Diciannove.

Mikaëla

Tranquillement installée sur un banc, je me délecte de l'une des meilleures inventions de l'automne : des marrons chauds. Un pur bonheur... Enfin, ça, c'était avant que Valentino décide de venir jouer les pique-assiettes en plongeant sa main sans vergogne dans mon paquet.

Je fixe mes genoux, bien trop honteuse pour croiser son regard. Depuis ce qui s'est passé ce matin, je ne peux plus penser à autre chose. Valentino. Nu. Au milieu du salon. Complètement à poil. J'ai vu. Tout vu. Même si j'ai plaqué mes mains sur mes yeux, c'était trop tard. Son énorme truc. L'image est là, gravée dans ma tête. Merci, cerveau.

— Tu comptes m'ignorer encore longtemps ? lance-t-il, en épluchant un marron comme si de rien n'était.

— Je... (je soupire). Bon, d'accord, je suis gênée, OK ?

— Y'a pas de quoi. Je t'ai vue sous la douche l'autre jour. On est quittes, non ? C'est normal pour un couple.

Il rigole. Évidemment qu'il rigole, ce sadique. Et moi je me ratatine sur le banc.

— Ce qui n'est pas normal, c'est que Matteo et ma mère t'ont vu aussi, marmonné-je horrifiée.

Ça, je l'ai appris plus tard. Matteo qui m'a dit qu'ils avaient assisté à la scène mais que sa paume est directement allée se plaquer sur les yeux de mama – évitons la crise cardiaque. Heureusement que Matty est au courant pour cette histoire de faux couple, car au vu de ma réaction, ça aurait pu paraître bizarre que je cache mes yeux. C'est quand même censé être mon homme.

— Tu crois que tu as été conçue comment en fait ? se marre-t-il encore une fois.

— Oh non ! Putain, les images ! J'AI LES IMAGES DE MES PARENTS MAINTENANT !

Après mes mots, il enfourne un marron dans sa bouche et m'en pique un autre.

— Vous venez ? Ça va bientôt commencer ! nous préviens mon père tout en enfonçant son bonnet un peu plus profondément sur son crâne.

Valentino tend sa main dans ma direction et je la saisi pour nous diriger ensemble vers le sapin du centre du village. Paolina vient nous saluer et se place à côté de moi.

— Franchement, si ce gars n'a pas encore fui ta famille de dingues, c'est qu'il est vraiment intéressé, souffle-t-elle en riant doucement.

— Il est gay, chuchoté-je.

Paolina arque un sourcil.

— Gay ? Mais regarde-le ! Tu sens la virilité qu'il dégage ? Ce mec a un taux de testostérone tellement élevé qu'il pourrait fertiliser un champs de fleurs entier.

Je manque de m'étouffer de rire.

— Il ne se fait sûrement pas enc..., continue-t-elle.

Pour l'arrêter, mon coude atterrit dans ses côtes. Frisson. Ça y est, je l'imagine avec son petit ami maintenant.

— Où c'est lui qui...?

— Chut, contrôle-toi ! Il pourrait nous entendre...

Je me retourne discrètement pour vérifier. Mauvais plan : Valentino est là, un sourire amusé collé au visage, et son clin d'œil me fait monter le rouge aux joues.

— Je te hais, Paolina, grogné-je à voix basse, les oreilles brûlantes.

Mais elle glousse. Moi je reporte mon attention sur l'arbre de plus de six mètres de haut, couvert de guirlandes et d'ornements qui scintillent.

Mon regard finit par glisser sur les visages familiers autour de moi. Serena, qui lutte pour capturer une photo de Lylia, cette dernière gigote trop. Alessandro, patient, attend dans la file d'attente du chalet de vin chaud. Ma sœur, un sourire aux lèvres, discute avec Lorenzo et Matteo, une tasse de chocolat chaud bien calée entre ses doigts. Et mes parents, toujours aussi complices, main dans la main : Eux deux ont trouvé la recette magique de la vie à deux.

Alors que les réverbères s'éteignent progressivement, annonçant ainsi le début des festivités, mon attention est attirée par un détail : ma mère. Je rêve ou elle vient d'échanger un clin d'œil complice avec Valentino ?

Je n'ai pas le temps de me poser davantage de questions, car le public entame le décompte.

— Dix !

Valentino est là, à quelques centimètres de moi, debout, les mains enfouies dans les poches de son manteau. Une mèche de ses cheveux noirs retombe négligemment sur son front. Comment un homme peut-il être aussi magnétique en... ne faisant rien ? Juste en existant ? D'ici, je sens même la chaleur qui émane de lui. C'est ridicule.

— Neuf... Huit !

Je murmure les chiffres sans trop y penser. À cinq, il se penche légèrement vers moi, son épaule frôle la mienne.

— Tu trembles, remarque-t-il à voix basse.

— Je ne tremble pas, répliqué-je aussitôt, bien trop vite pour être crédible.

Il ne dit rien, mais un sourire, à peine perceptible, étire ses lèvres. Avant que je ne comprenne, ses mains quittent sa poche et, doucement, il attrape mes doigts glacés dans les siens. Sa paume est chaude, réconfortante.

Papillons. Envolée immédiate.

— Quatre !

Il souffle sur mes mains, ses doigts enveloppent les miens.

— Trois !

Je lève les yeux vers lui. Et il me fixe. Pas un simple regard, non. Il me transperce. Son intensité est désarmante, et je sens mes jambes flageoler.

— Deux !

Nos regards restent accrochés. Le reste disparaît. Les gens autour de nous, les cris, le froid. Tout. Il ne reste que ce moment suspendu, lui et mon cœur qui martèle comme un forcené dans ma poitrine.

— Zéro !

Les lumières éclatent soudain, illuminant le sapin dans une explosion dorée et argentée. La foule s'émerveille, un « Wahou » collectif s'élève, mais je ne vois rien de tout ça. Rien, sauf lui. Valentino. Sa main qui serre toujours la mienne.

— Tu as moins froid ? murmure-t-il.

Tu rigoles ? Moins froid ? Je brûle maintenant !

Je déglutis difficilement, incapable de répondre.

Je me suis promis d'arrêter cette comédie. De mettre un terme à tout ça. Parce que, clairement, je suis en train de tomber amoureuse d'un homme... qui ne pourra jamais m'aimer.

Il est gay.

— Valentino, je...

— On va parler plus loin ? Au calme ? me coupe-t-il doucement.

Évidemment qu'il a compris. Il sait ce que je m'apprête à faire : le quitter. Mais il a raison, je ne peux pas faire ça ici, devant tout le monde. Ce serait cruel. Alors, d'un geste qui semble naturel, il attrape ma main, et nous nous éloignons ensemble, comme si de rien n'était. Comme si on continuait à jouer ce rôle.

Nous trouvons un banc en hauteur, avec une vue magnifique sur le village illuminé en contrebas. Le sapin trône au centre, majestueux, scintillant, comme pour nous rappeler tout ce qu'on vient de partager. Mon cœur se serre. Pourquoi ce genre de moment doit-il toujours être gâché par une fin ?

— Je suis censé te demander en mariage ce soir, lance-t-il, brisant le silence.

Je pouffe de rire. Bien sûr qu'il plaisante. Ou pas... car il reste impassible, sérieux. Alors mon rire meurt lentement dans ma gorge.

— T'es sérieux ?

— Lylia a trouvé une boîte contenant une bague dans mes affaires. Et ta mère...

— S'est montée tout un film sur ta demande en mariage, terminé-je pour lui. Et comme t'es un mec bien, tu n'as pas voulu lui briser le cœur.

Il acquiesce en silence.

— Elle t'a fait le coup des larmes, hein ?

Un autre hochement de tête.

— Elle est persuadée qu'à cet instant précis, je suis en train de te passer la bague au doigt, ajoute-t-il.

Ah. Voilà donc ce que signifiait le clin d'œil complice de ma mère.

— Je voulais t'en parler avant. Hors de question de te prendre au dépourvu.

Bon point pour lui. Mais une demande en mariage fictive, ça dépasse de loin nos petits arrangements.

— Si tu ne veux pas aller aussi loin dans le mensonge, on peut toujours...

Mais une idée jaillit soudain dans mon esprit, aussi lumineuse que le sapin en contrebas.

— Non ! C'est génial justement !

— Développe.

— Imagine : un mec qui demande en mariage une femme après seulement un mois. C'est un gros red flag ! Je dis oui sous la pression, mais une fois rentrée à la maison, je panique. Trop rapide, trop angoissée, je te quitte...

Valentino semble surprit, fronce les sourcils un instant avant de sortir une boîte en velours de sa poche. Il l'ouvre. À l'intérieur, une bague. Pas n'importe laquelle. Une œuvre d'art. Des diamants délicats, une finesse à couper le souffle. Une boule se forme dans ma gorge. Je pose une main sur mes lèvres, incapable de détacher mes yeux de cette beauté.

— C'est... magnifique, murmuré-je.

Et mon cœur se tord encore un peu plus.

— Et tu te balades souvent avec une bague comme ça sur toi ? demandé-je.

Valentino sort le bijou de l'écrin et tend sa main dans ma direction, paume ouverte, comme s'il attendait la mienne.

— Je devais la revendre, explique-t-il. Elle est plus en sécurité avec moi qu'à... qu'à l'appartement.

— Évidemment, avec le dégât des eaux, c'est compréhensible, dis-je en avançant ma main vers lui.

Il saisit mes doigts avec une douceur déconcertante. Et là, tout déraille. Les sensations indescriptibles qui me parcourent s'amplifient. C'est agréable et douloureux à la fois.

— Elle appartenait à une femme ?

Cette question me coûte mais elle est sortie toute seule. J'ai besoin de savoir, de comprendre.

Il acquiesce silencieusement, ses yeux toujours rivés sur ma main alors qu'il glisse lentement l'anneau autour de mon annulaire.

— Donc... tu n'es pas gay ?

Sa réponse ne vient pas tout de suite. Juste un sourire. Et c'est suffisant pour faire grimper mes pulsations – comme si c'était encore possible.

— Non.

— Oh... super... cool... c'est... je suis rassurée. Enfin, pas rassurée rassurée. C'est juste que... je trouvais ça dommage, qu'un mec comme toi... Enfin, tu sais, beau, charismatique... pas que je sois attirée, hein, mais bon... Enfin si, je veux dire... bref, laisse tomber.

C'est foutu. Il doit déjà me prendre pour une folle, mais là, c'est encore pire que tout.

J'expire et alors que j'essaie de reprendre possession de mon calme, tout fait sens. Tout. Absolument tout.

— Oh bon sang, j'ai compris, lâché-je horrifiée.

Il lâche ma main, referme la boîte et la range dans sa poche.

— Compris quoi ?

Je pose ma paume sur sa joue et sans réfléchir, mon pouce commence à caresser sa peau, comme si je pouvais apaiser ce que je crois être une douleur cachée.

— Je suis désolée, murmuré-je, l'âme en miettes pour lui.

Il fronce légèrement les sourcils mais ne bouge pas. Il ferme même les yeux un instant. Je continue :

— Tu allais demander ta petite amie en mariage. Et elle a refusé. Tu as dû aller vivre chez ton pote, mais avec le dégât des eaux, tu n'avais plus nulle part où aller.

Il esquisse un sourire puis soupire et dans le froid de la nuit, je remarque un mince filet de vapeur s'échapper de ses lèvres.

— Je suis désolée pour toi... ajouté-je, sincère.

Il rouvre les yeux.

— Ne la perds pas, d'accord ? reprend-t-il en se levant d'un seul coup. 

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