J'ai dix-neuf ans et j'ai un livre à lire.

Du flou autour de moi. Des formes sans contours. Des ombres dans la lumière.

Je n'entends rien. Ou si peu.

J'ai du mal à réfléchir.

J'ai mal.

Le monde bouge et je suis immobile.

Il y a un homme en blouse blanche. Le docteur. Il a des papiers noirs à la main qu'il montre à des gens. Sûrement mes parents. Je ne les discerne pas bien, ils sont trop loin. La tête de l'homme me cache leur visage.

Il me montre de ses doigts boudinés. Il se touche la bouche et le menton. Et il remue les mains dans le vide en faisant de grands gestes. Comme un clown. J'aime bien les clowns. Mais pas les clowns blancs, ils me font peur. J'aimerais savoir de quoi ils parlent mais je suis trop loin. Il faut que je me rapproche. Je doute que ce soit drôle. Les clowns blancs ne font pas rire. Ils ne m'ont jamais fait rire. Ils ne sont que des faire-valoir. Celui qui est drôle, c'est l'auguste. Il n'y a pas d'auguste dans la pièce.

Ma jambe. Elle ne bouge pas.

L'autre.

Non plus. Elle ne bouge pas.

Mes jambes ne bougent pas. Je veux me rapprocher. Savoir de quoi ils parlent. Je prends appui sur mes bras et redresse mon dos sur l'oreiller. Mes bras bougent. Au moins.

Ils ont dû me voir me trémousser sur mon lit. Le docteur fait un petit signe de tête et repart avec ses papiers noirs. Il me jette un regard avant de fermer la porte.

Je me rends compte de la présence de mon frère. Il était assis sur une chaise, derrière eux. C'est le premier à se rapprocher de mon lit. Il est tout près maintenant. Il se pince la bouche et hésite un peu avant de me fixer dans les yeux.

« Anton... T'es vraiment nul. »

Il esquisse un sourire et se gratte les cheveux derrière l'oreille.

« L'anniversaire. Quand t'es allé acheter la tarte aux pommes. Hier. »

 Il pousse un petit soupir. Il a la voix enrouée.

« C'était le tien. Comment-est ce qu'on peut oublier son propre anniversaire ? T'es vraiment un idiot. »

Quel idiot.

« On voulait te faire la surprise. »

Il désigne un imposant paquet cadeau au pied du lit.

« Joyeux anniversaire, gros ballot. »

Je vois leurs visages. Ils sourient. Ils sourient mais quelque chose ne va pas. Leurs yeux ne sourient pas. Je vois de la pluie dans leurs yeux.  

...

Ils sont partis. Je regarde par la fenêtre. Une main me touche le bras du bout des doigts. Je me retourne. Au bout de mon lit, je vois mon ami d'enfance et Éléa.

Mon ami d'enfance. Alexey. Et elle. Éléa.

Elle dit qu'elle attendait de recevoir mon recueil pour le lire, ce matin. Et qu'Alexey, que mes parents ont croisé ce matin, savait que j'étais à l'hôpital. Elle lui a demandé où j'étais et elle est venue. Elle a tout un tas de feuilles dans les mains. Des feuilles recouvertes d'une écriture fine et ronde. Son livre.

Ils me souhaitent un joyeux anniversaire. D'abord Alexey. Puis Éléa.

Elle sourit. Ses cheveux lui tombent devant les yeux. J'aimerais bien savoir si elle de la pluie dans les yeux, elle aussi. Je ne pense pas. Son sourire apporte le beau temps. Dans mon cœur du moins. Elle tient ses feuilles dans ses mains. Elle les tient plaquées contre elle. Comme si elle ne voulait pas les lâcher.

« Anton. Je... »

Elle hésite. Elle n'hésitait pas hier.

« Ce... C'est mon livre. Tu sais ? On s'était promis de... De se montrer ce qu'on avait écrit et... »

Elle détourne le regard. Elle a les yeux qui brillent. Elle a de la pluie dans les yeux, finalement. Mais cette pluie là je l'aime bien. Je sais que je n'ai pas besoin de parapluie pour m'en protéger.

« Désolé. Excuse-moi. »

Elle s'essuie les yeux avec le revers de sa manche. Elle essaye de cacher sa tristesse. J'aimerais lui dire de ne pas être triste. Mais je ne peux pas. Les mots ne sortent pas. Les mots ne sortent plus depuis hier soir. Je les sens aller jusqu'au bout de ma langue et s'évanouir. Ils cherchent à passer le rempart de mes lèvres mais elles ne s'ouvrent pas.

« Je suis pas comme toi. C'est dur de trouver les mots. Les bons mots. Toi tu... Tu y arrives. »

Elle renifle. Elle essaye de faire ça discrètement. C'est raté.

Elle se retourne avec ses beaux yeux brillants. Je vois la lumière qui se reflète dans ses yeux. Comme une fenêtre ouverte sur le monde. Je regarde par la fenêtre. Il y a du soleil dehors. Et pas de pluie. Juste du soleil.

« Tu... Tu m'avais promis. Promis de le lire. »

Elle me montre son texte. Je peux lire le titre : « La fille qui naviguait seule ». J'étais sûr que ce serait un titre comme ça.

« J'hésitais, mais... En fait, j'en ai vraiment envie. Que tu le lises. »

Promesse tenue. Pour elle. Malheureusement je n'ai pas mon livre sur moi. J'aurais aimé lui montrer, moi aussi. Mon recueil de poèmes. J'ai du mal à le montrer. Mais je sais que je pourrais le faire si c'est elle. Je pourrais faire beaucoup de choses pour elle. Je suis son porteur de parapluie, après tout.

*

FIN.

Je vous invite, lecteurs chéris et adorés (non, je ne vous flatte pas du tout), à partager votre commentaire sur cette courte histoire. Vous ne pourriez pas me faire plus plaisir :).

Vous pouvez lire les segments suivants si vous êtes curieux !

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