Murmure entre les livres

Il y a dans cette petite rue, baignée de soleil à l'heure où le ciel est emplit de couleurs, près de mon petit nid parisien, une librairie. Étriquée et pleine à craquer de livres du sol au plafond. Ici vit une libraire, pleine de vie, de récits, de poésie. Elle me parle comme peu de gens savent le faire.

Lorsque pour la première fois je suis entré, elle m'a vu, et m'a parlé, comme celui que j'étais. Il n'y avait pas de barrière physique ou numérale, pas d'âge ni de masque. Seulement deux âmes au milieu de mondes encodés dans des pages. Jamais elle ne me jugeait. Pourtant souvent j'oubliais les titres et les auteurs que je cherchais. Souvent je mélangeait les noms et les genres. Alors ensemble on discutait, entre les étagères, on flânait. Jamais elle ne me croyait incapable de connaître un ouvrage, aussi obscur qu'il puisse être. J'étais son égal. Sa boutique est devenue ma bouteille à oxygène; tandis que je plongeait telle une ancre dans un océan d'encre encodée dans les arbres. Je ne pensait pouvoir un jour, avec quelqu'un, tisser des liens de telle sorte. Je ne suis pas très doué niveau sociabilité si je puis dire. Elle ne l'était pas non plus. Nous faisions la paire, dans la paix des livres lorsque dehors le monde brûlait dans un crissement effroyable.
La fin du monde est toujours plus jolie dans les dystopies. L'affronter dans les récits m'empêche de m'écraser face à celle qui est bien réelle.
Je n'avais plus besoin d'acheter tous les livres que je lisait étant un grand habitué. Mieux que le bruissement des pages, je découvrais la mélodie de sa voix qui me récitait des poèmes. Ah ! Quels poèmes ! Quelle voix ! Mon coeur implose face à ses récits tantaculaires. Elle me parle comme peu de gens savent le faire. D'égal à égal, deux âmes seules, en silence, en enfer. Personne ne me voit comme elle en est capable. J'avais peur tout d'abord mais elle sait mettre en confiance.

Je ne dormais plus, si le sommeil est d'argent, la lecture vaut tout l'or du monde. J'avais l'impression que je devais me surpasser pour elle. La lecture étant mon point de départ, il fallait que je la rattrape, elle qui semblait tout connaitre. 

Jusqu'au jour où j'ai entendu les voix. Une fissure dans ma bulle. Les gens parlent plus vite qu'ils ne pensent et voient ce qu'ils croient. La libraire est distante. De plus en plus. C'est de pire en pire. J'ai trouvé plusieurs fois porte close dans le même mois.  Sans qu'elle ne me prévienne. Simplement pas là, On ne sais pourquoi. Elle me sourit toujours mais quelque chose s'est brisé.

Elle m'a parlé de son fils et de son mari. Je m'étais tut et avait tout entendu avant de pouvoir lui dire que je ne voulais pas être ami. Je voulais poser mes lèvres sur son cou et regarder ses paupières papillonner. Je voulais m'enfermer avec elle, loin, très loin dans une forêt mythique dont les racines s'étendent depuis la tranche de leur livre. Désormais c'était moi qui l'évitait. J'étais à nouveau un livre scellé. Le jeune homme s'est brisé. La jeune femme désemparée. 

J'étais clairement confronté à un manque ultime de tendresse dans mon trop-plein de sentiments à offrir. J'vais lu Gros-Câlin et me retrouvais comme Voisin, en surplus américain. Cela ne me rassure point vu la tournure que prend le livre. Je sortit finalement des livres, ils me filent le cafard, leurs pages remplies de son nom, encore et encore, j'hallucine face à son visage apparaissant entre les pages. Je brûle ma bibliothèque. Mon apart' brûle avec. Chouette, l'assurance me remboursera. 

Je pars quelques semaines plus tard. Vers la campagne, loin et seul. Avec ma brosse à dent et mes trois T-shirts neufs, tout le reste est en cendre, resté à Paris. J'achète une bicoque avec un jardin, travaille à la poste et cultive mon potager. J'ai une poule et puisque je n'avait plus beaucoup de vêtements et sachant que l'hiver viendrait un jour, j'ai pris un mouton. Il est mignon et tond la pelouse. Je me fait des pulls et un plaid dans mon temps libre. Je parle à ma poule, elle ne pond pas, on m'a refilé un mâle. Alors je fais parler le poulet en lui jetant des graines. Ici au moins ils sont compréhensifs, et ne font pas de gosses avec un inconnu. 

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