Tredici

Valentino

Pas facile de se débarrasser du pot de colle autrement qu'avec une balle en pleine tête. Allegra est une tigresse qui semble avoir jeté son dévolu sur moi, et elle ne cache même plus son intention : m'attirer dans son lit.

Pourquoi elle fait ça sous les yeux de sa propre sœur, je n'en ai aucune idée.

Famille de dingues, je répète. Et moi je tente de m'acclimater.

Pour échapper à ses mains baladeuses – et éviter d'être trop tenté de lui couper les doigts – j'ai trouvé un prétexte. J'ai rejoint Mikaëla et lui ai proposé de faire un tour de grande roue. Mouais, cliché.

Enfin l'idée de base était simplement de l'accompagner dans la file et ensuite d'aller m'installer sur un banc pendant qu'elle fait son petit tour en célibataire.

Sauf que quand je lui ai dit que je n'avais pas vraiment l'intention de monter dedans, elle a fait cette tête : lèvre du bas en avant, regard de chien battu, air déçu. Elle voulait sincèrement monter, mais pas seule.

Me voilà maintenant coincé avec elle dans une nacelle, Mikaëla agrippée à moi comme si sa vie en dépendait, son visage enfoui dans mon épaule, ses bras serrés autour de mon torse.

— Si t'as peur du vide, pourquoi t'as voulu monter là-dedans ?

Elle ferme les yeux plus fort, comme si ça allait l'empêcher de sentir la nacelle bouger sous le vent.

— Parce que... j'en ai jamais fait et que... je voulais juste essayer, me confie-t-elle. Tu en as déjà fait toi ?

Je me contente d'opiner légèrement tout en gardant pour moi comment s'est terminée ma dernière virée dans une nacelle de ce type. La situation était bien différente. Elle avait impliqué un homme pendu dans le vide, mes mains agrippées aux siennes pour ne pas chuter, Hunter qui avait stoppé le manège, des menaces et des aveux bien trop rapides. Rien de vraiment... romantique.

Soudain, la nacelle s'immobilise dans un léger balancement. Elle sursaute. Me pince en voulant s'accrocher encore plus à mon bras.

— Tu as conscience que si on tombe, que tu sois accrochée ou non à moi, n'y changera rien, n'est-ce pas ? On finira quand même écrasés en bas.

Elle hoche frénétiquement sa tête contre ma veste. Et moi je profite du calme pour admirer la vue. Les lumières du village de Noël juste en dessous de nous, les montagnes qu'on distingue sous la lueur de la pleine lune, les étoiles qui illuminent le ciel. Pour une fois, je me sens presque... en sécurité. Un comble pour un gars comme moi..

— Si tu voyais ce que je vois..., murmuré-je.

Puis Mikaëla bouge, ouvre ses paupières et, tremblante, ose observer à son tour.

— C'est le début d'un sourire que j'aperçois ?

Il s'étire un peu plus en réponse. Mikaëla est bien silencieuse : fait important pour être relevé. Elle me lâche, se lève, avance son buste pour mieux regarder en bas. Juste à ce moment, la nacelle se met à redémarrer. Son corps bascule, et sans réfléchir, j'attrape sa main, pour la ramener brusquement vers moi.

Elle se retrouve immobile, assise sur mes genoux. Mes mains restent fermement autour de sa taille. Je devrais la lâcher, mais au lieu de ça, je me rends compte que je suis en train d'inspirer son parfum. C'est pas le genre de truc qui m'arrive souvent...

Et là, je m'aperçois que cette position – son corps pressé contre le mien, ses fesses collées à mes cuisses – réveille en moi des envies que je devrais laisser dans mon pantalon. Mes doigts effleurent sa taille, et je la sens frémir. Elle se tortille, cherchant une position plus confortable, mais ne tente pas de fuir mon étreinte.

— Si tu continues à gigoter comme ça, murmuré-je d'une voix rauque, on risque d'avoir un autre genre de problème...

Elle s'immobilise et ajoute, nerveuse :

— Tu crois que si je bouge trop, la nacelle va basculer et on va tomber ?

Elle n'a pas saisi. Je réprime un sourire, amusé par son innocence.

— Hum, oui, on va dire que c'est ça... mieux vaut rester bien tranquille, confirmé-je, jouant le jeu.

Elle acquiesce, soulagée. C'est seulement quand le manège s'arrête qu'elle se redresse.

— C'est fini ! Et devine qui nous attend ? Tout le monde ! Allez, fais un sourire, mon chéri.

Je serre sa main dans la mienne et lui rends son sourire. Lorsqu'on descend de la nacelle, elle se glisse naturellement à mon bras, et ensemble, on avance comme si de rien n'était, comme si on était réellement ce couple qu'ils croient voir.

***

— C'est une chaîne que vous avez autour du cou ? On dirait un chien... enfin, un gros cabot miteux, à genoux, en train de se faire fouetter par le président du groupe Alma, sous le regard terrifié d'une mineure malgache. Joli tableau, non ?

Que j'aime l'art.

Le type à l'autre bout du fil commence à perdre ses moyens. Il bredouille, essaye de négocier, me propose une petite fortune pour que ces photos restent entre nous.

— L'argent ? ricané-je. Vous savez bien que ce n'est pas ce qui m'intéresse, Gio. Ce que je veux, ce sont les infos sur la prochaine vente aux enchères de Gallo. Voyez-vous, une femme... un peu spéciale, m'intéresse là-bas, mais j'ai perdu l'invitation.

C'est déjà le quatrième gars que je menace depuis hier, mais pour le moment, aucun n'a craché le morceau. Soit, ils ne savent vraiment pas quand la prochaine enchère va se tenir, soit ils protègent Luca, mais... dans les deux cas, la liste des noms des personnes traitant avec Gallo sera envoyée aux journalistes.

Celui-ci non plus n'a pas réussi à me renseigner. Sa femme sera ravie de découvrir les clichés de la débauche de son mari, maire de leur ville.

Je vais devoir viser plus haut, plus important. Dans la politique probablement. Je fixe l'heure affichée sur mon téléphone et décide de prendre une rapide pause.

Je rejoins la famille de ma petite fleuriste. Tous attablés, ils rient en partageant le petit déjeuner. Je m'installe à côté de Mikaëla, sa mère me tend une tasse que je prends d'un signe de tête.

— Programme du jour ! annonce Giorgina en se levant.

Tous les visages convergent vers elle, prêts à l'écouter.

— Comme Mikaëla et Valentino sont nos grands gagnants d'hier, c'est à eux que revient l'honneur de choisir la prochaine animation !

Elle tend un pot en verre rempli de petits papiers colorés, que Mikaëla fait glisser entre ses doigts.

— Les papiers verts sont pour les défis créatifs, les rouges, pour les jeux de hasard et les or, jeux d'adresses. À toi l'honneur...

Une fois l'explication faite, Mikaëla me fait passer le pot et je pioche un papier couleur or que je déplie soigneusement.

— La course des rennes.

Tous explosent de joie puis, belle-maman tape des mains en nous donnant rendez-vous dans moins d'une heure pour les festivités.

J'ai le temps de menacer deux ou trois gars.

Le téléphone de Mikaëla vibre sur la table et un nom apparaît : Lorenzo. La fleuriste nous demande de l'excuser et disparaît dans la cuisine afin de prendre l'appel.

— Son ex... Mais ils sont restés assez proches. Si tu veux mon av...

— Non, ça ira, coupé-je la sœur de Mikaëla, mais elle hausse les épaules et continue tout de même.

— Je pense qu'elle a encore des sentiments pour lui...

— Al, gronde Alessandro à ma droite. Arrête ça, tout de suite.

Le pot de peinture se lève, la mine grave et sort du salon prétextant vouloir aller aider ses parents à la préparation du jeu.

— Ne l'écoute pas... Allegra a la fâcheuse tendance de dire tout ce qui lui passe par la tête, sans se soucier des sentiments des autres.

Je ne réponds rien, plonge mes lèvres dans ma tasse de café, lorsque Pepperoni débarque en courant et me saute dessus. Mon tee-shirt se retrouve rapidement imprégné du liquide brûlant précédemment contenu dans ma tasse.

C'est à mon tour de quitter la table, en me retenant de choper le chien et de la foutre dans le four, direction la chambre.

***

J'enroule le rouleau de papier toilette aussi vite que mes mains me le permettent afin de faire avancer mon cheval en plastique – affublé de deux morceaux de bois brinquebalants pour ressembler à un renne. Derrière moi, Mikaëla hurle dans mes oreilles. Elle imagine que ça me motive. Spoiler : si elle continue je vais perdre un tympan !

— Plus vite, Valentino ! On a du retard !

Merci, je n'avais pas remarqué.

Mais évidemment, à force de vouloir aller trop vite, le papier rose à fleurs se déchire. Mon « renne » s'effondre misérablement, et avec lui nos espoirs de victoire. Enfin, ceux de Mikaëla plutôt. Moi je m'en contrefiche. D'ailleurs la nana, aux longs cheveux châtains, lâche un cri de désespoir, déçue.

— Tu as tiré trop fort !

Lylia explose de joie. Nos regards se tournent simultanément vers la gamine qui semble avoir remporté la course. Résultat : son père et elle, finissent ex æquo avec nous au classement.

— Si Monsieur savait enrouler correctement du papier, on n'en serait pas là !

Je m'approche, glisse un bras autour de sa hanche et l'attire contre moi. Mon sourire s'élargit, amusé, tandis que je murmure à son oreille :

— Moi, je suis surtout doué pour dérouler du caoutchouc.

Un frisson lui échappe, mais elle se reprend rapidement. Je dépose un baiser léger sur sa tempe, un geste insolent qui a pour but de la faire rougir, et je recule, ravi de voir ses joues s'empourprer.

Un sourire forcé à l'intention de sa famille de dessine sur son visage, mais Allegra attaque alors que tous s'éloignent du salon pour noter les résultats des « lutins farceurs » sur le tableau :

— Toujours aussi mauvaise perdante.

La remarque fuse, et c'est un tir parfait. Mikaëla se crispe, ses poings se serrent, et elle mord sa lèvre inférieure – probablement pour ne pas envoyer un missile verbal à sa frangine.

Je sens une bouffée de colère monter en moi, un truc primal qui ne me ressemble pas. J'ai presque envie de me lever, d'attraper Allegra dans un coin et de lui faire comprendre une bonne fois pour toutes qu'on ne s'en prend pas à ma petite amie sans en payer les conséquences.

Hein ? Attends... quoi ?

Je me fige intérieurement. Non. Ce n'est pas mon problème. Pas mes affaires.

Je prends une profonde inspiration pour calmer cette montée absurde. Mikaëla n'est pas vraiment ma copine, et je ne suis certainement pas là pour lui jouer les chevaliers servants. Elle est parfaitement capable de se défendre toute seule – enfin... je crois.

Je suis Valentino Lombardi ! Dans mon boulot, je règle des problèmes bien plus graves que des chamailleries entre frangines. Et avec un flingue qui plus est.

Allegra se tourner vers moi vers moi et ajoute :

— Attention, Valentino, ma sœur est capable de mordre pour gagner.

— Tant mieux, j'aime ça ! répliqué-je taquin.


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La course des rennes

Le but est simple : faire avancer votre renne jusqu'à la ligne d'arrivée en enroulant soigneusement le papier toilette sur lequel il se trouve. Attention, le renne ne doit ni tomber, ni se perdre en route, sinon vous serez éliminé. Que le plus habile gagne !

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