12 : Conscience
Je passe ma première semaine de vacances entre le centre d'entrainement où mes équipiers m'ont aidé à me défouler, et les soirées organisées par un tas de mes camarades du lycée. Ça m'a permis de ne pas penser à grand-chose pendant la plupart du temps. J'ai évité mon père le plus que je pouvais, ce qui m'a poussé à sortir plus souvent que d'habitude, pendant la nuit.
Je crois qu'avec le décalage entre ma vie nocturne et celle de jour, je n'ai pas vu que Victor était rentré avant que je ne vois sa fenêtre ouverte le samedi soir. Sur le coup, c'est tout ce que j'ai pensée et puis finalement j'ai attendu des heures qu'il apparaisse devant elle. Mais rien. Et j'ai fini par abandonner. Le lendemain, alors que je fumais à ma fenêtre comme d'habitude, il était là. Plus aucune trace de bleu, ses lunettes sur le nez et une certaine plénitude sur le visage.
Ses magnifiques yeux bleus me détaillent pendant un long moment, comme si notre temps c'était soudainement arrêté. J'ai toujours du mal à cacher ma tristesse, cette sensation que quoi que je fasse, la décision finale ne me reviendra jamais. Il baisse les yeux, plus capable de soutenir mon regard et sa mère apparait dans mon champ de vision.
Le lendemain, je reprends mon rituel et attends que Victor sorte de lui-même de sa maison. Ça fait presque deux semaines que je lui donne de l'espace mais j'ai besoin de lui dire la vérité, j'ai besoin qu'il sache que je fais tout pour me racheter.
Quand il passe enfin devant moi, je m'élance à sa suite. Je le rattrape facilement quand il s'arrête. Mais quand j'apparait vraiment dans son champ de vision, ses yeux s'ouvrent à peine mais assez pour que je ne rende compte de sa surprise. J'ai complètement changé en l'espace d'une dizaine de jours, je peux comprendre qu'il soit ébahi, même moi j'avais oublié qui il y avait derrière le costume que je porte.
- Victor, je... J'aimerais qu'on parle.
Sa pomme d'Adam fait de nouveau des vas et vient. Il a de nouveau ce trop plein d'émotion qui lui pèse sur le corps. Je pensais que deux semaines auraient suffis, mais ses yeux papillonnent vers le ciel pour tout retenir à l'intérieur.
- Pas maintenant.
Il passe à côté de moi mais je n'arrive pas à le laisser partir encore une fois. J'encercle son biceps de mes doigts sans le serrer. Il peut partir quand il le veut et pourtant il attend que j'ouvre la bouche, même s'il ne me regarde pas dans les yeux.
- J'en ai marre que tu me détestes.
- Se serait plus simple si je te détestais.
Je ne sais pas vraiment ce qu'il veut dire par là et il ne s'éternise pas. Ses sentiments sont intacts et c'est pour cela que c'est si difficile pour lui, pour nous de régler toute cette histoire. Il n'arrive pas à faire une croix dessus. Je le comprends et je ne veux pas que ça arrive.
Une fois qu'il a disparu au coin de la rue, je rentre chez moi sans faire trop de bruit. Mes parents ont des vacances et mon père dors sur le canapé avec mon stupide frère qui devrait avoir repris les cours. Je ne comprends pas pourquoi je me prends des remontrances alors que Lucas sèche les cours. Tout ça parce qu'il a des facilités. En tout cas, je n'ai vraiment pas envie d'attirer ses foudres encore une fois.
Je retente le coup auprès de Victor avec le message : « MINUIT, ENTRE LES DEUX MAISON », en espérant qu'il vienne. Vers dix-sept heures, je n'ai toujours pas de nouvelle de lui, mais je suis soulagé de ne pas recevoir une autre insulte. C'est positif. Et je suis pathétique. Alors que je m'apprête à retirer la feuille, il apparait en face et colle un « D'ACCORD » en réponse à ma requête.
Je mange dans le silence, écoutant que d'une oreille les bêtises que mon père et mon frère peuvent bien dire sur le garçon d'à côté. Je n'en peux plus de les entendre, j'ai envie de changer de famille.
Comme la dernière fois, j'attends que plus personne ne soit sur mon chemin et je sors par la baie-vitrée. Je ne force pas le passage dans la haie, une seule fois m'a suffi. Alors que je marche tranquillement en allumant une clope, la lumière de leur cuisine s'allume d'un coup et je me baisse en conséquence. Je viens de me faire une peur bleue.
Quand il apparait enfin, je jette le mégot pour lui faire face.
- Tu devrais arrêter de fumer avant d'avoir un cancer. En plus c'est moche et ça pue.
Son débit est tellement élevé que je me demande s'il respire. J'ai l'impression qu'il est plus stressé que moi, comme si c'était lui qui misait tout sur cette entrevue. Je décide de ne pas passer par quatre chemins, au moins j'aurais dit ce que j'ai à dire.
- C'est Louis qui a répandu la rumeur à propos de tes sentiments pour quelqu'un. Il était tellement énervé que je lui ai défoncé le nez. Il ne sait même pas que tu es amoureux de moi ou de qui que ce soit d'autre.
Sa tête dodeline à chacune de mes paroles. Il semble enclin à m'écouter, ça m'aide à me détendre.
- J'ai dit tellement de chose sur toi, je comprends que tu es cru que c'était moi.
Dans l'obscurité, il m'est difficile de discerner son visage mais je sais qu'il me croit. Il ne se défend pas, il ne s'enfuis pas. C'est une bonne nouvelle pour moi. Je passe rapidement mes bras autour de son torse et pose mon visage au creux de son cou. Je sens son odeur corporelle, celle de ses cheveux, je sens les muscles de son corps se contracter sous la force de mon étreinte. Il reste bras ballant, mais je m'en fou tant qu'il ne me repousse pas.
Je ne sais pas pendant combien de temps nous restons comme ça, mais j'ai l'impression qu'il se passe une éternité avant que ses bras se lève machinalement pour se poser dans mon dos. Cambré depuis le début comme il est plus petit que moi, je rapproche son corps du mien pour apprécier d'autant plus ce câlin. La chaleur qui émane de son corps me brûle la peau et me réchauffe le cœur. La béatitude qui m'envahie n'est que pure extase. Je ferme les yeux pour resserrer mes bras autour de lui, je ne veux plus le lâcher.
Je dépose délicatement ma tête contre la sienne et apprécie la douceur de sa peau de sa joue contre la mienne. Si je pouvais l'embrasser, là maintenant, je ne ferais pas prier. Mais je me suis promit de ne plus le faire sans son accord, je veux qu'il est confiance en moi et pour ça il faut que je respecte ses volontés. Mais pour cela il faut que j'ai de nouveau ma place dans sa vie.
- Victor... Je t'en supplie, pardonne-moi.
J'ai soudainement l'impression que la chaleur extérieure vient de chuter drastiquement. Je ne réalise ma bêtise que quand il me repousse gentiment. Je viens de détruire ce moment magique entre nous. Je vais trop vite, je brusque les choses et ça me retombe dessus. J'ai très froid depuis qu'il n'est plus contre moi, comme si son rejet m'avait anesthésié et que j'allais bientôt m'évanouir.
- Je ne peux pas.
J'ai l'impression que son poing est dans ma poitrine pour écraser mon cœur jusqu'à ce qu'il n'en reste rien. Ma respiration se bloque, mon cerveau s'échauffe et dans un élan d'impulsivité, mes deux mains viennent emprisonner son visage. Mon esprit tourne à toute allure mais je n'ai pas le temps de m'éterniser sur la question.
- Hugo ?
C'est la voix de Lucas. Je saute littéralement en arrière, mon rythme cardiaque ayant fait un sprint sans nom. Je regarde une dernière fois Victor qui est attiré par la voix de mon frère et rentre chez moi à contre cœur.
- Pourquoi tu me flic ? Tu commences à me souler.
- Si tu passais moins de temps dehors à faire je ne sais quoi, je ne me poserais pas des questions.
J'arrive dans la lumière, le visage emplit de colère. Je place mon visage près de celui de mon frère et plaque mon doigt sur son cœur.
- Arrête de te t'encombrer la tête, il n'y a pas la place. Lâche-moi sérieux, sinon je dis à papa qu'en fait, les cours ont repris depuis aujourd'hui.
Ses sourcils se froncent mais il me laisse passer.
- Tu sais que je finis par tout savoir, Hugo. Tu ne pourras pas me cacher la vérité longtemps.
- Tu devrais entrer dans un gang, tu serais doué pour les réseaux.
C'est la première fois que de la musique me réveille et elle provient de la maison d'à côté. Quand je descends, ma mère est en train de faire le ménage dans la cuisine, aucune trace des deux autres hommes de la maison. Je prends mes céréales dans un placard, suivit d'un bol et la regarde s'activer, très concentrée.
- Tu as vu Tom hier ?
- Non, pourquoi ?
- Il n'était pas là ce matin.
Je lève les yeux au ciel. Ma mère est plus gaga de ce chat que ses deux maitres réunis. J'aime mon chat, mais bon, c'est un mâle, il a dû aller flirter avec les femelles du quartier.
- C'est un chat, il fait ce qu'il veut. Je peux aller voir si Victor ne l'a pas vu, il est seul chez lui apparemment.
J'enfile un sweat que j'ai laissé trainer et sort de chez moi. Je regarde quand même aux alentours avant d'entré chez mon voisin. C'est la première fois que je suis aussi impoli mais je n'ai pas vraiment réfléchi. Je trouve Victor sur le canapé du salon, une cuillère dans la bouche, les yeux exorbités, dans une position bizarre et indéfinissable. Je n'arrive pas à me retenir de rire.
- J'aurais dû prendre mon portable, c'est une image à immortaliser.
Il ouvre la bouche ce qui fait tomber la cuillère avant de retirer le téléphone de son oreille. Il semble plus surpris qu'amusé.
- Qu'est-ce que tu viens faire là ?
- Je cherche Tom, tu ne l'as pas vu ?
J'avoue avoir proposé ça à ma mère pour le voir et ça à l'air de ça. Je cherche quand même mon chat. Il se relève pour me faire face et me répond sans émotion.
- Non, je ne l'ai pas vu.
Je n'arrive pas à sortir le moindre mot et je me demande très vite ce que je fais encore là. Mais en même temps, je pourrais clairement finir ce que j'avais commencé hier sans que personne ne vienne nous déranger. Et puis je ne rappelle que ma mère sait que je suis là et qu'elle pourrait très bien se ramener pour tout un tas de raison.
Je le vois rougir comme s'il était lui aussi perdu dans ses pensées. Je ne peux pas trouver un sujet banal qui ne tourne pas autour de notre histoire et maintenant des idées salaces s'immisce dans mon esprit accélérant mon rythme cardiaque et surtout le flux de mon sang.
- Je... euh... je crois que je vais y aller.
Je m'échappe aussitôt claquant la porte derrière moi et pose une main sur mon front pour essayer de faire redescendre la fièvre.
Ma mère part après le déjeuner, remplacée par mon grand frère rentré d'une sortie avec des amis à lui qui sont toujours en ville. Il s'enferme aussitôt dans sa chambre et j'en profite pour composer un nouvel arrangement au piano. L'idée m'est venu ce matin et il faut que je test ce que je peux faire. Je veux écrire mon histoire d'amour.
Je laisse mes pensées s'évader appréciant le soleil qui réchauffe l'atmosphère et la brise qui caresse mon visage. Je ne ressens pas le froid, je suis en transe, perdu dans les notes, concentré pour ne pas faire de faux raccords. Mes sourcils se froncent quand j'entends les escaliers grincer et la voix insupportable, plus encore que celle de Léa, de mon frère.
- Tu me tape sur le système, je ne peux même pas bosser.
J'arrête de jouer pour dévisager mon frère.
- Ne me fait pas croire que tu travailles.
Lucas grimace puis remonte à l'étage avec une bière à la main. Je soupir puis lève les yeux vers l'extérieur. Je ne pensais pas voir Victor dans le coin du mur, ses yeux plus bleu que le ciel grâce au soleil. Avec la surprise, il recule, et disparait dans un bruit assourdissant. Je jette un coup d'œil vers l'escalier avant de me lever et d'aller le voir. Je le trouve les quatre fers en l'air.
- Tu m'espionnes ?
- Non... je...
Il se met à bafouiller tout en essayant de se relever sans grand succès. Je lui tends la main qu'il accepte avec joie et me remercie d'un signe de tête. Il pose les yeux derrière moi et bafouille d'autant plus.
- Euh...
Je suis la direction de son regard où Lucas nous regarde, des éclairs lui sortant des yeux. La haine que je perçois dans son regard est tellement immense, que je comprends pourquoi Victor a si peur de lui. Quand je reviens vers mon voisin, il a déjà reculé, me plongeant dans une profonde tristesse, puis dans une colère noire envers mon frère.
- Tu m'expliques à quoi tu joues ?
- Je fais ce que je veux.
Je me heurte délibérément à son épaule avant de rentrer dans la maison. Ça ne l'arrête pas pour autant et il attrape ma nuque pour coller mon front contre le sien. L'envie de lui mettre un coup de boule se fait très forte.
- Ne me dis pas que tu... que tu...
Il me pousse soudainement et se frotte les mains l'une contre l'autre. J'ai compris où il voulait en venir et c'est pour ça que je garde mon expression de colère.
- T'es PD ?
- Ne dis pas des conneries ! Je l'aidais juste à se relever. Arrête de voir des homosexuels partout.
Je referme bruyamment mais délicatement le couvercle du piano et cours m'enfermer dans ma chambre.
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