Chapitre 4-2
Quatre regards surpris se posèrent alors sur moi, me mettant instantanément mal à l'aise et me donnant l'envie de fuir le plus vite possible. Envie renforcée lorsque je sentis mes joues rougir, ajoutant à mon embarras. C'était idiot, je n'avais aucune raison d'être gênée ! Je relevais donc la tête, mais continuais néanmoins à rassembler mes affaires, histoire de pouvoir sortir de là au plus vite.
— Et...merci de ne pas en avoir parlé, dis-je ensuite à Elana en la fixant brièvement mais intensément dans les yeux alors que je passais devant elle, pour couvrir son hésitation et l'inciter silencieusement à ne rien révéler aux autres pestes. Car elles n'allaient certainement pas se priver de la harceler de questions, dès que je serais partie.
Ce qui marcha parfaitement mais eu la malheureuse incidence de me revenir en pleine figure, en maintenant toute l'attention sur moi, ce dont j'aurais très bien pu me passer !
— Waouh, c'est la première fois que j'entends Whisper faire une aussi longue phrase en dehors d'une salle de cours ! C'est ton amie, demanda-t-elle à Elana d'un ton sceptique assorti d'une moue éloquente signifiant clairement qu'elle n'y croyait pas une seconde.
— Et pourquoi cela serait-il si surprenant, répondis-je en faisant brusquement volte-face pour la fixer d'un regard hargneux.
Cela ne me ressemblait tellement pas, que tout le monde en resta bouche-bée, moi y compris !
— Ohhhh...Mais c'est que miss « discrète » a des griffes finalement ! Aurais-je touché un point sensible ? Qu'en dites-vous les filles, minauda-t-elle en rigolant tout en me fixant d'un regard moqueur rempli de méchancetés.
Au moins une bonne dizaine de répliques bien senties me traversèrent simultanément l'esprit et je dus me contenir férocement pour ne pas les lui envoyer à la figure avec ma main en prime ! Non mais qu'est-ce qui m'arrivait, ce n'était vraiment pas le moment de me faire remarquer, surtout avec un comportement me ressemblant si peu ! Décidément le stress et le manque de sommeil ne me réussissait pas du tout, à moins que ce ne soit les révélations fracassantes et énigmatiques qui me court-circuitait le cerveau ! Toujours est-il qu'au lieu de me laisser aller à la violence, je trouvais plus sage de détourner les yeux, baisser la tête et au prix d'un ultime effort, tournais les talons et sortis de la pièce le plus vite que je le pus.
La matinée se passa avec une lenteur exaspérante, s'étirant interminablement d'un cours à l'autre, sans que je n'arrive à me concentrer sur aucun. J'approchais pourtant dangereusement de mes vingt et un ans, mon anniversaire étant dans deux mois. Bientôt je saurais dans quel domaine de compétence j'allais exercer durant le reste de ma vie. Même si, de toute évidence, j'étais vraisemblablement destinée au domaine médical et scientifique, qui m'avait toujours passionnée. Cela ne m'empêchait pas de redouter, comme tout le monde, de finir dans la section générale, là où atterrissaient les moins performants ou ceux qui n'avaient pas réussi à se distinguer dans un domaine particulier et devraient donc se contenter des métiers les moins payés et les moins reluisants de la société. Le stress et la tension étaient donc à son comble et chaque cours comptait.
J'avais beau être très studieuse d'ordinaire et fonder énormément d'espoirs sur ma future réussite professionnelle, je n'arrivais pas à me concentrer. L'image des deux hommes revenait me hanter et semblait coloniser mon cerveau, ne laissant plus beaucoup de place pour autre chose. Que comptaient-ils me faire et pourquoi ? C'est au bout de la quatrième remarques acerbe de l'un de mes professeurs me ramenant brusquement sur terre au milieu des murmures moqueurs de mes camarades, que je compris que je devais me ressaisir rapidement ou trouver une bonne raison de sécher les cours pour la journée. Ne trouvant rien de perspicace ou d'intelligent à répondre, je m'efforçais de m'intéresser au cours de math, qui heureusement était presque terminé.
Lorsque la sonnerie retentit c'est avec soulagement que je quittais la salle pour me rendre au réfectoire avec les autres. Au détour d'un couloir Elana, que j'avais miraculeusement réussi à éviter jusque-là, parvint à quitter discrètement son groupe de pimbêches pour venir se placer à mes côtés en queue de rang.
— Tu crois que tu vas te défiler comme ça, me chuchota-t-elle précipitamment. Je crois que tu me dois des explications !
— Je ne te dois rien du tout, lui répliquais-je agressivement mais à la limite du murmure. J'ai essayé de t'expliquer, mais visiblement tu me prends pour une folle...je n'ai donc plus rien à te dire, terminais-je en la fixant droit dans les yeux, avant de porter mon regard vers le plafond pour lui faire comprendre enfin que nous étions surveillées.
Je n'eus pas le temps de savoir si elle avait finalement compris le message car nous étions arrivés au réfectoire, où nous avions tous nos places attitrées, que je m'empressais de rejoindre. Pendant tout le temps du repas, elle ne cessa de me fixer du regard de l'autre bout de la salle.
Une fois le repas terminé, nous avions une demi-heure de pause que nous passions généralement dans le jardin intérieur ou dans le patio attenant. Me doutant qu'Elana en profiterait pour me harceler de nouveau, je décidais de faire une chose inédite pour moi...me porter volontaire pour aider l'un des professeurs. Je me rendis donc jusqu'au panneau d'affichage, et constatais que le prof de science avait besoin d'un élève pour l'aider à installer du matériel. Très bien ce serait parfait. C'était une matière que j'appréciais particulièrement et le professeur Byron était tellement gâteux, que ça n'allait surement pas se bousculer au portillon, ce qui me convenait très bien. N'étant pas d'un caractère très sociable, j'évitais toujours autant que possible de me retrouver seule avec une autre personne pendant plus de dix minutes. Je n'avais jamais été douée pour les bavardages inutiles et les silences gênés me stressaient...donc généralement je m'abstenais.
Mais curieusement aujourd'hui, même cela me semblait une bonne idée, c'est dire à quel point j'étais perturbée ! De plus, je n'avais aucun risque de croiser Elana, puisqu'elle était l'assistante officielle du professeur de littérature et n'avait donc pas de temps pour autre chose, c'était donc la bonne décision. Du moins essayais-je de m'en convaincre, tandis que je pénétrais dans une des parties plus ancienne du bâtiment, immédiatement reconnaissable à son changement radical d'atmosphère et d'architecture.
Le béton brut et froid cédait la place à un parquet usé et craquant, poli par le temps et les milliers de pieds qui l'avaient foulés depuis qu'il avait été posé ce qui, d'après les rumeurs, remontait à avant le cataclysme. Cette atmosphère surannée et poussiéreuse dérangeait beaucoup de mes camarades, qui n'aimaient pas trop devoir venir dans cette partie du bâtiment, qui regroupait pourtant la bibliothèque et les différents laboratoires. Mais moi cela ne me dérangeait pas, bien au contraire. J'aimais bien la sensation de chaleur qui se dégageait de ces salles biscornues et de ces couloirs tordus. Cela en faisait donc un refuge idéal à tous point de vue...ou pas ! Déchantais-je avec consternation, en voyant une dizaine de filles gloussantes attendre devant la porte de la salle des sciences.
J'avais oublié qu'aujourd'hui nous avions physique et que la course au poste d'assistante scientifique était toujours d'actualité. Sans compter que nous étions mardi, constatais-je avec horreur. Ce serait donc le professeur Lynch, qui était l'un des plus jeunes et des plus sympathiques professeurs de cette école (Ce qui n'était pas très difficile vu le niveau et l'âge de la concurrence !) et de plus nullement désagréable à regarder, d'où le nombre anormalement élevé d'aspirantes assistantes de labo, d'ordinaire beaucoup moins important pour ne pas dire quasiment inexistant ! J'envisageais un moment de faire demi-tour, lorsque la porte s'ouvrit brusquement, m'arrêtant dans mon élan.
Le professeur fit un pas en dehors de la salle et d'un regard circulaire passa en revue toutes les recrues potentielles. Le demi-sourire amusé flottant sur ses lèvres, signifiant clairement qu'il n'était pas dupe quant à la raison de leur intérêt soudain pour les béchers et les becs benzène, mais que cela l'amusait ! En revanche lorsque son regard passa sur moi, il se figea et je vis la surprise envahir ses traits, avant qu'il ne se reprenne et n'affiche à nouveau son air décontracté.
— Aujourd'hui je vais choisir Whisper. Merci à toutes de vous être portées volontaires, dit-il d'un ton sans réplique et d'une belle voix grave qui raisonna sinistrement à mes oreilles et me fit remonter le cœur dans la gorge.
Car cette voix je la reconnaissais maintenant, c'était celle de l'homme encagoulé que j'avais entendu parler au directeur cette nuit ! J'étais tellement surprise et choquée que je ne relevais même pas les regards mauvais et les quelques piques méchantes que me lancèrent mes camarades déçues. Si elles savaient ce que je venais de découvrir, elles seraient peut-être moins pressées de se retrouver seule avec lui. Constatant que je restais figée sans réaction au milieu du couloir et que tout le monde me regardait, je me forçais à faire un pas devant l'autre. Mes jambes flageolaient et ma respiration était si rapide que j'en avais la tête qui tournait. Sachant que je n'avais pas d'autre choix, j'avançais d'un pas de plus en plus incertain vers la porte béante, de plus en plus convaincue à chaque enjambée, que j'étais en train de me jeter directement dans la gueule du loup !
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