêne. Il est masochiste ou quoi ?
- Tu avais raison, je n'aurais jamais su.
Mon visage se déride légèrement en comprenant que malgré tout, Victor lui a parlé de sa relation avec moi sans trahir mon secret. Ça me conforte dans l'idée qu'il tient encore à moi. Mais en même temps, je dois sauver mon honneur dans toute cette merde. Il est hors de question que je ne me laisse faire devant cette bombe sexuelle. Nan mais sérieux ! Il passe combien de temps devant le miroir le matin pour avoir autant de suffisance et de sex-appeal ? Tu m'étonnes que Victor semble obnubilé, avec sa carrure de mannequin et ses yeux verts.
Je me gifle intérieurement pour revenir à la réalité et fais quelques pas pour être bien en face de Thomas qui me tient clairement tête. J'ai presque envie de lui mettre un coup de boule mais il ne mérite pas que je perde des neurones pour sa personne, totalement superficielle. Son sourire commence à me taper sur le système.
- Ne t'approche pas de lui.
- Tu n'as rien à me dire. Tu n'es même pas capable de voir ce que tu as en face de toi. Tu as trop peur qu'on découvre ton stupide secret pour apprécier ce que tu as.
Le premier coup de poing fuse et mon nouvel ennemi se le reçois aussitôt en plein visage. Sa clairvoyance est aussi exécrable que son air supérieur. Il n'a pas le droit de me dire ce que je dois faire, il ne sait pas quel est mon histoire. Peut-être que lui s'en sort dans le grand monde des gays mais moi, je risque bien plus que de la haine et des insultes.
- Tu n'as pas le droit de me dire comment gérer ma vie.
Thomas ne perd toujours pas son sourire. C'est comme si tout ça l'amusait. Un gros hématome commence à apparaitre sur sa mâchoire. Victor, lui, ne bouge pas, loin de la portée de nos bras. Je lui fais peur, autant qu'avant.
- Dans ce cas, laisse-le tranquille.
Je plisse les yeux sans desserrer les poings. Je rêve ou il détourne la conversation à son avantage. À la base c'est lui qui s'immisce dans nos vies sans y avoir été invité.
- Tu te fous de moi !
Thomas avance encore d'un pas de sorte de plonger son regard verdoyant dans le mien presque aussi noir que ma rage.
- Je suis prêt à me battre si c'est ce que tu veux.
Victor se réveille aussitôt et pose ses mains sur chacune de nos poitrines pour nous retenir de faire une connerie. Il me repousse légèrement et je pose finalement mes yeux sur lui.
- Vous êtes sérieux ?!
Victor arrête Thomas avant qu'il ne prononce quoi que ce soit. C'est bizarre mais depuis que je me suis rapproché de lui, je sais que quand il est comme ça, il ne vaut mieux pas le contredire. J'en ai tellement subi, des laïus sur mon comportement, je ne suis plus à ça prêt.
- Non. Je ne veux rien entendre ! Je ne suis pas un bout de viande que vous pouvez vous bataillez, merde ! J'ai des sentiments ! Arrêtez de croire que vous êtes les seuls concernés dans cette histoire. Faites redescendre votre putain de testostérone, vous êtes pathétiques.
J'ai soudainement froid quand sa main quitte mon buste mais je suis complètement calmé, enfin pas à cent pour cent non plus, il ne faut pas abuser. Mon regard dans le vide, j'hoche la tête en accord avec ses paroles et en écho avec ce que Thomas ajoute :
- Il a raison.
- Oh, ta gueule !
Y a des limites. Je suis peut-être jaloux de leur complicité, celle que j'ai laissé tomber il y a six ans, mais je ne vais pas le prendre dans mes bras parce que Victor le veut. Thomas pouffe en secouant la tête puis passe ses mains sur son visage.
Je récupère mon sac à l'entrée des chiottes et me dirige vers mon premier cours de l'après-midi. Quand j'entre, Léa et Victor parle doucement mais quand je passe près d'eux en toute indifférence, je suis sûr d'entendre « Trop de testostérone ». J'ai un peu de mal à retenir mon sourire devant sa mine atterré et désespéré. Jules me lance un regard interrogateur que je m'évertue d'ignorer. S'il savait, il me tuerait.
A la sortie, Thomas me happe par le bras mais je me dégage aussitôt. Mon regard le dissuade de recommencer mais il se rapproche de moi de sorte que personne n'entende notre discussion.
- Je crois qu'on devrait s'excuser.
- Tu peux courir pour que je te donne mes excuses.
Thomas lève les yeux au ciel.
- Putain ! Mais arrête de penser qu'à ta gueule ! Je parle de Victor.
Je souffle bruyamment sans lui donner raison. Mais bon, je détesterais devoir passer après l'autre con, alors je croise les bras pour attendre Victor. Quand il nous aperçoit, il sort ses écouteurs. Je m'en doutais, je ne sais même pas pourquoi je me faisais des idées à propos de ce moment mais Victor évite toujours les discussions après les conflits.
Je récupère mon sac et rentre chez moi à pied sans donner d'explication à Thomas pour ce qu'il vient de se passer. Je n'ai aucun compte à lui rendre.
Je remarque que la voiture de ma mère est devant le garage. Quand je rentre, elle travaille sur son ordinateur, ses lunettes de lecture sur le nez, concentrée. Je pose un baiser sur sa joue, ce qui la fait sourire avant de poser mon sac sur la table.
- Comment c'est passé ta journée, mon chéri.
- Super.
Elle fait la moue avant de se tourner vers moi. Elle attrape ma main droite et avise les contusions.
- Qui a tu frappés encore une fois ?
- Un mur.
Elle relève les yeux sur moi de sorte de me faire avouer la vérité mais si je lui dis, il va falloir que je développe et ce n'est pas possible.
- J'espère que personne ne va nous appeler.
- Ça m'étonnerait.
Elle remet ses lunettes et reprend son travail. J'attrape une barre de céréales et monte à l'étage. Je fais mes devoirs vite fait avant d'aller prendre ma douche. Quand je reviens, Léa est visible dans la fenêtre de mon voisin comme le bout de ses cheveux. Je fais un signe à la jeune fille pour attirer son attention. Ça fonctionne et Victor relève la tête vers moi. Je lui fais signe de descendre entre les deux maisons, mais il me montre son majeur en réponse. J'affiche un air blasé, cherchant un moyen de lui parler.
Je le fixe et le voyant seulement secouer la tête à la négative, je passe mes chaussures et dévale les escaliers. Je ne prends même pas la peine de frapper et me dirige directement vers sa chambre. Léa est au milieu, habillée comme une danseuse. Elle nous annonce qu'elle va se changer et ferme la porte derrière elle.
- Tu ne connais pas la définition du mot « non » ?
- Non.
Un léger sourire se dessine sur ses lèvres, furtivement, avant qu'il ne tourne la tête vers son bureau. Du coin de son visage, je vois toujours son sourire et je me rends compte qu'il se fou de moi.
- C'est quoi ton problème ?
Un rire cynique sort de sa bouche avant qu'il ne me regarde de nouveau dans le blanc des yeux. Tout cela semble l'amuser, comme si me voir ramper comme un chien était satisfaisant à ses yeux. Je ne le pensais pas comme ça.
- Mon problème c'est tes excès de jalousie qui pourrissent mes relations sociales.
- Qu'est-ce qu'il te faut de plus que moi à tes pieds en train d'implorer que tu me reprennes ?
Son visage devient soudainement livide. J'avais torts, ce n'est pas ce qui l'amusait. Je sais que mon comportement est inacceptable et c'est pour ça que j'ai de nouveau prit mes distances mais le voir si heureux avec Thomas, ça m'a fait plus mal que ce que je pensais. Tous que je voudrais, c'est pouvoir être avec lui, apprécier sa compagnie, pouvoir l'aimer comme j'aurais dû le faire depuis toutes ses années. Je l'aime, je l'aime tellement et ça me rend malade.
Son regard devient fuyant. Ma douleur s'intensifie alors que j'ai cette impression décevante que j'ai plus la main mise sur la situation, que tout est définitivement anéanti. Je baisse la tête alors que mes larmes s'accumulent au bord de mes yeux. Je déteste montrer mes faiblesses, mais là, j'ai la sensation que mon cœur se déchire en mille morceaux. J'ai dû mal à respirer.
- Hugo... Tu ne peux rien faire. Tu ne peux pas faire ce dont j'ai besoin... Je ne peux pas te laisser faire ça... c'est... trop compliqué.
Sa voix est très peu assurée, complètement chaotique et je relève la tête pour voir ce qu'il se passe. Ses joues sont baignées de larmes, il a beau essayer de les essuyer, rien y fait. Je m'agenouille devant lui sans osé l'aider. Je sais que tout cela à un rapport avec ce qu'il se passe avec ma famille, il essaye de me protéger et c'est très louable, mais je ne veux pas que ça nous éloigne.
- Je t'en supplie...
Il secoue la tête la gorge nouée. Je me retiens de m'effondrer devant lui, comme si je voulais montrer l'exemple ou le rassurer tant bien que mal même si ce n'est pas vraiment efficace. Je fais un pas, posant ma main sur l'assise de la chaise sans le toucher. Je perçois le souffle de sa respiration erratique sur mon visage.
La chaleur de son corps m'attire inlassablement. J'ai besoin de son contact autant de ses magnifiques yeux bleus qui me scrutent, cherchant mes intentions, comprenant rapidement ce que j'ai l'intention de faire. Mon cœur et mon corps réagissent au sien plus la tension entre nous devient forte. Je ne veux pas le forcer, je veux qu'il me donne sa permission même si c'est difficile de ne pas sceller ce baiser tout de suite.
Alors que nos lèvres se touchent presque et que je les regarde avec avidité, je lève mon regard vers le sien. Ses larmes se tarissent comme en réponse au changement de sentiment qui nous étreint tous les deux. À cette distance, je sens son déodorant si hypnotisant et l'odeur de la lessive qui imprègne ses vêtements. J'ai l'impression qu'il tremble, comme s'il avait froid.
Je pose finalement et délicatement mes lèvres sur les siennes. Elles sont humides et douces avec le léger gout salé de ses larmes. Nos baisers non jamais été aussi léger et lent. J'ai besoin d'apprécier le moment, le simple fait le sentir, d'être avec lui, même si c'est un rêve. Le silence qui nous enveloppe est rassérénant presque pure, spécial. Nos bouches s'ouvrent seulement pour nous laisser respirer mais nos lèvres se posent de nouveau les unes sur les autres sans qu'il ne se passe autre chose.
Victor est le premier à rompe le contact en posant ses mains sur mes épaules. Ses larmes viennent imbibées ses joues de nouveau. Je les essuie du bout des pouces avant de me relever. Il essaye de réguler sa respiration et frotte ses yeux pour tenter de se tranquilliser.
- Tu devrais rentrer chez toi.
J'hoche la tête à contre coeur avant de remettre mes vêtements en place. Je ne veux pas empirer les choses puis finalement, je sors de la chambre. Je croise Léa dans le couloir. Nous restons un instant à nous regarder sans rien dire puis la jeune fille pose sa main sur ma joue pour chasser une larme.
- Tout redeviendra normal un jour.
Ce n'est qu'un chuchotement, comme une promesse silencieuse. Je ferme les yeux en réponse puis tourne les talons pour sortir de la maison.
Ma mère me voit revenir avec les yeux bouffit d'avoir pleuré, les lèvres gonflées par le désir, la tête dans le brouillard et le cœur en miette. Je ne dis rien, ni ne réponds à ses questions réelles ou implicites. Je me laisse tomber sur mon lit et attends le sommeil.
Je me réveille en pleine nuit, tout habillé et très confus. Il me faut un moment pour me remettre les idées en place et de me rappeler ce qui s'est passé tout à l'heure. Mes yeux me brûlent. J'allume la lampe de chevet tombant sur la photo que nous partageons tous les deux. Je glisse mon doigt sur la vitre à l'emplacement de Victor avant de la faire basculer pour ne plus la regarder.
Je me déshabille avec beaucoup de difficulté, sautillant dans toute ma chambre en enlevant mon pantalon. Je ferme le volet roulant de ma fenêtre avant de me déplacer lentement jusqu'à la salle de bain et me passe de l'eau sur le visage. Mon reflet fait peur à voir. Ma peau est aussi blanche qu'un linge, mes yeux sont à moitié ouverts et plutôt gonflés.
Je descends manger un truc étant donné que mon estomac me fait mal et je trouve ma mère en robe de chambre, une tasse de tisane dans les mains. Quand j'arrive en bas de l'escaliers, elle me tend de quoi manger sans n'avoir rien demandé.
- Tu m'explique ce qu'il se passe ?
- Je ne peux pas, maman.
Elle me dévisage. Ce n'est pas la première fois qu'elle entend cette réponse et visiblement, elle en a marre.
- Quand est-ce que tu pourras ?
- Quand j'aurais trouvé le moyen de dépasser ma peur. En attendant, tout ce que je peux te dire, c'est que tu n'as pas à t'en faire pour moi.
Elle ne semble pas convaincue mais n'ajoute rien. Son regard se perd dans le liquide entre ses mains. Je mange en silence sans la quitter des yeux.
- Je m'en ferais toujours pour toi. Je veux juste que tu sois en sécurité.
- Je ne crains rien, maman. Je te le promets.
Elle acquiesce doucement, finit sa tasse et la range dans le lave-vaisselle. Elle pose sa main sur mon épaule avant d'aller se coucher. Je n'aime pas lui mentir mais il faut que je réfléchisse à mes options. Victor m'a ouvert les yeux, il faut que j'en profite pour mettre au clair toutes mes idées.
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