Chapitre 20-2
Durant ce qui me parut une éternité, je restais prostrée là, sans voix. Me sentir rejetée n'était pas nouveau pour moi, j'avais l'habitude de ne pas m'intégrer. Mais ici, pour la première fois, j'avais enfin eut l'espoir de pouvoir trouver ma place. De trouver une explication logique à ce rejet constant. Et voilà que même ici, au milieu des changeants, j'étais encore différente...et cela me faisait mal...tellement, que j'en aurais pleuré.
— Vous êtes des changeantes vous aussi, non ? Alors en quoi suis-je différente de vous, leur demandais-je d'une voix où transparaissait ma colère.
— Déjà tu es une changeante physique et non psychique comme nous. Tu devrais donc être dans l'autre dortoir.
— Oh je vois. On ne mélange pas les torchons et les serviettes, persiflais-je d'une voix acide en commençant à ramasser mes maigres affaires. Pourquoi m'avoir amené ici dans ce cas, demandais-je à Connie tout en pivotant pour la foudroyer du regard.
— Parce que...dans l'autre dortoir...il n'y a que des garçons, répondit timidement Yaëlle comme si elle avait peur de ma réaction à cette révélation fulgurante. Tu es la première fille, alors...
— Alors nous avons pensé, que tu serais mieux avec nous, continua Connie en me faisant un petit sourire auquel je ne répondis pas. Ce qui me demanda un gros effort. Car avec son petit air contrit et désolée, elle était adorable mais j'étais encore trop en colère contre elle pour lui pardonner si facilement.
— Apparemment ce « on » n'englobait pas tout le monde, persiflais-je à l'intention de la fille hostile, qui me fixait toujours comme si je risquais d'exploser d'une minute à l'autre.
— On ne nous a pas demandé notre avis, tu veux dire.
— Il n'y en avait pas besoin de toute façon, c'est de la logique pure. Elle ne peut aller dormir avec les garçons. Je ne vois même pas pourquoi on a cette discussion stérile, s'emporta soudain Connie. De plus, elle n'a toujours pas passé le test, donc...il n'y a aucune certitude. Hayden va rester avec nous, un point c'est tout. Quant à toi Carla, tu es libre de faire ce que tu veux...
— Tu n'as pas peur d'elle ?! La coupa-t-elle, visiblement surprise qu'elle prenne mon parti.
— Et pourquoi devrait-elle avoir peur de moi exactement, demandais-je avant que Connie n'ait eu le temps de répondre. J'ai apparemment une force un peu supérieure à la normale, mais seulement dans certaines circonstances, qui ne sont pas encore clairement définies. N'étant pas somnambule, je ne vois pas en quoi il pourrait être dangereux de dormir dans la même pièce que moi.
— Tu sais qui est Gabe au moins, me demanda Carla d'un ton consterné.
— Un abruti prétentieux ?! Lui répondis-je du tac au tac sans me démonter.
Les filles me regardèrent quelques secondes, surprises. Puis éclatèrent de rire, ne pouvant manifestement plus se retenir. Soulagée, je me mis à sourire moi aussi, contente que la tension se dissipe un peu. En jetant un coup d'œil à Clara, je constatais que même elle, semblait avoir du mal à se retenir de sourire.
— Excellent, s'écria Connie entre deux hoquets. Tu n'aurais pas pu mieux le décrire, continua-t-elle d'une voix essoufflée.
— C'était très drôle en effet, persifla Clara d'un ton polaire. Mais ta réponse hautement spirituelle, me dit que tu ne sais pas véritablement à qui tu as à faire et surtout ce dont il est capable.
— J'ai eu un petit échantillon de ses capacités et cela ne m'a pas impressionné plus que ça, mentis-je tellement elle m'énervait avec ses grands airs.
— Attends ! Tu veux dire qu'il s'est servi de ses pouvoirs sur toi, me demanda-t-elle avec un hoquet de surprise.
La curiosité semblant prendre le pas sur la méfiance que je lui inspirais, elle daigna enfin bouger de son coin de porte pour s'approcher de nous.
— Pas sur moi exactement. Il l'a fait pour nous permettre de fuir et...je me trouvais au milieu, leur répondis-je franchement d'une voix subitement lasse, avant de m'assoir lourdement sur le lit.
Ma tête était lourde et la pièce commençait à tanguer dangereusement autour de moi. Je fermais les yeux quelques secondes pour éviter la nausée que je sentais arriver à grand pas. Je n'avais subitement qu'un désir...dormir. Malheureusement, mes camarades de chambres semblaient trouver notre nouveau sujet de conversation passionnant et n'avaient de toute évidence pas l'intention de lâcher l'affaire, surtout Clara.
— Ah oui ?! Si ce que tu prétends est vrai, que s'est-il passé alors, me demanda-t-elle sur un ton de défi.
— Écoutes...tu ne m'aimes pas j'ai compris, commençais-je dans un soupir exaspéré avant de planter mes yeux dans les siens. Mais si tu ne crois pas un mot de ce que je te dis, pourquoi te fatigue-tu à me poser des questions ?
— Parce que ce que tu prétends n'a aucun sens. Alors soit tu es une menteuse, soit...
— ...soit quoi ? Demandais-je en les regardant toutes à tour de rôle d'un air de défi.
Visiblement aucune n'avait de réponse à cette question et un silence désagréable tomba entre nous.
— Très bien, capitulais-je au bout d'un moment. Voyant que nous étions encerclés, il nous a dit de nous boucher les oreilles et ensuite...une onde de choc à traverser toute la pièce. J'ai cru que j'allais tomber ou m'évanouir, mais non. Et quand j'ai rouvert les yeux...tout le monde étaient au sol, sauf Gabe et moi.
M'attendant à un déluge de commentaires, je fus surprise du silence qui suivit mes paroles. Elles me regardaient toutes les trois bouche-bée, n'en croyant visiblement pas leurs oreilles.
— Ca ne t'a rien fait ? Me demanda inutilement Clara, d'une voix que la surprise rendait plus aigüe.
— C'est normal que ça ne me fasse rien. Gabe m'a expliqué que son pouvoir ne fonctionnait que sur les « non-changeant », enfin je ne sais pas comment vous les appelez.
— Eh bien il t'a menti.
Sa réponse claqua comme un coup de fouet à travers la pièce silencieuse, semblant me traverser de part en part. Il n'aurait quand même pas fait ça ? Me mentir délibérément pour pouvoir sauver sa peau en me forçant à abandonner Elana. Bien sûr qu'il l'avait fait, ricana ma petite voix intérieure. Le pire était qu'une petite partie de moi le savait depuis le début. J'aurais dû me fier à mon instinct.
— Il ne faut pas que ça te bouleverse tant que ça, me dit gentiment Yaëlle en m'effleurant doucement l'épaule du bout des doigts dans un geste de réconfort. Cela veut juste dire que tes capacités doivent être similaire aux siennes, c'est plutôt une bonne chose en fait.
— Je ne devrais pas être ici, chuchotais-je pour moi-même, encore sous le choc de ce que je venais d'apprendre.
— Mais si, ne...
— Non vous ne comprenez pas, explosais-je soudain en me levant d'un bond. J'ai abandonné quelqu'un pour venir ici...il m'a forcé à abandonner quelqu'un...et j'ai cru à tous ses mensonges.
— Hayden écoutes, me dit Connie en se plantant devant moi d'un air décidé. Gabe est bien des choses, mais ce n'est ni un lâche, ni un menteur. S'il l'a fait, c'est qu'il y était obligé et que cela ne mettait personne en danger, surtout pas l'une des nôtres.
— Comment peux-tu être sûr de ça, m'énervais-je en la foudroyant du regard.
— Parce que malgré tous ses défauts, c'est quelqu'un de bien...et qu'en plus...tu lui plais.
Cette fois, ce fût à mon tour d'éclater de rire. Malgré la confusion et la colère que je ressentais, je ne pus m'en empêcher. C'était tellement idiot comme remarque, que cela ne pouvait être qu'une manœuvre de sa part pour désamorcer la situation. Ce qui avait plutôt bien fonctionné, il fallait l'avouer. Une fois mon hilarité terminée, je constatais avec stupeur, qu'en fait, j'étais la seule à rire. Connie et Yaëlle me regardaient, un petit sourire entendu sur le visage. Quand à Clara, on aurait dit qu'elle venait de mordre dans un citron, tellement ses lèvres étaient pincées. Elle me fixa avec hostilité pendant plusieurs secondes, puis toujours sans un mot, tourna brusquement les talons et partie en claquant la porte.
— Ne me dit pas que c'est à cause de ta théorie idiote qu'elle m'en veut ? Demandais-je à Connie, sans vraiment croire à ce que j'avançais.
— Pas vraiment, me répondit Yaëlle en se retenant avec difficulté de pouffer, une main devant sa bouche. Ce qui lui pose vraiment problème c'est que...tu plaises aussi à Connors, termina-t-elle en rigolant pour de bon.
Je restais un instant interdite, à la regarder rire bêtement comme une gamine de cinq ans. Puis quand Connie s'y mit à son tour, je ne pus m'empêcher de les imiter. Nous rigolâmes ainsi durant un long moment. C'était plus un rire nerveux qu'autre chose, parfois à la limite des larmes, mais ça faisait un bien fou. Quand nous réussîmes enfin à nous calmer, nous étions vidées. Nous discutâmes un peu de tout et de rien, comme si nous nous connaissions depuis toujours et pour la première fois de ma vie, je me sentis...à ma place. Au moment de m'endormir, l'angoisse de l'inconnu et de ce qui m'attendait le lendemain, revint en force. Mais l'épuisement fut le plus fort. Au moment où je fermais les yeux, je ne pus m'empêcher de me demander si ce qu'avaient dit Connie et Yaëlle était vrai. Mais la vraie question était de savoir si la réponse avait une quelconque importance pour moi ?
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