ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ¹ : ʜᴏᴘᴇ ⛸️
1er janvier 2022, Saint John's, 21h00
Je descends de l'avion, l'air frais de Saint John's m'enveloppe immédiatement. Le souffle glacé sur ma peau me rappelle brutalement où je suis : à la maison. Après tous ces mois passés à essayer de fuir cet endroit, je suis de retour, et une sensation familière, à la fois apaisante et dérangeante, me gagne. Tout semble étrangement pareil, mais je ne peux m'empêcher de me sentir différente.
Avec la boule au ventre, je me dirige vers la récupération des bagages. L'atmosphère froide du hall contraste avec l'agitation intérieure qui me pousse à m'interroger : qu'est-ce qui m'attend ici ? Des retrouvailles réconfortantes ou un accueil distant ?
Une fois ma valise en main, je m'arrête un instant, perdue dans mes pensées. Mon téléphone vibre discrètement. Je l'attrape et, d'un geste rapide, j'envoie un message à ma mère :
Hope - 21h05
Je viens d'arriver. Je prends un taxi et je suis là dans environ une demi-heure.
Rien de plus. Ce n'est pas le moment d'affronter tout ce que je ressens, mais je sais que je ne pourrai pas y échapper éternellement.
Je m'avance sur le parvis, le sol légèrement givré craquant sous mes pas. Un coup de main en l'air, et un taxi s'arrête à ma hauteur. Je hisse ma valise dans le coffre avec un soupir lourd, comme si elle portait tout le poids des discussions à venir.
— Rue des Érables, s'il vous plaît, dis-je au chauffeur en m'installant à l'arrière.
Le trajet jusqu'à la maison n'est qu'une question de minutes, dix tout au plus, mais l'idée d'y retourner me pèse tellement que je ressens le besoin de m'offrir un moment de répit. Un café. Juste un café avant de replonger dans l'univers familial. Ici, le café est comme une bouée de sauvetage. Si tu veux tenir le coup dans cette ville, c'est vital. Sinon, il te reste l'option de noyer tes soucis dans un verre, mais je ne suis pas encore à ce stade-là.
Mes parents ? Je les aime vraiment. Ils ont toujours soutenu mes études de kiné, fiers de ce chemin qui mène à une carrière stable et respectable. Mais le patinage... c'est une toute autre histoire. Pour eux, c'est une distraction, une perte de temps. Ils n'aiment pas que je consacre tant d'énergie et de passion à ce sport qui, selon eux, ne me mènera nulle part. Depuis que j'ai commencé le patin au secondaire et quitté la maison, pour me professionnaliser, chaque retour est marqué par le même conflit. C'est comme un rituel qu'aucun de nous ne parvient à éviter.
J'évite soigneusement le sujet à chaque fois, espérant que cette année sera différente, qu'on pourra simplement passer du temps ensemble sans remettre cette question sur le tapis. Mais eux, ils foncent tête baissée dedans, comme s'il était impensable de laisser ce silence peser sur notre relation. À chaque fois, ça me vide de l'intérieur. Ce voyage, je ne le vis pas comme un moment de repos ou de retrouvailles, mais comme une épreuve qui me fatigue mentalement, qui me pousse dans mes retranchements. Pourtant, je sais qu'ils m'aiment, et je les aime aussi. Ce sentiment est là, indéfectible, même si nos désaccords sur le patin semblent plus lourds que tout. Mais l'amour ne suffit pas toujours à apaiser ces tensions silencieuses.
Le taxi me dépose à l'angle de chez moi et j'en profite pour descendre à pied vers le centre-ville. Je n'ai personne à voir ici. Comme je suis partie à Montréal depuis le milieu de mon secondaire pour faire ce que j'aime, les amis que j'avais pu me faire se sont éloignés de moi, j'ai très peu de nouvelles, voire aucune. D'ailleurs, je ferais mieux d'arrêter de me mentir, je n'ai plus d'amis ici. C'est aussi pour cela que je rentre très peu à la maison alors que je ne suis qu'à trois heures d'avion à peu près.
Après plusieurs minutes à me balader dans le quartier, je peux le dire de manière officielle : mon quartier tombe en ruine... Autrefois, il y avait de la vie, des lumières, des rires, mais maintenant ?
Plus rien ne bouge après 21h. Toutes les vitrines sont éteintes, les rues désertes, comme si la ville elle-même était fatiguée. Ça n'a pas toujours été comme ça. Avant, il y avait toujours un endroit ouvert, un bar, un restaurant. Mais maintenant, on dirait que les temps sont plus durs, et ça se voit à chaque coin de rue, dans chaque façade abandonnée.
Je continue à marcher, mes pieds foulant le gravier du petit chemin qui mène à la maison. Mon jardin est toujours là, inchangé, comme une petite bulle à l'abri du déclin qui frappe tout autour. Je monte les quelques marches du perron et frappe doucement à la porte d'entrée. De l'autre côté, j'entends des pas précipités qui approchent. Le cœur battant, je prends une profonde inspiration.
— Courage, Hope, tu vas y arriver, me murmuré-je à moi-même, tentant de calmer ce mélange d'anxiété et de résignation qui monte en moi.
— Hope, ma chérie ! crie ma mère en ouvrant la porte.
Je lui souris et l'enlace avec force, la serrant contre moi comme si je ne l'avais pas vue depuis une éternité. Son parfum familier me rassure, comme un ancrage dans tout ce qui m'est encore incertain.
— Comment ça va ? lui demandé-je doucement, ma voix légèrement tremblante d'émotion.
— Très bien, tu nous as beaucoup manqué, répond-elle avec chaleur. Ton père travaille encore, mais il a hâte de te revoir. Allez, entre.
Je la suis à l'intérieur, et à peine le seuil franchi, je ressens cette étrange sensation de déjà-vu. Rien n'a changé depuis cet été. Les meubles, les couleurs, tout est pareil, comme figé dans le temps. Mais en scrutant plus attentivement, je remarque un détail nouveau : des photos. Je m'approche du mur du salon, et mes yeux tombent sur des clichés de moi, en train de patiner lors de compétitions. Un frisson me parcourt.
Attendez.
Pouce.
Pause.
Des photos de moi... sur la glace ?
Je me retourne lentement vers ma mère, qui m'observe en silence, un sourire énigmatique aux lèvres. Mon cœur bat la chamade, et les mots sortent de ma bouche, sans même que j'y réfléchisse vraiment.
— Vous avez eu ces photos où ?
Ma phrase sonne étrangement, pas tout à fait correcte, mais l'émotion me submerge, me faisant perdre toute logique. Je m'approche d'une des photos, la plus récente, et je la reconnais immédiatement. Elle date d'il y a environ trois semaines. Je suis là, sur la glace, avec Owen, mon partenaire pour les danses de couple. L'image est claire, capturant un moment précis de l'une de nos routines. Mais comment ont-ils eu ces photos ? Pourquoi sont-elles là, alors que le patin a toujours été un sujet tendu ?
— On est venu il y a trois semaines te voir, et encore il y a deux mois. Tu as vraiment beaucoup de talent, on est très fier de toi.
Je reste figée, les mots résonnant dans ma tête. Ils sont venus. Ils sont fiers de moi. Ils sont venus me voir danser, sur mes patins. Pas seulement une fois, mais à deux reprises. Ils étaient là, dans les gradins, à me regarder.
— Pourquoi vous ne m'avez pas prévenu ? demandé-je, la gorge nouée.
— On ne voulait pas te déranger, répond ma mère avec un sourire tendre. Mais sache qu'on s'est beaucoup renseigné sur le patinage, et on a changé d'avis. Tu es vraiment douée, et ça te correspond tellement.
Je ne peux plus contenir l'émotion qui me submerge. En quelques pas rapides, je me dirige vers elle et me jette dans ses bras. Mon cœur est sur le point d'exploser. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ça compte pour moi. Depuis toujours, j'ai rêvé de ce soutien, de cet appui pendant les compétitions qui me causent tant de stress. Et enfin, il est là. Maintenant, je sais qu'ils seront là, qu'ils me soutiennent, qu'ils comprennent.
Nous nous écartons légèrement l'une de l'autre, et elle me regarde avec une étincelle de fierté dans les yeux.
— Ton père s'est aussi mis à suivre le hockey, me dit-elle soudain. Il regarde beaucoup l'équipe de ton université, les...
— Redbirds, dis-je en terminant sa phrase.
Je ne peux m'empêcher de sourire à cette idée. Les Redbirds, cette équipe de hockey universitaire dont tout le monde parle, mais pas uniquement pour leur performance. Beaucoup de gens vont à leurs matchs pour admirer la beauté des joueurs. Moi, je préfère éviter ces événements. Les groupies ne me dérangent pas, mais je ne suis pas fan de toute l'agitation autour des joueurs. Cependant, le hockey m'a toujours fasciné d'une manière différente. Ce sport est si intense, si brut, et pourtant, il fait partie du même univers que mon patinage artistique. Je les appelle tous les deux des sports de glace, et je les aime pour des raisons bien distinctes.
— Je ne savais pas que ça lui plairait, dis-je en fronçant légèrement les sourcils.
— C'est un sport parfois violent, répond-elle en souriant. Ça lui rappelle sa jeunesse, dit-elle avec un regard rêveur.
— Comment ça ? demandé-je, intriguée.
— Ton père faisait du football américain à l'époque. Il était plutôt bon, pas assez pour être repéré, mais il a gagné plusieurs tournois universitaires aux États-Unis.
Je reste bouche bée. Mon père, cet homme calme et posé, faisait du football américain ? Il n'en a jamais vraiment parlé. D'un coup, j'imagine une version plus jeune de lui, courant sur un terrain, casqué, avec toute la fougue de ses vingt ans. Mon père est originaire de la côte californienne, et ma mère, de France. Ils se sont rencontrés quand elle a décidé de passer un an à l'étranger dans une famille d'accueil. Il se trouve que le fils de cette famille, c'était lui, mon père. Une rencontre improbable, une de celles qu'on voit dans les films, et pourtant, c'est leur histoire. Ils ne se sont jamais quittés après ça. Une véritable romance à la sauce hollywoodienne.
Nous continuons à discuter, le sourire aux lèvres, jusqu'à ce que la porte d'entrée s'ouvre brusquement. Mon père entre, son regard se posant immédiatement sur moi. Un sourire radieux se dessine sur son visage, et je m'approche lentement de lui. Il ouvre grand ses bras et m'y enveloppe, me serrant avec toute la tendresse d'un père heureux de retrouver sa fille."
Voici une version enrichie de ce passage, avec une traduction des phrases en anglais :
— Hi Dad.
— I missed you very much, Hope. By the way, congratulations for your competition, you were brilliant, me dit-il. (Tu m'as beaucoup manqué, Hope. Au fait, félicitations pour ta compétition, tu étais brillante.)
Mon père ne parle pas beaucoup français. Il a appris pas mal de choses avec ma mère, mais il préfère utiliser l'anglais. En plus, il travaille pour une entreprise anglaise, donc le français est vraiment secondaire pour lui. D'autant plus que les deux femmes de sa vie, comme il aime le dire, savent parfaitement parler anglais. C'est devenu notre petite routine familiale.
— I missed you a lot too. I'm glad to see you again. And long live the Redbirds ! clamé-je. (Tu m'as beaucoup manqué aussi. Je suis contente de te revoir. Et vive les Redbirds !)
Il éclate de rire, amusé par mon enthousiasme pour l'équipe de hockey. Puis il s'approche de ma mère pour lui dire bonjour, tandis que je monte mes affaires à l'étage, dans ma chambre. À peine ai-je franchi le seuil que je suis frappée par une vague de nostalgie. Rien n'a changé ici. La décoration est la même, comme figée dans le temps. Mes guirlandes lumineuses traversent encore la pièce, éclairant doucement les murs où sont accrochées des photos de moi, prises lors de différents moments de ma vie.
Je pose mon sac au pied du lit et jette un coup d'œil à mon bureau. Il est encombré de mes cours de l'année dernière, comme si je n'étais jamais partie. Parmi les livres et les cahiers, quelques photos attirent mon attention. Ce sont des clichés que j'avais pris avec Owen quand nous avons commencé à travailler ensemble. Ça fait presque un an maintenant que nous dansons en duo.
Je m'allonge doucement sur mon lit, laissant mes pensées dériver. Mon regard se promène sur les objets familiers qui m'entourent, et soudain, une prise de conscience me frappe : malgré ce que je dis souvent, cette maison m'a terriblement manqué. Chaque détail, chaque recoin porte les traces de mon enfance, et je réalise à quel point ce lieu fait partie de moi, bien plus que je ne l'admet.
2 janvier 2022, Saint John's, 10h52
Je prends mes patins et me dirige vers la patinoire municipale, là où tout a commencé. Traverser le centre-ville me ramène à un mélange de nostalgie et de déception. Cette ville, autrefois pleine de vie, semble maintenant plongée dans une léthargie étrange. Les boutiques sont fermées plus tôt, les rues sont vides. Les façades des bâtiments portent les marques du temps, quelques vitrines brisées, des graffitis effacés à moitié. Les arbres dénudés par l'automne n'ont plus cette beauté chaleureuse qui me réchauffait autrefois le cœur.
Je longe les quelques commerces restants : un café délabré, une pharmacie à l'ancienne, et la boulangerie qui a toujours été là, bien que ses lumières soient éteintes depuis bien avant mon départ. Tout semble avoir changé. Ou peut-être est-ce moi qui ai changé. Je voudrais croiser un visage familier, m'arrêter pour discuter, échanger des nouvelles, mais personne ne semble habiter ces rues que je connaissais autrefois par cœur. J'ai l'impression d'être une étrangère dans ma propre ville.
Lorsque j'arrive devant la patinoire, elle est aussi vide que les rues que je viens de quitter. Pas un bruit, pas une âme. Les lumières éteintes me donnent l'impression d'un lieu abandonné. Sur la porte d'entrée, un mot écrit à la main :
« Patinoire ouverte aux personnes disposant de patins. Plus de cours, ni d'accueil. Vous entrez et vous allumez. Pensez à éteindre en sortant. »
Je reste un instant, immobile, à fixer cette note. Une partie de moi refuse de croire que ce lieu, autrefois animé de rires et d'énergie, est maintenant laissé à lui-même. La dernière fois que j'étais ici, tout allait bien, tout fonctionnait normalement.
J'entre et allume les lumières, mais le silence qui règne est presque étouffant. La patinoire n'a plus la même âme. Je me dirige vers le bord de la glace et, machinalement, enfile mes patins. Je retire mon pull, me retrouvant en simple tee-shirt, et je monte sur la glace. Mes jambes retrouvent leur rythme naturel, comme si elles avaient été faites pour glisser ainsi. J'accélère, tente un Axel... et le réussis à la perfection, mais même cette réussite a un goût fade dans cette atmosphère.
— Je ne pensais pas te voir ici après tes exploits, dit soudain une voix familière.
Je me retourne. Owen se tient là, les mains dans les poches. Son visage est à la fois familier et étranger, une expression que je ne lui connais pas.
— Owen ! Ça me fait tellement plaisir que tu sois venu, dis-je en me précipitant vers lui, mais en m'approchant, je sens qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Je ralentis, le cœur battant un peu plus vite.
Il ne sourit pas vraiment. Son regard est fuyant, presque résigné.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? demandé-je, intriguée et inquiète à la fois.
— J'arrête, dit-il soudain.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas tout de suite.
— Arrêter quoi ?
— Le patinage, Hope. J'arrête. Je n'ai plus le temps. Ça a été amusant, vraiment, mais je dois me concentrer sur d'autres choses maintenant.
Son ton est détaché, presque indifférent, et cela me glace le sang. C'était "amusant" ? Le patinage, notre duo, tout ce qu'on a construit ensemble... c'était juste "amusant" pour lui ? Mon cœur se serre, mais je tente de garder une voix posée.
— Et... nous deux ? Ça aussi c'était "amusant" ? demandé-je, la voix tremblante.
Nos derniers mois ensemble ont été remplis de moments intenses, même si nous n'avions rien officialisé, j'avais cru que cela signifiait quelque chose. Nous partagions plus que des entraînements, plus que des performances. Je pensais que cela comptait.
Il baisse les yeux, l'air embarrassé.
— C'était génial, vraiment. Tu es géniale, Hope. Mais comme je te l'ai dit, toutes les bonnes choses ont une fin. Nous deux aussi.
Le monde semble vaciller autour de moi. Je lutte pour comprendre, pour ne pas laisser mes émotions prendre le dessus, mais je sens déjà les larmes monter. Il parle comme si tout cela n'avait jamais vraiment compté, comme si tout ce que nous avons vécu était déjà relégué au passé, sans la moindre importance.
— Mais... tu étais là, tu étais avec moi. Ça comptait, non ? tenté-je, cherchant une lueur d'espoir dans son regard.
Il secoue la tête doucement, évitant toujours de croiser mes yeux.
— Je t'apprécie, Hope. Je continuerais bien à faire... ce qu'on sait faire de mieux ensemble, mais ce n'est plus possible. Le patin, toi, moi... tout ça fait partie des bonnes choses qui doivent se terminer.
Je reste figée, incapable de trouver les mots. C'est comme si on venait de me couper l'air. Tout ce à quoi je m'accrochais, tout ce que je croyais réel et solide, se désintègre sous mes yeux.
Le silence qui suit est lourd de non-dits, et je sens que mon cœur est en train de se briser en mille morceaux. Owen n'est pas juste en train d'arrêter le patinage. Il est en train d'arrêter "nous". De me laisser tomber, moi, avec la même désinvolture qu'il applique à son sport.
— Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? demandé-je faiblement, espérant désespérément une explication, quelque chose qui fasse sens.
Mais il reste silencieux, et je réalise que je ne pourrai jamais vraiment comprendre. Il a déjà tourné la page, et moi, je reste là, seule sur cette glace qui m'a autrefois apporté tant de bonheur.
Je détourne le regard, ravalant mes larmes, et patine lentement vers l'autre bout de la patinoire, me sentant plus vide que jamais.
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