Annexe 3 : lettre aux amis après le deuxième séjour à la Feldbergklinik

11 février 2017, Notre-Dame de Lourdes

Ce matin, les lectures du jour me parlent particulièrement.

« Je vais faire couler vers elle la paix comme un fleuve. Comme un fils que sa mère console, moi aussi je vous consolerai. Votre cœur se réjouira et votre corps sera florissant comme l'herbe. » Isaïe 66

« Seigneur, tu as été un refuge d'âge en âge. Ils (les humains) sont pareils à l'herbe qui pousse. Le matin, elle fleurit et pousse. Le soir, elle est fanée, desséchée. » Psaume 89 (90)

La multiplication des pains : « Prenant les 7 pains, Jésus rendit grâces, les rompit » et les partagea. Marc 8

Je voudrais aussi rendre grâces et partager.

J'ai donc retrouvé des lieux qui me sont devenus familiers, plus ou moins les mêmes visages dans le personnel, et quelques visages connus parmi les patients.

A la première visite médicale, le médecin regarde et palpe d'abord... les orteils ! Pour lui, les signes de la maladie sont clairs, alors que moi, je ne vois rien. Les jambes vont assez bien : grâce à la thérapie, aux collants de compression et au mouvement, j'ai pu maintenir un état satisfaisant. Par contre, la situation s'est détériorée dans le bas-ventre et la zone génitale. Je vous passe les détails. La thérapeute va faire tout son possible ces jours-ci pour essayer d'améliorer un peu mon état. Mais il n'y a pas de miracle. Je suis devenue une malade chronique. Je ne peux pas guérir. Je peux seulement faire tout mon possible pour me maintenir en forme et sauvegarder les acquis.

Je pense que les médecins ici ont tendance à exagérer un peu les situations pour 2 raisons :

1) Les caisses-maladie en Allemagne ont un nouveau règlement, plus strict, qui n'autorise plus de thérapie suivie de longue durée pour les malades de stade 2. Après une série de séances, ils doivent interrompre la thérapie pendant 3 mois, ce qui est très mauvais, mais c'est une question d'argent. Pendant cette interruption, l'œdème augmente, peut devenir dur = FIBROSE = stade 3, irréversible. Et c'est seulement les malades de stade 3 qui peuvent avoir une thérapie de longue durée. On fait une exception pour les malades de stade 2 qui font une demande bien documentée et appuyée par le médecin. Mais les médecins ont une limite de budget pour cela, et s'ils la dépassent, ils doivent payer eux-mêmes la facture, si j'ai bien compris !

2) Peut-être les médecins veulent-ils aussi un peu effrayer les patients pour qu'ils soient plus assidus à suivre une thérapie, à porter les collants et à faire du sport ?

12 février 17

Aujourd'hui je vous parle des patients.

Il y a plus de femmes que d'hommes. Des femmes fortes et de fortes femmes. Des personnes de tous âges. Beaucoup d'Allemands, mais aussi une Française, des Italiens, 2 femmes de Moscou... et bien d'autres.

* Le dimanche de mon arrivée, j'ai vu une dame âgée habillée en gris avec une grande croix. J'ai pensé : « Tiens, cette année, je ne suis peut-être pas la seule bonne sœur. » Mais le lendemain, cette dame ne portait plus de croix et était habillée en rose. Nous avons fait plus ample connaissance. Elle a 88 ans et est pasteure évangélique retraitée. Elle souffre d'un œdème aux jambes après l'opération de la matrice il y a bien des années.

* Fatma, de Turquie, vit en Allemagne. Elle et son médecin ont découvert sa maladie seulement après un très fort érysipèle (complication fréquente de l'œdème lymphatique) suite à une piqûre de moustique ! Elle est d'une bonne humeur communicative.

* Madame X souffre d'un œdème lymphatique au bras après le cancer du sein. Elle est venue ici avec sa vieille maman aveugle, qu'elle guide partout, en marchant derrière elle, tout en la tenant par la taille.

* Monsieur Y est un géant qui marche penché en arrière avec le corps tout déformé sur l'avant. Ça fait mal de le voir.

*Tina a 29 ans. L'œdème lymphatique est apparu soudainement à la jambe gauche il y a 7 ans. Depuis lors, sa jambe a doublé de volume : elle porte un collant de classe 3 la journée et un collant de classe 2 la nuit ! Elle a dû interrompre ses études d'architecte et travaille aujourd'hui avec sa maman dans l'entretien d'un cimetière.

* Andrea fume cigarette sur cigarette, assise devant la porte arrière, au coin des fumeurs. Dans son village, elle souffre du regard des autres et n'ose pas sortir. Elle a déjà perdu 7 litres de liquide depuis qu'elle est là. Et quand elle me le dit, une petite lumière brille dans ses yeux.

Nous avons peu de temps pour faire connaissance les uns avec les autres, car chacun est bien occupé avec les différentes activités proposées. A table, nous avons une place fixe qui ne permet pas de connaître les autres. De mon côté, je suis parfois freinée par des questions de langue (il y a des accents difficiles) et une certaine timidité ou gêne : comment aborder de façon juste des personnes très déformées ? Je me sens gauche et mal à l'aise, d'autant plus que, sur mon corps, on ne voit rien de la maladie.

Et les thérapeutes ?

L'année dernière, j'étais chez Natalia, une jeune Polonaise de 23 ans, qui a maintenant quitté la Feldbergklinik. Dans la même pièce travaillait Maria, de Pologne elle aussi. Cette année, je suis chez Maria. Elle a 36 ans. D'abord laborantine, elle a suivi une formation de physiothérapeute, a travaillé des années dans son métier avant de venir apprendre le drainage lymphatique à la Feldbergklinik, où elle est restée. Elle a de petites mains et a déjà été opérée du tunnel carpien. Elle pense qu'elle ne pourra pas exercer ce métier toute sa vie à cause de la forte sollicitation demandée aux mains. Elle rêve d'une nouvelle formation pour travailler avec des enfants. Souvent, dans sa bouche, vient l'expression « Schicksal » (destin). Elle m'a demandé : « Vous croyez au destin ?» Je lui ai répondu : « C'est quoi, le destin ?» Elle m'a parlé des cartomanciennes, des coups durs dans la vie, que tout est écrit d'avance, que Dieu sait tout. Je lui ai dit que je ne pense pas que Dieu est responsable des coups durs, et que, dans la vie, il y a des choses qu'on ne peut pas changer (comme par exemple notre famille, notre pays) mais nous sommes responsables de nos choix. Elle semblait douter. Je lui ai posé la question : « Et notre liberté ?» Elle a reconnu que c'était une question difficile. Et je pense que nous allons poursuivre cette conversation. Maria va avoir des congés et j'aurai un ou une autre thérapeute les 3 derniers jours.

Le week-end, il n'y a pas de thérapie mais seulement un service de bandages. Hier, j'étais chez Renate qui travaille ici depuis 17 ans, et aujourd'hui chez Annett, qui est depuis 27 ans à la Feldbergklinik. Les 2 ont fait très bien les bandages. Annett a ri en voyant mes chevilles qui ressemblent à des allumettes. Elle se demandait où était l'œdème. Quand je lui ai expliqué, elle est devenue sérieuse et m'a dit : « C'est le plus difficile à traiter. » Elle a ajouté : « Il faut comprendre où est le blocage pour pouvoir agir efficacement. » Et encore : « N'abandonnez pas. Parfois on arrive à trouver d'autres chemins pour la lymphe... » Ça me laisse un peu perplexe !

Je termine cette lettre à la fin de mon séjour...

Maria, la thérapeute, avait des heures supplémentaires et est partie en congé. Je vais chez Karl, qui travaille tout autrement. Hier, les bandages étaient mal faits sur la jambe gauche. Ça sciait sous le genou et sur le haut de la jambe. Je n'ai pas pu beaucoup marcher. Je suis un peu déçue. Maria avait de toutes petites mains. Karl a des mains très grandes et des bras pleins de tatouages. Chez Maria, jacinthes, orchidées et cactus foisonnent. Chez Karl, des photos de motos de musées ornent la pièce. Chaque thérapeute a « sa » méthode de travail et c'est parfois un peu déroutant. Karl m'a parlé de ses différentes expériences de vie et de travail, en oncologie, en gériatrie, dans l'accompagnement des mourants. En une heure et demie de thérapie par jour, il y a du temps pour de bons échanges.

Aujourd'hui, on mesure l'œdème en vue du rapport final. Je me réjouis de quelques millimètres en moins sur les jambes. Le reste n'est pas mesurable.

J'ai de nouveaux voisins après le départ de Léa et de sa grand-mère. Léa est une petite fille de 4 ans qui était venue avec son grand-père pour visiter sa grand-mère en traitement longue durée ici. Léa était un rayon de soleil. Elle est restée quelques jours et a enchanté tous les patients avec sa fraîcheur.

Ma nouvelle voisine est une dame croate qui travaille en Allemagne dans un hôpital tenu par des sœurs.

Et mon nouveau voisin est un officier allemand qui n'arrête pas de parler de son pèlerinage à vélo à Saint Jacques de Compostelle en 2003. C'est un homme passionné par les icônes russes.

Mon séjour touche à sa fin. Je n'ai pas atteint tous les buts que je m'étais fixés. Le chemin continue. Souvent je pense à toutes les personnes qui n'ont pas ces possibilités de soins. Je suis une privilégiée. Et je suis reconnaissante pour tout ce qui m'a été donné pendant ces quelques jours.

Par cette lettre, j'aimerais rejoindre chacun et chacune de vous avec mon amitié et ma prière.


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