1 : La Rumeur

Le cours de littérature est celui qui me fait le plus chier. Je n'ai jamais aimé lire, en plus ce professeur est l'un des plus barbant que je n'ai jamais eu. Il parle, nous racontant les joies de l'écriture d'une farce ou d'un mauvais roman d'amour. Je n'ai choisi ce cours que pour une seule raison.

Il est assis deux rangs devant moi, concentré sur ce que dit l'enseignant, répondant systématiquement à toutes ses questions, prenant des notes à tout moment. Pendant ce temps, je dessine les courbes de son dos sur une nouvelle feuille blanche, retraçant chacun de ses faits et gestes.

À côté de moi, Jules dort comme une grosse marmotte, ronflant presque. Lui n'a pris ce cours que pour moi. Il est le seul qui comprend mes intentions et je ne regretterais jamais le choix que j'ai fait. Mais il ne remplacera jamais Victor, jamais. Et il le sait, Jules ne m'en voudra pas pour ça.

Quand la sonnerie retentit, je secoue Jules pour qu'il émerge et range mes affaires dans mon sac. De la bave macule sa joue ce qui me donne envie de vomir au plus haut point. J'affiche une moue dégoutée avant de sortir de la salle, suivit de prêt.

- La petite Blanchard te dévore des yeux.

- Elle ne m'intéresse pas.

Il plonge le nez sur son portable et je lève les yeux au ciel. Il n'est pas doué pour mentir, c'est pour ça qu'il se réfugie dans la lecture de son écran. Et c'est pour ça que je suis là.

- Quoi ? Tu aimes les mecs maintenant ? Nan parce que Léa est franchement l'opposée d'un mec.

Il fronce les sourcils et me tire la langue.

- Je ne suis pas de ce bord-là. Elle est trop... collante.

Jules passe devant moi alors que c'est à moi de froncer les sourcils. Ce n'est pas son genre d'éviter les filles, c'est pas comme si elle était dégueulasse. Il ne l'a même pas calculée tout à l'heure. Ça fait bien deux ans qu'elle lorgne sur lui et continue de prendre les devants. Moi je serais flatté de voir que quelqu'un ferait tout pour être dans mes bras.

- On va manger ?

Je reviens à la réalité. Il a le don de couper le court de mes pensées avant qu'elle ne parte bien trop loin, à la recherche de mes sentiments enfouis.

- Oui.

Je le suis, direction la cafétéria. Assis sur ma chaise, je guette l'arrivée de cette personne qui occupe toutes mes pensées depuis huit longues années maintenant. Je les laisse s'installer sous les rires de la jolie blonde. Elle a une joie de vivre impressionnante. Je me lève ensuite et viens m'asseoir sur la chaise à côté de lui, ne le quittant pas des yeux. Ils font tous les deux abstractions de ma présence.

- Victor.

Il ne tourne même pas la tête vers moi, mais s'arrête dans ses mouvements, le regard fixé sur son assiette. Ce qui n'est pas le cas de Léa.

- Qu'est-ce que tu veux encore ?

- Redescends, gamine. J'ai besoin du résumé du dernier livre de littérature.

Je ne la regarde pas dans les yeux, ne voulant pas décrocher une seule seconde ma concentration de lui. C'est le seul moment où je peux vraiment l'admirer sans pour autant montrer ce que je ressens. Et j'aime le regarder.

Il souffle bruyamment pour finalement plonger son magnifique regard bleuté dans le mien. Mon cœur fait un sursaut et je m'efforce de rester impassible. C'est tellement difficile de paraitre insensible. Il est toujours habillé de petites chemises bleues qui soulignent les formes de ses bras et de son torse, des jeans légèrement évasés et ses petites lunettes noires sur le nez. Je me l'avouerais jamais, mais ses lunettes ont un certain effet sur mon pauvre corps.

- Est-ce que tu sais au moins le titre du livre ?

- Pourquoi faire ? Tu es là pour ça.

Léa ouvre la bouche mais je lève ma main pour la faire taire. Il lève les yeux au ciel en arrêtant de me regarder. J'aime bien être méchant, ça m'évite de culpabiliser. C'est bizarre, je sais.

- Passe chez moi après les cours.

- T'es le meilleur.

Je tape de la main sur la table avant de disparaître aussi vite que je suis venu. Je ne veux pas rester trop longtemps pour ne pas vouloir déballer tout ce que j'ai sur le cœur.

- Tu l'évites encore ?

- Ta gueule.

Je me rassois sans grâce sur ma chaise pour jouer avec ma nourriture. Je n'ai pas faim. Je me sers de lui parce que je n'aime pas bosser et parce que c'est ma seule excuse pour lui parler.

- Arrête de déprimer, c'est contagieux.

Je le pousse légèrement, le sourire aux lèvres. Ce garçon est une vraie perle jamais je n'aurais avancé sans lui. Je me mettrais des baffes pour être aussi sentimentale. Je ne m'approche pas souvent de Victor, ce n'est que trois mots, mais ça me permet de conserver un semblant de proximité.

Après les cours, je me dirige directement au centre d'entraînement pour pouvoir me défouler. Je commence les étirements avec deux autres gars de mon groupe de poids, enchainant les exercices de souplesse puis les premiers coups contre mon adversaire. Vient ensuite mon pur accès de rage sur des sacs de sable, avant de faire des combats contre les deux mêmes garçons. La boxe française me permet de donner des coups de pieds et de faire travailler l'ensemble des muscles de mon corps.

Je ne prends pas la peine de prendre une douche et court tranquillement jusqu'à chez moi, enfin jusqu'à la maison juste à côté de la mienne. Je sonne à la porte, piétinant sur place, l'angoisse montant en moi. Sa mère ouvre la porte avec un grand sourire, comme à chaque fois qu'elle me voit. Malgré notre éloignement, sa mère m'a toujours accueillie avec beaucoup d'entrain. Je lui rends toujours son sourire pour la simple et bonne raison qu'elle est incroyablement gentille et que si je veux avoir une chance un jour avec Victor, il faut que je m'entende avec sa mère.

Je monte ensuite les escaliers, travers le couloir pour m'arrêter devant la porte de sa chambre. Je ne prends pas la peine de frapper, sachant qu'il passe ses journées à bosser, ça ne surprend pas de le voir couché sur son bureau, un stylo à la main. Je referme la porte derrière moi puis vais m'asseoir sur son lit, le regard fixé sur son avant-bras bandé par l'effort de son poignet.

Il prend un paquet de feuille sur son bureau et me les tend, toujours sans se retourner. Il joue la carte de l'indifférence depuis tellement longtemps. J'aimerais pouvoir lui dire ce que je ressens. Je les prends mais bizarrement, je n'arrive pas à m'en aller. Avec la plus grande lassitude qu'il peut y avoir dans son regard si impressionnant, il pivote vers sa droite et me regarde avec beaucoup de mépris. Je reste froid et distant.

- Tu vas rester planté là encore longtemps ?

Mon visage ne laisse rien paraitre parce que je risque d'exploser. Son regard me déshabille de la tête aux pieds, faisant monter la tension en moi. Je me maudis d'être si sensible à ses magnifiques iris couleur glace.

Je n'arrive pas à le cerné. Depuis que je l'ai laissé tomber, j'ai aussi perdu la capacité de le comprendre. Je ne le connais plus. Je tourne la tête pour arrêter de le fixer. J'ai trop honte d'admettre qu'il me plait autant. Mais je ne peux pas lui dire. Pour tellement de raisons.

Au lieu de le fixer, je regarde la photo de nous deux à sept ans parmi toutes celles accrochée sur son mur. C'est la seule de nous deux, c'est la seule que j'ai moi-même gardé. Elle me rappelle tellement de souvenirs que je ne veux pas oublier.

J'ouvre la bouche puis la referme incapable d'aller plus loin dans mes perspectives, je suis coincé dans mes tourments, la noirceur de mon âme. Je ne peux pas le corrompre.

- Dit à ta copine d'arrêter de tourner autour de Jules. Elle le soul.

Il se retourne de nouveau sur ses cahiers en faisant abstraction de ma présence.

- Il n'a qu'à lui dire lui-même. Je ne suis pas un pigeon.

Je respire un bon coup et me lève pour m'en aller mais me retourne sur le pas de la porte. Il revient vers moi visiblement à contre cœur.

- Non, tu as raison.

- Arrête avec ta fausse modestie. Si je ne te servais pas à tricher, tu ne prendrais même pas la peine de me parler. Ne me fait pas croire que je compte un tant soit peu à tes yeux. Il est finit ce temps-là.

- Bel et bien finit.

J'avale ma salive comme je peux, difficile d'entendre ces mots.

Je passe une très mauvaise nuit. Mes cauchemars m'ont hanté pendant des heures en plus de mes maudites pensées saugrenues à propos de mon voisin. Mon humeur de chien se répercute sur toutes les personnes qui m'entoure, au point que je fasse des conneries. Je n'ai jamais été aussi tôt au lycée et tout le monde me colle.

- Alors, Hugo, tu as prévu quoi pour ta soirée ?

- Je n'en sais rien.

Tous me regardent avec des airs de chien battu. Je suis énervé, Victor semble prendre la chose très bien alors que moi, je boue littéralement sur place, j'ai presque envie de lui sauter dessus et ça me fou en rogne.

- Qu'est ce qui t'arrive ?

- Je le déteste.

La fille qui me dévore des yeux depuis dix minutes pose sa main sur mon bras.

- Qui ça ?

- Victor. Il a... il a... (Jules plisse les yeux et moi je ne sais pas quoi trouver pour me vengé de n'avoir pas dormi) Il a essayé de m'embrasser.

La jeune fille ouvre de grands yeux, avant de s'éloigner pour prendre son téléphone. Rumeur lancée, il n'y a plus qu'à attendre.

- Il n'a pas fait ça, pas vrai ?

Je lance un regard noir vers mon meilleur ami qui lève les bras en signe de reddition et replonge sur son portable. Il a un vrai problème avec son mobile mais je le comprends. Il s'inquiète et si j'avais des problèmes comme lui, je pense que j'aurais le même comportement.

À travers les grandes baie-vitrées du lycée, je vois Victor sortir du bus. À peine il met un pied sur le sol qu'un garçon que je connais bien le pousse sans ménagement et son sac se retrouve à terre. Il le récupère vite fait avant qu'il ne soit complètement trempé. J'ai peut-être fait une connerie. Je m'en vais directement en cours, ne voulant pas voir le carnage qui va s'en suivre. Il ne faudrait pas que j'éprouve des remords. Dans les couloirs, tout le monde parle de la rumeur que j'ai répandue et ça ne risque pas de se tarir.

Pendant les cours, ça ne s'arrête pas. Il reçoit des projectiles et personnes n'est vraiment concentré sur les cours. Je me demande vraiment comment il fait pour rester si impassible avec tout ça. Il a une force psychologique tellement impressionnante, je suis bluffé. Au self, Louis passe près de lui frappe dans son plateau qui s'écrase sur le sol, aussitôt une fille balance le sien sur lui sans aucun ménagement recouvrant une bonne partie de ses vêtements avec cette bouillie immonde qu'ils nous servent.

Il ne prend même pas la peine de ramasser le désordre et déguerpit sous les rires de toute l'assemblée. Léa voit rouge et sert son plateau au point où j'ai peur qu'elle ne le brise en deux.

- TAISEZ-VOUS !

La cantine devient soudainement très silencieuse. Jamais je n'ai trouvé cette pièce aussi morbide. Tout le monde à les yeux rivés sur elle alors que ses larmes dévalent ses joues sans discontinuer.

Jules assis à côté de moi à littéralement lâché son portable pour dévisager la jolie blonde debout au milieu de la pièce. Il est dans une position bizarre, comme s'il était prêt à se lever pour aller la consoler. J'avais peut-être tords qu'en a son indifférence.

- Vous êtes tous stupides ! Laissez-le tranquille !

Elle pose son plateau plein sur le tapis qui nous sert à desservir et disparait à son tour. Je me lève subitement sous les regards interrogateurs de ma tablée et suis les deux blonds.

Je cherche un peu partout dans le bâtiment et le trouve sous un pent du toit à l'étage, complètement recroquevillé sur lui-même, ses écouteurs dans les oreilles. J'ai l'air d'une ordure mais c'est la seule chose que j'ai trouvé pour faire passer mes tourments nocturnes. S'il le savait, je pense qu'il serait encore en colère contre moi qu'il ne l'est déjà.

Quand il se rend compte de ma présence et qu'il pose les yeux sur moi, son premier réflexe est de reculer. Peine perdue avec le mur dans son dos. Il se relève finalement, plongeant presque l'entièreté de son visage dans la pénombre. Je prends mon air dur avant de poser la seule question qui me travers l'esprit.

- Ça fait mal, hein ?

- De quoi tu parles ?

J'avance vers lui ce qui le fait reculer jusqu'à plaquer son corps contre le mur. Je ne m'arrête pas là, jusqu'à le dominer de toute ma taille et approche mon visage de sorte que nous soyons qu'à quelques millimètres l'un de l'autre. Je sens mon cœur commencer une course dans ma poitrine. Je suis peut-être trop près, ma tête m'en tourne tellement que j'ai envie de combler cette distance qui sépare nos deux bouches.

- D'être la cible de tout le monde.

Je ne sais pas pourquoi je dis ça, je ne l'ai jamais vécu donc je ne peux pas savoir, mais je veux savoir ce qu'il ressent vraiment au fond de lui.

- J'ai l'habitude...

Un sourire à la limite du sadisme se dessine sur mon visage. Je suis heureux de savoir à quel point il est fort, à quel point il peut s'en sortir face à n'importe quelle situation, barrière qui se mettra sur son chemin. Il est ma force, ma raison de vivre et je sais que malgré toutes les injustices qu'il subit à longueur de journée, il ne se laissera jamais abattre.

- Te fou pas de moi. Je suis sûr que ça faisait longtemps que tu n'avais pas ressentis ça. Cette humiliation permanente tout ça parce que t'es une putain de pédale.

Bon, j'aurais pu me passer de cette réplique parce qu'au fond, je sais que j'attise son tourment. Je préfère qu'il me déteste plutôt que de vivre avec le moindre espoir qu'on redevienne ami. Pour intensifier mais parole parce que j'ai aussi une réputation à entretenir, je lui envoie un coup de poing en pleine figure, faisant voler ses lunettes sur le sol.

J'ai mal à la main, mais je garde ma douleur au fond de mon être. Lui, il s'étale sur le sol, la main sur sa figure. J'avale ma salive difficilement et m'accroupie devant lui. Sa peur est lisible sur l'ensemble de son corps, il tremble comme une feuille.

- Ne t'avise plus jamais de me parler comme tu l'as fait hier.

Je me relève et déguerpie avant de culpabiliser. Je retrouve Jules dans le couloir. Il semble complètement stressé par quelque chose qui m'échappe, comme sa réaction tout à l'heure dans le self. Nous nous installons à notre place de d'habitude et je sors mes cours mais surtout mon calepin pour dessiner le seul visage imprimé sur ma rétine.

Quand il entre dans la classe, l'énorme hématome sur sa joue attire toute l'attention. Léa écarquille les yeux et commence à lui parler à voix basse. Jules me fait les gros yeux mais je n'y prête pas attention. Ce doit être le seul garçon de mon entourage qui n'éprouve pas la plus grande homophobie que je n'ai jamais vue. C'est peut-être pour ça qu'il est mon meilleur ami.

Le prof dévisage Victor avant de passer à autre chose. Il lui demande même de rester à la fin de cours. J'aurais dû viser le ventre, ça ne se serait pas vu. Je rentre finalement chez moi en essayant de ne pas penser plus que ça à ce que j'ai fait toute la journée.

Je me dirige directement vers la salle de jeux pour jouer à la console. Mon père vient me rejoindre comme un vrai gamin. Je le soupçonne de s'entrainer en douce, parce que plus le temps passe et plus son niveau augmente considérablement. Quand je le regarde jouer avec moi, je me demande ce qu'il se passerait s'il savait ce que je suis vraiment. Il a tellement de préjugé sur les gays que je ne saurais pas comment il réagirait. Il a si souvent plaisanté avec moi à propos de ça, que je pense qu'il se sentirait plus que mal d'apprendre qu'il se moquait de moi sans le vouloir.

Quand ma mère rentre enfin de son boulot, mon père m'abandonne et moi je retrouve le confort de ma chambre, histoire de faire semblant de bosser, pour finalement surfer sur le net.

De la lumière provenant de la maison d'à côté m'interpelle et je remarque à travers la fenêtre, la petite bouille de la jolie blonde. Je suis heureux qu'il est trouvé quelqu'un d'aussi loyal que Léa. Je ne reviens toujours pas du hurlement qu'elle a poussé dans le self. Il ne le saura peut-être jamais mais cette fille est la meilleure chose qui lui soit arrivé dans la vie.

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Voilà.

Je pense publier tous les mardi, jusqu'au chapitre 10, environ.

Si je n'ai pas assez avancé dans le point d'Hugo, je publierais une semaine sur deux jusqu'à ce que je sois arrivée à la fin ou presque.

En attendant j'espère que vous avez aimé le début et que vous continuerez à lire.

N'hésitez pas à me poser des questions, à réagir.
Bonne lecture...

Aurore😘❤️

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