J'ai dix-huit ans et je suis fatigué (bis).

J'essaye de faire mes exercices. Ces foutus exercices. Je dis que j'essaye parce que j'y arrive pas. C'est souvent ce qu'on dit quand on n'arrive pas à faire quelque chose. Qu'on a essayé. « J'ai fait ce que j'ai pu ». C'est une phrase très pratique. Je l'aime bien.

- « Anton ! »

Mon frère. Encore.

- « Anton ! »

Les personnes qui connaissent le mieux mon prénom ont besoin de le répéter.

- « Hey ! Anton ! Arrête de faire celui qui entend pas ! »

J'entends très bien. Enfin je crois.

« Comme d'hab ! Pff... »

Des bruits de pas sur le palier. Il ouvre la porte de ma chambre. Elle était fermée. Je vais encore devoir la refermer quand il sortira. Les gens ouvrent les portes mais ne les referment pas.

- « T'as oublié d'acheter la tarte aux pommes !

- La tarte aux pommes ? Mais... Pourquoi ?

- Pour ce soir ! Pour l'anniv de papa ! Tu te rappelles pas ?

- L'anniv de papa... Ah oui, l'anniv de papa !

- T'es vraiment long à la détente.

- J'ai beaucoup de devoirs. Moi.

- Moi aussi. Cherche pas d'excuses. T'as oublié c'est tout. Comme d'hab.

- Il a beaucoup plu aujourd'hui. C'est pour ça que j'ai oublié.

- Cette excuse est encore pire. On s'était mis d'accord pour que tu y ailles en rentrant.

- Bon d'accord. J'y vais. Mais tu peux faire mes devoirs ? J'y arrive pas.

- Tu dis tout le temps que t'y arrives pas. C'est juste que t'essayes pas.

- J'ai beaucoup de devoirs. Tu te rends pas compte.

- Tu pourrais y arriver si tu faisais les efforts pour. Bon allez, dépêche-toi avant que papa rentre !

- Oui, oui. J'ai compris. »

C'est pas croyable cette manie de dire que les gens ont oublié quand ils n'ont pas fait quelque chose.

« Ah, mais maman a pris mon parapluie ! Et je sais pas où sont les autres !

- Tant pis, t'avais qu'à y penser avant ! »

Je mets mon sweat rouge à capuche. J'aime bien le mettre. Il a une capuche. Ça me protégera de la pluie. Je sors dehors. Il pleut. Ça en devient lassant. Il pleut toujours.

C'est pas grave s'il pleut. Une goutte de plus ou de moins. On peut remplir un vase à ras-bord sans que l'eau déborde. J'aurai dû penser à garder mon parapluie. J'ai oublié. Ça ne fait pas partie de mes habitudes. J'oublie beaucoup de choses. Mais pas mon parapluie. Je me demande s'il va beaucoup pleuvoir. En général il pleut beaucoup quand j'oublie mon parapluie. Tout à l'heure je l'avais quand j'étais avec Eléa. Je l'ai tenu pour nous deux. Il ne pleuvait pas beaucoup. C'est comme ça, quand on partage son parapluie. L'averse est plus facile à supporter.

Je marche le long du trottoir. J'ai mis ma capuche bien sûr. Elle ne couvre pas tous mes cheveux. Certains dépassent. Je sens les gouttes d'eau qui tombent dessus. Les unes après les autres. Sans discontinuer. Comme si les gouttes se précipitaient sur moi. La pluie se fait plus forte d'un coup. Elle tombe avec violence. Je la sens me marteler le dos. La nuque. Le haut du crâne. C'est désagréable. Très désagréable.

J'arrive au coin de la rue. Au niveau du passage piéton. Je relève un peu la tête pour regarder des deux côtés. J'ai le visage trempé alors je regarde sans vraiment regarder. La pluie me tombe dans les yeux.

Je vois une voiture qui avance vers moi. A ma gauche. A toute vitesse. Je vois des phares qui m'éblouissent. Je vois une lumière qui m'aveugle. Qui se rapproche. De plus en plus près. Je vois l'avant du capot. Un capot gris. Tout est gris le soir. Ou noir. Je vois un pare-brise avec des essuie-glaces. Des essuie-glaces qui s'agitent avec frénésie. A toute vitesse. Je vois la pluie éjectée sur les côtés. La pluie qui tombe sur le pare-brise et le capot. La pluie qui tombe autour de moi. J'ai froid. Je suis trempé. Je vois une silhouette vague derrière le pare-brise. Le conducteur de la voiture. Il a une belle voiture. J'aimerais avoir une voiture comme ça. Je vois ses mains qui s'agitent sur le volant. A toute vitesse. Je vois tout ça se rapprocher de moi. Je vois l'espace qui me sépare de la voiture diminuer. De plus en plus. A toute vitesse. Je vois tout ça et je réalise. J'ai peur. Mais je ne bouge pas. Je ne peux pas. Je ne peux plus. C'est trop tard. J'aurais dû bouger avant.

Il n'a pas dû me voir. Le conducteur. Pourtant j'ai un sweat rouge. C'est voyant, non ?

Je ne vois plus.

Je ne vois plus rien. Je vois du noir. Je vois des formes obscures qui se meuvent dans l'obscurité. Je vois des éclairs lumineux par moments. Très blancs. Qui m'aveuglent. Je suis aveugle. Je ne vois plus rien. J'entends un bruissement régulier. J'entends la pluie qui tombe. Qui continue de tomber. Sans s'arrêter. Je ne sais pas comment l'arrêter. J'aimerais qu'elle s'arrête. C'est plus facile d'arrêter mon réveil. Même si c'est dur certains matins. Et j'entends mon cœur qui bat. Régulier. Un battement qui ressemble à mon réveil. Et j'entends un bip. Régulier. Un bip qui ressemble à mon réveil. Et ce bip bat à la même fréquence que mon cœur. Ou pas. J'ai l'impression qu'ils sont décalés. Comme deux réveils qui sonnent en alternance. J'aimerais en désactiver un. Mais j'ai peur. Peur de désactiver les deux en même temps.

BIP !

...

BIP !

...

BIP !

...

BIP !

...

J'entends des chuchotements.

BIP !

...

BIP !

...

J'entends des murmures.

BIP !

...

BIP !

...

J'entends des échos.

BIP !

...

BIP !

...

Des sons qui résonnent autour de moi. Quasiment inaudibles. Inarticulés.

BIP !

...

BIP !

...

Des sons qui me sont familiers. Des sons que j'entends au quotidien.

BIP !

...

BIP !

...

Des sons auxquels je ne fais plus attention. Que j'écoute parce qu'il faut les écouter.

BIP !

...

BIP !

...

J'entends des sons qui faiblissent. De plus en plus. A toute vitesse.

BIP !

...

BIP !

...

J'essaye de tendre l'oreille. Je ne veux pas qu'ils partent.

BIP !

...

BIP !

...

Je les entends s'éloigner. Mais je les entends encore.

BIP !

...

BIP !

...

Restez. Restez un peu plus.

BIP !

...

BIP !

...

Je n'entends plus. Je n'entends plus et vous partez.

BIP !

...

BIP !

...

J'entends mon nom au loin. Je me demande si ma mère crie pour me réveiller.

BIP !

...

BIP !

...

J'ai faim. Je me demande si j'aurais le croûton demain matin.

BIP !

...

BIP !

...

La tarte aux pommes.

BIP !

...

BIP !

...

Il y aura de la tarte aux pommes demain. Pour l'anniversaire de papa.

BIP !

...

BIP !

...

Quel idiot.

BIP !

...

BIP !

...

Il n'y aura pas de tarte aux pommes. Je ne l'ai pas achetée.

BIP !

...

BIP !

...

Si seulement je l'avais achetée avant.

BIP !

...

BIP !

...

J'ai oublié. Ça arrive. Ça arrive, non ?

BIP !

...

BIP !

...

Je me pose trop de questions. C'est une mauvaise habitude.

BIP !

...

BIP !

...

BIP !

...

BIP !

...

BIP !

...

BIP !

...

BIP !

...

...

...

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