Due
Michaela
Un SMS de Mirabella s'affiche sur mon téléphone. Elle me confirme que mon frère a bien terminé son deuxième verre, celui dans lequel elle a discrètement versé le tranquillisant. Parfait. Pendant qu'elle et Mia s'occupaient de l'intérieur, mon rôle à moi était de ramener la camionnette devant le bar, warnings activés, prête à démarrer à tout moment.
Je jette un œil dans la pénombre, stressée. D'après ma blonde de copine, il ne devrait plus tarder à sortir. Et effectivement, la silhouette d'Enzo finit par émerger dans l'obscurité. Capuche sur la tête, il marche en titubant ; direction le parking. C'est maintenant ou jamais.
Mon cœur bat à tout rompre. Je descends rapidement de la camionnette, le taser déjà en main. Je m'approche à pas feutrés dans son dos. Le sweat qu'il porte affiche en grosses lettres son prénom, bien visible sous la lumière tamisée des réverbères.
Sans hésiter, je place l'appareil sous l'inscription du sweat avant de hurler :
— Les mains en l'air, ou je tire !
Distraite par un bruit de poubelle qui tombe – saleté de chat errant – j'appuie par erreur sur le bouton du taser. Une décharge électrique crépite et Enzo s'effondre comme une masse.
— T'étais pas juste censée lui faire peur ? chuchote Mirabella.
Notre troisième complice de crime débarque en riant, amusée par la situation, et nous aide.
Ensemble, elles se penchent pour soulever le corps inerte de mon frère et le traînent vers la camionnette.
De mon côté, je me précipite à l'avant et me glisse derrière le volant, prête à démarrer dès qu'elles auront fini. Dans le rétroviseur, je les vois ligoter l'ombre d'Enzo et lui enfoncer un bâillon dans la bouche. Pas question de prendre le risque qu'il se réveille et me complique la tâche avant d'arriver chez nos parents.
Une fois leur sale boulot terminé, les filles viennent se poster à ma fenêtre, un sourire complice aux lèvres.
— Tu m'avais pas dit que ton frère était aussi canon, lance Mia en se mordant la lèvre tout en faisant glisser son regard sur le corps d'Enzo, étendu à l'arrière.
— Beurk, c'est mon frère, arrête ça !
Elles explosent de rire. Avant de partir, je jette un dernier coup d'œil au rétroviseur. La lumière est bien trop faible pour que je puisse distinguer les expressions sur le visage de mon frère. J'espère au moins qu'il respire.
— Fais attention sur la route ! crie Mirabella en tapant sur ma portière.
En partant, le GPS m'a indiqué une heure et douze minutes. À présent, il n'en reste qu'une vingtaine. J'entends grogner à l'arrière de ma camionnette : Enzo est réveillé.
Je dévie brusquement sur la droite, pour éviter de justesse un cycliste qui grille un stop sans se soucier du danger. La camionnette tangue, mon frangin roule à l'arrière et se cogne contre la taule.
— Oups ! Pardon, ça va là-derrière ?
Grand silence. Normal, il est bâillonné...
— Ah ouais, c'est vrai, tu ne peux pas répondre.
Les filles se sont vraiment cru dans un film d'action. Elles ont joué le jeu à fond. Un peu trop même, mais bon, ce qui est fait est fait. On ne va pas revenir en arrière. Plus qu'une vingtaine de minutes avant d'arriver. Je pourrai lui présenter mes excuses, expliquer le pourquoi du comment et voilà. Il ne va quand même pas en faire tout un fromage... si ?
Un doute s'installe. On a clairement fait n'importe quoi. C'est trop tard. Mais au moins, ça me permettra de lui parler vraiment, de vider mon sac. De lui dire tout ce que j'ai sur le cœur. De toute façon, à l'heure qu'il est, il doit déjà me détester. Lui faire prendre dix jours de vacances sans consentement va me coûter cher.
— Bon, maintenant que tu es réveillé et que tu te tiens tranquille, on va pouvoir discuter. Enfin toi... tu vas plutôt m'écouter.
Deuxième grognement presque animal.
Ok, il va te maudire jusqu'à la fin de ta vie...
— Tu ne m'as pas laissé le choix. Tu crois que ça m'amuse de faire ça ? Bon, j'avoue qu'on a peut être un tantinet abusé... Ouais, Ok ... beaucoup. J'admets. Mais c'est pour la bonne cause.
Je commence à m'emballer.
— Mama m'a dit que c'était ce cadeau qu'elle voulait cette année. Qui suis-je pour lui refuser ça ? En plus, ça ne coûte pas cher. Même pas le somnifère d'ailleurs puisque Mirabella fait des insomnies, depuis que son ex s'est barré avec leur banquier. Non mais tu y crois toi ? On peut pas devenir gay du jour au lendemain ! C'est peut-être pour ça qu'il insistait toujours pour la prendre par derrière... Chacun ses goûts hein, je juge pas...
Je m'arrête une seconde. Est-ce que je suis partie trop loin dans mes réflexions ? Oui.
— Enfin bref, tout ça pour dire que... c'est bientôt Noël ! Tu vas bien finir par te détendre, non ? Toi qui adores le chocolat chaud, je t'en ferai des litres. Sérieux, des thermos entiers si ça peut t'aider à te calmer. Et tu sais quoi ? Tu ne regretteras même pas d'être venu cette semaine, promis ! Dimanche prochain, je te ramène, mais peut-être que je vais devoir encore t'attacher parce que tu ne voudras plus partir !
Je ris à cette idée.
— Bon d'accord... je te l'accorde, ma blague n'était pas terrible.
Je bifurque à droite, m'engage dans le petit chemin qui mène au chalet de mes parents, puis entre dans le garage grand ouvert, prêt à me recevoir.
— Mama va être folle de joie de te voir !
Je saute hors du véhicule, contourne rapidement la camionnette, fais un détour express par l'atelier de Papa et attrape une paire de ciseaux. J'ouvre la porte coulissante pour libérer Enzo avant que notre mère ne débarque et ne le voit saucissonné comme un rôti.
Sauf que...
— Hein ?
Je m'arrête net, mes yeux papillonnent comme si mon cerveau refusait de traiter l'information. Une vague de chaleur envahit ma poitrine.
Non, non, non, c'est une blague ?
Je commence à paniquer. Le type en sweat que j'ai enlevé...
Ce n'est pas Enzo.
Je m'approche, plus lentement cette fois. Il a des cheveux ébouriffés, un regard noir et perçant, et un air plutôt furieux. Je m'effondre intérieurement. Pas de cheveux bien rangés, pas de regard clair et sérieux, et surtout, pas de nez en trompette !
— D... Dios ! Vous n'êtes pas mon frère...
Je trébuche en arrière en le regardant.
— Co...comment vous êtes arrivé là, vous ? Et pourquoi vous avez le sweat d'Enzo ?
Aucune réponse.
Je m'empresse alors de lui retirer les liens ainsi que le foulard qui entrave ses paroles. Aussitôt libéré, il se masse les poignets sans me lâcher du regard. Et puis...il avance, la mâchoire contractée.
Oh merde.
Les poings serrés, il semble être prêt à me réduire en purée. Et honnêtement ? Ce serait mérité. J'ai quand même kidnappé le mauvais gars.
Alors que je ferme les yeux prête à accuser le coup, un bruit de porte me fait sursauter.
Un hurlement de joie, une étreinte. Mama couvre mon visage de tout un tas de baisers sonores avant de se retourner vers l'homme qui se tient debout à quelques centimètres de nous.
— Qui êtes vous ?
Elle le dévisage, sourire aux lèvres ; il est à son goût.
— Mama, je te présente... mon petit copain.
Les mots m'échappent avant même que mon cerveau ne se mette en route. Quoi ? Qu'est-ce que je viens de dire ?! Trop tard. C'est sorti.
— Oh, et quel est votre prénom, jeune homme ? demande-t-elle, tout sourire.
Je vois le type me dévisager. Il ouvre la bouche pour protester, pour balancer toute l'histoire, j'en suis sûre. Mais hors de question que ça arrive ! Si ma mère apprend que j'ai kidnappé le mauvais gars – kidnappé tout court –, je ne m'en remettrai jamais. Elle non plus.
Je coupe la parole du mec avant qu'il ait le temps de dire quoi que ce soit.
— Mama, laisse-nous juste le temps de nous installer, d'accord ? On monte nos valises, on se pose un peu, et après on vous rejoint, toi et papa, dans le salon. On fera les présentations autour d'une belle tranche de panettone, hein ?
Mama sourit, ravie et me fait un clin d'œil beaucoup trop suggestif.
— Faites vos galipettes rapidement, il me tarde de connaître ce beau mâle, ajoute-t-elle en me tapotant l'épaule avec un petit rire complice.
— MAMA !
Je sens la chaleur me monter au visage alors qu'elle nous laisse enfin tranquilles.
Galipettes ? Sérieusement ? Si je ne meurs pas de honte, c'est un miracle.
Je me tourne vers mon otage imprévu, une grimace figée sur mon visage.
Bon sang, comment je vais me sortir de ça ?
— Écoutez... c'est un malentendu. Un ÉNORME malentendu.
Je triture la peau présente autour de mes ongles.
— En fait, c'était mon frère que je devais amener ici. De force, oui... c'est compliqué. Enfin bref, le truc, c'est que vous portez son sweat. Enfin, le même. Ce sweat est une création perso pour Enzo. Impossible que quelqu'un d'autre ait le même. Attendez une minute... Vous lui avez volé ? Non... non, ça n'a pas de sens. Pourquoi vous feriez ça ?
Je suis repartie dans mon monologue sans m'en rendre compte. Lui, il me fixe toujours, silencieux, l'air exaspéré.
— Bon... si vous n'avez pas d'impératifs, je peux vous ramener demain en début d'après-midi. C'est que... là, il est déjà minuit. Appelez votre femme, votre maman... ou même votre banquier, je m'en fiche, mais surtout... pas les flics, ok ? Enfin, sauf si votre père est flic. Dans ce cas, vous ne lui dites rien non plus. S'il vous plaît. Je suis trop jeune pour aller en prison et franchement, l'orange ne me va pas au teint...
Je m'arrête enfin dans l'optique de reprendre mon souffle.
— Allez, soyez sympa. Et puis... ça fera toujours une histoire amusante à raconter à vos petits enfants, non ?
Il ne répond toujours rien.
— Vous êtes muet ? Si c'est le c...
Je suis coupée par une sonnerie de téléphone. L'homme sort l'appareil de sa poche.
— Je dois décrocher, lâche-t-il sèchement avant de sortir du garage.
Je le regarde marcher sur le petit chemin bordé de lumières. À en juger par ses gestes et le ton qu'il utilise, il est en train de s'énerver contre son interlocuteur. Mais difficile de savoir sur quoi. J'espère qu'il ne raconte pas qu'une taré l'a enlevé...
Quand il revient, son expression est toujours aussi fermée. Pas une émotion ne passe sur son visage. Rien.
— Je veux bien me faire passer pour votre petit ami, mais en échange, je demande le gîte et le couvert pendant quelques jours. J'ai un dégât des eaux, je dois quitter mon domicile.
Je reste bouche bée une seconde.
Attends... quoi ?!
— Pardon... vous êtes sérieux là ? Je veux dire... vous avez vraiment un dégât des eaux ou c'est juste une excuse pour rester ici et m'étrangler dans mon sommeil pour vous venger ? Sachez que je dors toujours avec un œil ouvert. Et je frappe fort... enfin, je crois.
Toujours aucune émotion ne traverse son visage.
— Donc... vous acceptez de jouer le rôle de mon petit ami et de rester ici parce que... votre appart est une piscine ?
Il me regarde, expire bruyamment avant de dire :
— Deal, ou pas ?
Je cligne des yeux, complètement dépassée. Puis je hoche la tête. Parce que... pourquoi pas après tout ? Ça résout au moins un de mes problèmes.
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