Cinque

Michaela

L'odeur des viennoiseries me sort de mon sommeil. Encore engourdie, je cligne des yeux et la première chose que je fais, c'est de jeter un coup d'œil vers le lit. Vide. Et en plus, il est fait. Pas un pli, comme si personne n'y avait jamais dormi. Je me pince presque pour vérifier que je n'ai pas tout imaginé. Peut-être que tout ça n'était qu'un mauvais rêve. Peut-être que je suis simplement arrivée ici hier, seule, après avoir échoué à convaincre Enzo de venir avec moi.

Mais non. Le rire que j'entends venant du rez-de-chaussée n'a rien d'un rêve. C'est une voix grave, totalement étrangère. Et ce n'est certainement pas Enzo.

Je descends en traînant les pieds, encore un peu endormie. Ce que je découvre dans la cuisine me fait m'arrêter net : mama, confortablement installée à table, en train de rire avec Valentino.

Il porte un pull noir qui semble trop petit pour lui, épousant parfaitement ses muscles. Trop bien même, puisque je ne peux pas m'empêcher de remarquer la façon dont ils roulent sous le tissu à chaque mouvement. Le spécialiste en art se lève pour m'accueillir.

Fiorina...

— Oh mais quel adorable surnom ! s'exclame ma mère en se tournant vers moi. Je vais te faire du café.

Valentino place sa main sur la sienne.

— Restez assise Madame De Luca, je m'en charge.

Galant, je dois l'admettre.

— Appelez-moi Giorgie ! Nous sommes de la famille.

Je prends place face à ma mère, jette plusieurs coups d'œil furtifs vers la cuisine, où Valentino s'affaire à la préparation de ma drogue liquide.

— Il est exceptionnel ! Je suis si fière de toi, ma fille.

— Hum.

C'est tout ce que je trouve à répondre, trop absorbée par les fesses de Valentino, moulées dans un jeans trop serré. C'est dingue comme cette partie de l'anatomie des hommes plaît aux femmes. Et je dois dire que celles de Valentino sont un régal de bon matin.

Le matage est interrompu. Valentino se tourne, fronce les sourcils en me regardant – prise en flag ? – puis vient déposer la tasse fumante devant moi.

— Quoi de prévu aujourd'hui, les tourtereaux ? demande ma mère.

— Michaela m'a proposé un petit tour dans la ville ce matin, répond Valentino.

Il se penche vers moi et dépose un léger baiser sur ma tempe.

Merde. Ce gars est un sacré comédien.

La mission du jour consiste à lui trouver quelques vêtements à sa taille. Mon budget est limité, mais je l'ai embarqué dans mes histoires, il est temps que j'assume.

Nous entrons dans le magasin vintage de Paolina, une amie d'enfance. J'ai passé vingt ans dans cette ville montagnarde, je connais tout le monde, ou presque. Pourtant, après ma rupture avec Lorenzo, j'ai ressenti le besoin de partir. M'éloigner était essentiel si je voulais réaliser mon rêve d'ouvrir ma propre boutique de fleurs. Et j'étais tombée amoureuse de Venise.

La blonde me saute au cou dès que je franchis la porte du magasin envahit par la musique de Noël. Elle se recule et aperçoit l'homme qui m'accompagne, un sourire éclatant illumine son visage.

— Quel beau gosse !

Bien sûr qu'elle le trouve beau. Je mentirais en disant que ce n'est pas mon cas non plus. J'ai immédiatement remarqué ses yeux clairs, un mélange captivant de bleu et de vert, ses mèches noires décoiffées, et ces fossettes qui se dessinent quand il sourit, sans oublier sa mâchoire carrée, résolument masculine. Je n'aurais jamais imaginé que ce gars soit un collectionneur d'art, il a un vrai look de bad boy.

— Ah oui ? Et selon toi, ça ressemble à quoi un revendeur d'art ? chuchote Paola, alors que Valentino essaie des ensembles derrière le rideau de la cabine.

Je viens de la mettre dans la confidence. Il fallait bien que j'en parle à quelqu'un. Paola a explosé de rire, mais a juré de garder ce secret précieusement, en souvenir de notre jeunesse et des innombrables bêtises que nous avons faites ensemble. Après tout, si elle osait un jour balancer mon histoire d'enlèvement, j'aurais de quoi répliquer. 

— Je dirais une chemise tape-à-l'œil, des lunettes rondes sur le nez, des cheveux décolorés, un peu maigrichon...

— Et gay ! rajoute mon amie alors que le rideau s'ouvre... Ce qui serait fortement dommage pour son cas.

En tout cas, habillé comme il l'est, il ferait tomber les femmes autant que les hommes. Chemise noire, manches remontées qui dévoilent plusieurs tatouages. Le tissu est rentré dans le pantalon blanc qu'il porte magnifiquement.

C'est canon. Vraiment. Au point que mes yeux n'arrivent pas à se détacher de son physique.

— On devrait arrêter de le dévisager avant qu'il ne le remarque, suggéré-je à Paola, dont la mâchoire est à deux doigts de toucher le sol.

— Hum. Je profite du spectacle. Des gars comme ça à Valdombra, il n'y en a pas des tas... ou alors je les connais déjà. Coquine ! T'as touché le gros lot !

Oh, je l'ai juste attaché dans ma camionnette. Faut savoir forcer un peu la chance quand elle tarde à venir.

Valentino sourit, clairement amusé par notre échange.

— Quand tu m'as parlé de ses fameuses fossettes, je ne m'attendais vraiment pas à ça, ajoute Paola, se remémorant la conversation que nous avons eu pendant qu'il fouillait les rayons à la recherche de vêtements.

— Tu sais qu'il t'entend raconter tes conneries, non ?

Les miennes aussi, putain.

Valentino se tourne légèrement pour admirer sa silhouette dans le miroir. Son regard croise le mien dans le reflet.

— Ça va être long si tu dois tout valider, Fiorina, lance-t-il avec sa voix grave, celle qui me fait presque frissonner à chaque syllabe.

Mais c'est surtout ce surnom... « Petite fleur » qui me donne un coup de chaud.

— Faut être présentable devant mes parents...

— On parle bien de ceux qui portent des pulls de Noël... ? se moque-t-il. 

J'efface sa remarque d'un geste de la main, vais rétorquer mais suis coupée par mon amie d'enfance.

— On peut aller plus vite ! Ne ferme pas le rideau quand tu te changes, propose Paola en rigolant.

Super. Valentino s'avance vers mon amie et lui donne la pile de vêtements.

— J'essaierai le reste au chalet.

Paola sourit bêtement et nous encaisse. Elle m'a fait une belle remise, mais malgré ça, je me retrouve avec une facture de 245 €.

Putain de kidnapping. Putain de mec incapable de faire la même taille que Lorenzo ou Enzo ! Ça aurait été trop simple.

Je m'empare des sacs de vêtements en remerciant Paola toujours en train de dévorer Valentino des yeux.

— On y va, avant qu'elle ne te mette dans la vitrine, bougonné-je.

Ensuite, je l'emmène au cybercafé du coin géré par Bernardo et Tallulah, un couple Italo-américain. Tallulah a débarqué ici lorsqu'elle était enfant. Ses parents sont tombés raides dingues des montagnes italiennes et ont déposé leur valise dans notre petite ville.

Bernardo a été sympa de prêter un ordinateur portable à l'homme qui m'accompagne. Valentino doit régler quelques affaires laissées en plan à cause de son enlèvement – hum, je ne me sens pas du tout responsable. Il a aussi mentionné qu'un ami passerait la semaine prochaine lui apporter des affaires.

Il pianote rapidement, son regard fixé sur l'écran, concentré. Cet air sérieux lui durcit les traits. Il semble tellement calme que j'en oublierais presque qu'il est loin de chez lui et que je l'ai kidnappé.

Je me demande comment j'aurais réagi à sa place. Bon, déjà, je me serais probablement fait pipi dessus dans la camionnette, ensuite, j'aurais essayé de mordre mon ravisseur avant de m'enfuir en hurlant, et pour finir, je l'aurais insulté de tous les noms possibles tout en appelant la police. Lui, il a géré. Il a juste accepté de jouer le rôle de mon petit ami, sans broncher – ça évite à mes parents d'avoir honte de moi – tout ça sous prétexte qu'un dégât des eaux l'empêche de rentrer chez lui.

Mais maintenant que j'y pense... c'est bizarre, non ? Pourquoi il ne veut pas rentrer pour nettoyer ? Voir l'état de ses affaires ? C'est pas le genre de truc qui te fait paniquer un minimum ?

— Ton pumpkin latte, comme d'habitude.

Tallulah pose ma tasse sur la table, puis celle de Valentino avant de repartir, laissant dans son sillage une douce odeur d'épices et de café.

Je l'observe boire, toujours absorbé dans son travail. Sa pomme d'Adam se soulève doucement, puis redescend. Elle suit le rythme de chaque gorgée du liquide ambré et chaud présente dans sa tasse. 

— Il faudra qu'on prévoit un plan pour expliquer notre « rencontre », dis-je en brisant le silence.

— Hum, répond-il, sans lever les yeux de son écran. Dites ce que vous voulez, je vous suivrai...

Il finit enfin par relever la tête, son regard devenant plus direct.

— Je vois qu'on est pas loin d'Alzero.

— Une trentaine de minutes en voiture, réponds-je.

Sans perdre de temps, il avale son café d'un trait, attrape son manteau et se tourne vers Tallulah qui s'occupe d'autres clients.

— Vous pourriez mettre le latte de Michaela dans un mug à emporter ? demande-t-il sans laisser place à un éventuel refus de ma part.

Je reste clouée à ma chaise.

— Attendez, quoi ? Comment ça ?

— J'ai un gars à aller voir pour le boulot.

Il se penche vers moi, son visage si près que je peux presque sentir la chaleur de sa peau effleurer la mienne. Ou alors c'est juste mes joues qui brûlent comme une ado en face à son crush du lycée.

— Tu me dois bien ça, Fiorina, chuchote-t-il.

Personne ne peut nous entendre, alors pourquoi diable me tutoie-t-il ? Pourquoi cette proximité ? Si intime, si... dangereusement séduisante. Cette voix craquante à me faire frissonner, ces yeux sublimes qui percent mon armure et ce sourire... à se damner.

Je hoche la tête sans même savoir pourquoi. C'est automatique. Mon cerveau se débranche et laisse mes hormones prendre le relais.

Je suis envoûtée. Totalement. Et aurait bien tort de s'en priver.

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