Convalescence
22 décembre
Mon estomac est toujours en déroute. Je passe ¾ d'heure à mâcher avec soin un morceau de pain et je prends la moitié d'un yogourt. Rien ne reste dans mon estomac. Stop ! Ça suffit ! J'en ai marre de vomir, de ne plus pouvoir manger. Je décide d'arrêter les médicaments. Peu importe ce que diront les médecins. Marie-Michèle va à la pharmacie chercher des globules homéopathiques contre les nausées et les vomissements.
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23 décembre
Mon amie Nadia m'emmène de nouveau à l'hôpital universitaire, avec Marie-Michèle, pour enlever les fils et recevoir les résultats des analyses.
« Il n'y avait pas de tumeur. On n'a rien trouvé au microscope. Très probablement, tout a déjà été enlevé au curetage. Dans ces conditions, ce n'est pas nécessaire de faire une chimiothérapie, ni de radiothérapie, mais un contrôle tous les 3 mois. » J'éprouve joie et soulagement. C'est un beau cadeau de Noël, comme une deuxième vie que j'accueille avec reconnaissance.
Je vais au travail apporter mon certificat-maladie. J'avance tout doucement. Je prête attention à une dame âgée qui marche péniblement et vient dans ma direction.
Elle : - Vous avez eu un accident ?
Moi : - Non, une opération.
Elle : - Ah ! Quand je vois que vous n'êtes pas au travail dans ce temps de stress, je pense qu'il y a eu quelque chose.
Je lui explique... et lui dis que j'ai reçu une nouvelle vie.
Moi : - Et vous ? Vous avez mal à un genou ?
Elle : - J'ai fait une hémorragie cérébrale il y a 20 ans.
Moi : - Alors vous aussi, vous avez reçu une nouvelle vie il y a 20 ans !
Arrivée au magasin, j'observe de loin ma cheffe, qui travaille dans mon rayon. Je l'apprécie beaucoup. Il y a de l'estime et de l'affection réciproques. Elle me dit : « Ce matin, j'aurais pu pleurer : les clients ouvrent tout, déchirent tout, sans respect. » Je comprends tellement bien ce qu'elle ressent. Je suis sûre qu'elle fera tout son possible pour que je trouve tout en ordre à mon retour.
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24 décembre
Je reste tranquille à la maison. J'économise mes forces pour aller le soir à la messe avec notre sœur Simone. Cette année, Noël a pour moi le goût de Pâques.
On entre dans l'église comme dans la grotte de Bethléem. Partout dans la pénombre scintillent des lumignons. La chorale « Effata » et le chœur des enfants se préparent. Beaucoup d'enfants mettent une ambiance joyeuse et fébrile. Les enfants reçoivent une plume et un lumignon qu'ils apportent à la crèche. Pour les adultes, une corbeille passe dans les rangs, non pas pour donner de l'argent, mais pour recevoir quelque chose. Chacun est invité à tirer un signet, une parole - différente pour chacun - qui va nous accompagner pendant l'année. Voilà ce que je reçois : « Accepter la simplicité. Ce qui rend plus beau. » Sur le signet est fixée une plume, symbole de la fragilité :
* la fragilité de l'enfant dans la crèche
* la fragilité de Noël
* la fragilité de la foi
* la fragilité de la vie
* ma fragilité d'aujourd'hui.
Et nous sommes invités à prendre soin de ce qui est fragile.
Nuit de Noël. Je ne suis pas bien. Couchée, je ne suis pas bien. Debout, je ne suis pas bien. Je passe une partie de la nuit à tourner dans l'appartement. Mon ventre est comme un ballon. Je n'arrive pas à éliminer tout ce gaz qu'on m'a injecté. La tisane de fenouil n'a aucun effet. A quatre heures du matin, je me recouche enfin. Je suis réveillée en sursaut à 7 h 45 par une de mes sœurs qui entre bruyamment dans l'appartement. J'ai l'impression d'un tremblement de terre. Pourquoi ? Nous avons convenu de prier ensemble à 10 h. En moi montent ressentiment et colère. Je commence plutôt mal ce jour de Noël ! Je ne dors plus. Plus tard, je découvre que ma sœur a apporté de la tresse et du bon pain. Mais peu m'importe. A la prière, je suis tellement fatiguée que je lutte contre les larmes, des larmes de fatigue. Je retourne me coucher. Prendre soin de la fragilité !
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26 décembre
Un nouveau problème surgit sans crier gare. Je suis en train de devenir incontinente ! Aujourd'hui, au retour d'une promenade à tout petits pas, je constate que mon protège-slip est mouillé.
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27 décembre
Après le repas de midi, alors que tout le monde est à la sieste, je range la vaisselle avec une amie et je sens que du liquide coule le long de ma jambe. La serviette hygiénique est trempée : ça déborde de partout. J'ai un doute : qu'est-ce que c'est, ce liquide ? De l'urine ou autre chose ? Ça vient de la vessie ou du vagin ? Je m'assieds sur les toilettes et écoute le « tic-tic-tic » du liquide qui s'écoule goutte à goutte. Plus tard, ça se calme. Le beau-frère de Marie-Michèle, médecin, me dit au téléphone qu'après une opération gynécologique, il peut arriver qu'un hématome s'en aille - mais alors il y a du sang - ou bien ce peut être aussi un liquide comme du sérum qui s'est accumulé sous la peau. Il me dit d'observer...
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28 décembre
Aujourd'hui dimanche, après le repas de midi, le liquide recommence à couler. Je m'inquiète.
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29 décembre
J'essaie de boire beaucoup de thé et je vais acheter des protections pour l'incontinence. Plus aucun doute : c'est quand je suis debout que les pertes se déclenchent. J'ai envie de pleurer et je me sens seule.
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30 décembre
Je téléphone à l'hôpital et j'obtiens un rendez-vous l'après-midi même. Entre deux examens gynécologiques, le médecin m'envoie à la cafétéria boire un litre d'eau. Il arrive à la conclusion que ce sont les ganglions qu'on a coupés qui libèrent beaucoup de liquide. Ça peut durer trois à quatre semaines. Ce médecin sait me mettre à l'aise : « Le sang, l'urine, les selles c'est notre pain quotidien ! C'est bien que ce liquide s'écoule : ça évite les infections. »
Dans le tram, au retour. Un jeune homme veut me céder sa place. Je refuse gentiment. A l'arrêt suivant, quelqu'un descend et je m'assieds. « Vous savez, Madame, ma maman m'a toujours dit de laisser ma place à des personnes plus âgées. » Je lui tends un caramel pour le remercier. Son copain d'en face - une bière dans une main - me tend l'autre main. Deuxième caramel. Et je glisse tout bas à l'aimable jeune homme : « Je m'étais acheté ces caramels pour me consoler, car on m'avait diagnostiqué un cancer : maintenant c'est bon, je suis guérie. »
« Super ! Vous avez sûrement une forte personnalité ! Il faut cultiver les pensées positives. »
Et il sort de son sac une petite gourde. « Moi, pour me donner du courage, j'ai besoin d'alcool. Vous en voulez ? »
Je n'ose pas accepter. Mais je me réjouis de cette belle rencontre avec ces deux jeunes un peu paumés.
Merci, mon Dieu, pour les rencontres d'aujourd'hui !
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31 décembre
J'ai mal à la tête. Et si je faisais une hémorragie cérébrale, avec ces piqûres pour éclaircir le sang ? Je pense à papa, décédé d'un accident cardio-vasculaire. Tous les soirs, je stresse avec ces piqûres à faire soi-même. Je n'ai vraiment pas une vocation d'infirmière !
Une année se termine. « Qu'est-ce qui en reste ? L'amour reçu et donné. »
La parole du jour, François Lamon
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3 janvier 2015
En ville, je rencontre Jacqueline : « J'ai passé Noël à l'hôpital de façon tout à fait imprévue. Le cardiologue m'a dit que j'étais le miracle de Noël. »
Je partage aussi un moment avec Tatiana, ex-collègue de travail, bipolaire. « Je viens de passer deux mois très difficiles. J'ai souvent fait des crises maniaques. C'est difficile de régler les médicaments. J'ai fait une demande à l'assurance invalidité pour une rente complète. » Et elle ajoute : « Chacun a un sac à dos à porter. » Chacun sa fragilité.
Et moi, ce soir, je m'inquiète pour tout ce liquide lymphatique qui s'écoule de mon corps et me semble devenir toujours plus abondant.
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5 janvier
Je pars pour deux semaines chez ma sœur Christine. Je me réjouis de retrouver la famille et le soleil.
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10 janvier
Une bonne nouvelle : les pertes de liquide lymphatique ont cessé aujourd'hui, aussi brusquement qu'elles avaient commencé. Étrange. J'ai peine à le croire. Je me retrouve du jour au lendemain sèche, très sèche. Quelle bonne surprise !
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16 janvier
Je vis ces 15 jours de repos comme une parenthèse
* hors du temps
* hors du bruit
* hors de la communauté
* hors des soucis quotidiens
* hors du monde
* hors de tout
* hors de Dieu ? Non, mais il est quand même un peu en marge.
Je passe le temps à dormir, manger, lire des romans, marcher au soleil, prendre soin de moi, jouer avec le chien, regarder la TV, hors de tout ce qui fait ma vie habituelle.
Je fais quelques visites :
* chez Claudia et Christophe
* chez Monique, avec Marie-Claude
* chez Samuel et sa femme.
Chacun porte son sac à dos de soucis et d'espoirs.
Et le monde continue de tourner. La TV nous parle des attentats terroristes à Paris, des soucis financiers... Je me sens loin de tout.
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17 janvier
Je rentre à la maison. Il me reste quelques jours avant de reprendre le travail. J'espère que tout ira bien.
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23 janvier
Ce matin, je me lève avec un doute : et si le cancer était aussi ailleurs dans mon corps ?
Mercredi, Sœur Viviane m'a dit : « Je te trouve mauvaise mine. » Hier, Marie-Michèle me demande si j'ai repris du poids. Je lui réponds que ce n'est pas ma préoccupation de monter sur la balance. « Fais-le pour moi. » Donc, elle a une préoccupation ! La balance me montre 47-48 kilos. Ce n'est pas beaucoup, mais quand même stable.
Je n'ai pas bonne mine, c'est vrai. Surtout, je n'ai pas encore vraiment repris des forces, même si ça va mieux. Je suis vite fatiguée. Et j'ai un peu peur en pensant à la reprise du travail la semaine prochaine.
Ce qui est sûr, c'est que ma vie aura une fin. J'en ai pris conscience. Ma vie est fragile. Je désire vivre AUJOURD'HUI à plein !
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26 janvier
J'ai un rendez-vous de contrôle chez le gynécologue. Tout est OK. Je demande si je peux prendre un bain, faire de la gymnastique, car je suis tellement raide ! « Tout ce qui vous fait envie. » Je m'en réjouis. Et je commence tout de suite, l'après-midi, avec une bonne marche d'une heure dans la neige avec mon amie Rita.
Pourtant une petite phrase du médecin aurait dû attirer mon attention : « Vous avez encore du liquide dans le ventre. » Je l'ai pris comme une constatation. Je n'ai pas posé de question. Je regrette maintenant de n'avoir pas demandé : « Qu'est-ce qui va se passer avec ce liquide ? »
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