J'ai dix-huit ans et je pourrais faire mieux.
Je suis un cours d'histoire. De l'Histoire. C'est dur. Dur parce que j'ai déjà une histoire en cours. Une histoire qui avance à petits pas. Dont les chapitres sont parfois trop courts, parfois trop longs. Mon histoire. C'est dur de suivre deux histoires en même temps.
La prof a de longs cils. De très longs cils. Noirs. Plus elle me regarde et plus je les trouve longs et noirs. Mon sourcil me gratte. Je le gratte. Je le gratte très fort. Parce qu'il me gratte beaucoup. Et il me gratte encore plus. Quand on se gratte une fois ça gratte encore plus après. Une fois qu'on a commencé à gratter c'est trop tard. C'est mieux de pas gratter. Mais quand ça gratte, qui ne gratte pas ? Et si ça gratte encore, je regratte. Jusqu'à ce que ça gratte plus. Ou jusqu'à ce que j'aie plus envie de gratter.
Je m'ennuie. Je regarde par la fenêtre pour m'occuper. Les nuages sont gris mais il ne pleut toujours pas. Je me demande quand ça va craquer. Quand il fait mauvais temps ça finit toujours par craquer. J'ai des pensées qui passent dans ma tête. Des idées, des mots qui passent. Des pensées à peine formées. Et quand je sature, je fais le vide. Je les fais disparaitre. Pour libérer mon esprit. Et je regarde dehors. Pour voir s'il pleut ou pas.
J'aime les cours d'histoire. Mais pourquoi c'est l'histoire des autres que l'on m'apprend ? J'aimerais apprendre la mienne. Mon présent. Les histoires sont écrites dans les livres. Mais moi, je suis un mauvais écrivain.
Je regarde ma montre.
Je suis le cours. J'écoute la prof parler de dates et d'évènements importants. Il faut tout retenir. Dans la classe il y a de bons élèves. Ils arrivent à tout retenir. Moi j'ai du mal à retenir les dates. À retenir les évènements importants. À tout retenir.
Je me sens bête. Et lent. Si long à comprendre. Mon cerveau tourne au ralenti. Les autres ont des capacités. Des choses pour lesquelles ils sont bons. Moi je n'en ai pas. Ou si peu. Des capacités inutiles. J'aime regarder les choses bouger. Et s'arrêter de bouger. J'aime regarder par la fenêtre. J'aime regarder le temps qu'il fait dehors. J'oublie les choses pour tromper mon ennui. C'est peut-être pour ça que je suis si limité. Mon corps s'est rendu compte de ses capacités et il essaye de m'aider à vivre avec.
J'entends un bruit au-dehors. Peut-être un orage au loin. Le genre de bruit qu'on entend avant que la tempête nous arrive dessus. Je regarde dehors. Le ciel est vraiment très gris.
« Anton ?
...
Anton ? »
Je détourne mon regard de la fenêtre. La prof m'appelle. Elle a l'air tendue. Elle a vraiment de longs cils. Elle cligne des yeux et je vois ses cils battre l'air avec nervosité.
— « Oui ?
— Anton qu'est-ce que tu fais ? »
Je la regarde. Je regarde ses longs cils.
— « Qu'est-ce que tu faisais, là, à l'instant ?
— Je... J'écoutais le cours.
— Ah oui ? Tu écoutais ? Peux-tu répéter ce que je viens de dire ?
...
— Non.
— Tu écoutais mais tu ne peux pas répéter ? »
...
Je ne sais pas quoi répondre. J'écoutais mais je ne me souviens plus. Comme on dit, ça rentre dans une oreille et ça sort par l'autre. Mais j'écoutais.
— « J'écoutais vraiment. Mais je me souviens plus... Désolé. »
Elle me regarde. Je me demande si elle aussi regarde mes cils. Est-ce qu'ils sont longs ? Est-ce qu'ils trahissent ma nervosité ?
— « Anton tu dois suivre le cours avec plus d'attention. Je te vois regarder par la fenêtre. »
Ses cils ne bougent plus.
« Mon cours t'ennuie ? Tu préfères regarder par la fenêtre ? »
...
Je prends mon temps avant de répondre. Mon sourcil me gratte à nouveau. J'ai très envie de le gratter mais je me retiens. C'est une mauvaise habitude. Je sens qu'elle est énervée. Un prof n'aime pas qu'on trouve son cours ennuyant. Même quand c'est le cas.
— « Non... Non. Je regardais par la fenêtre c'est tout.
— Si tu changeais d'attitude, si tu étais plus attentif, tu aurais de meilleures notes. Tu pourrais faire mieux. »
...
Je hoche la tête lentement sans rien dire. Je pourrais faire mieux. Je n'en suis pas certain mais je pourrais.
— « Quand tu es venu me voir la semaine dernière, j'ai cru que tu avais de la curiosité pour le cours et que tu étais prêt à faire des efforts. Me suis-je trompée ? »
Des petits rires dans la classe. Des gloussements. La discrétion, vous connaissez ?
...
— « Non... Je veux faire des efforts. Je vous jure.
— Madame ! Madame pourquoi il est venu la semaine dernière ? »
Un petit curieux. De quoi je me mêle. La prof lui fait signe de se taire. Ses cils se sont remis à battre.
— « Dans ce cas arrête de regarder par la fenêtre. Arrête d'être aussi nonchalant. Si tu veux aller dehors, la porte est ouverte. »
Elle me montre la porte. J'ai envie de sortir. Le cours est loin d'être terminé. C'est long un cours. J'entends des chuchotements dans la salle. Je gratte mon sourcil. La prof n'attend pas de réponse. Elle ne s'attend pas à ce que je sorte. Elle a raison. Je ne sortirais pas même si je le pouvais. Je la regarde droit dans les yeux, elle et ses longs cils. Je hoche deux fois de la tête. C'est une bonne prof. C'est à moi de faire mieux.
— « Bien. Monsieur Anton est de retour parmi nous. On reprend où on en était. »
Je regarde ma montre. Les longs cils et les aiguilles qui battent l'air.
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