Chapitre 18-1




Les échos étouffés d'une conversation houleuse, se firent entendre presque aussitôt. Bien que je ne puisse comprendre exactement ce qu'il se disait de l'autre côté de l'épais battant, les quelques mots qui me parvenaient me firent vite comprendre que Lynch était en train de passer un mauvais quart d'heure. Cela me réjouit l'espace de quelques secondes, avant que ma conscience ne me rappel à l'ordre, me disant que c'était quand même un peu mesquin de ma part. C'est à cet instant que la porte s'ouvrit à nouveau. Il passa en trombe devant moi sans me regarder et s'engagea dans le couloir d'un pas rageur. N'ayant pas vraiment d'autre alternative, je le suivis, de plus en plus perplexe.

— Vous préférez que l'on vous appelle, Hayden ou Whisper ? Me demanda-t-il subitement, tout en continuant à me précéder.

Sur le coup, vu sa vitesse de déplacement et la distance qui nous séparait, je cru avoir mal entendu. Il y avait quelques minutes, il me regardait comme si j'étais un rat d'égout et à présent il me demandait s'il pouvait m'appeler par mon surnom ? Soit j'avais mal compris, soit il était bipolaire ! Dans le doute, je préférais m'abstenir de répondre et fis comme si je n'avais rien entendu.

— À moins que vous ne préfériez Mademoiselle, revint-il à la charge sur un ton moqueur en me jetant un bref coup d'œil, voyant que je ne répondais pas spontanément à sa question.

D'accord, la question personnelle c'était pour me mettre dans l'embarras et sans doute me déstabiliser. Voilà qui collait déjà mieux au personnage, me dis-je tandis que j'accélérais encore le pas afin de me retrouver à son niveau.

— Comment connaissez-vous mon nom, lui demandais-je d'un ton que j'espérais neutre et innocent.

— Gabriel m'a beaucoup parlé de vous, me répondit-il d'un ton pesant, signifiant clairement que j'étais un sujet de conversation dont il se serait bien passé.

Vexée, je ne répondis rien et continuais malgré tout à marcher à sa suite en ruminant. Je me sentais malheureuse et surtout honteuse, sans savoir pourquoi. Si tu ne sais pas pourquoi, c'est parce que tu n'as aucune raison de l'être...honteuse, me susurra ma petite voix intérieure, ce qui me réveilla encore plus efficacement qu'une gifle. Ma colère prenant le dessus, je stoppais net et lui demandais en essayant de ne pas crier,

— J'ai compris que vous ne m'appréciez pas. Mais avant d'aller plus loin avec vous, j'aimerais savoir pourquoi, réussis-je à dire d'une voix posée et pas trop agressive. Ce qui était, il fallait bien l'avouer, un petit miracle vu mon état de nerf !

Il s'arrêta presque à contrecœur, pris une grande inspiration et se retourna dans un mouvement lent et contrôlé, sans doute pour se calmer les nerfs à son tour.

— Je n'ai, personnellement, rien contre vous. Je suis juste...fou de rage contre Gabriel, me dit-il d'une voix sourde, tout en se pinçant l'arête du nez. Ce qui, vous avez raison, ne devrait pas rejaillir sur vous. Je vous prie de m'excuser, termina-t-il sur un ton un peu guindé mais néanmoins beaucoup moins moqueur et agressif que précédemment, avant de repartir sans attendre de réponse de ma part.

Je le suivi avec un temps de retard, légèrement interdite par ce revirement inattendu. Néanmoins, à présent il faisait attention à ne pas trop me distancer, essayant de marcher au même pas que moi afin de rester à ma hauteur. Nous traversions encore et toujours les mêmes couloirs délabrés de bétons froids. Tellement identique les uns aux autres, qu'ils m'hypnotisaient presque.

— Avez-vous des questions, me demanda-t-il soudain me sortant de ma torpeur et me faisant sursauter.

— Lab...Ça veut dire quoi ? Lui demandais-je sans réfléchir d'une petite voix timide, ne sachant plus trop ce que je devais penser de lui, ni comment me comporter en sa présence.

De toutes les questions beaucoup plus importantes et pertinentes que j'aurais pu poser, c'est celle-ci qui m'était venue à l'esprit en premier. Pourquoi...mystère. Il avait d'ailleurs l'air de se poser la même question, alors qu'il me regardait un peu étonné, un semblant de sourire se dessinant sur ses lèvres.

— C'est le surnom que les occupants de cette base lui ont donné. Lab, pour labyrinthe. Car d'après eux, il faut au moins trois semaines pour y circuler sans s'y perdre, dit-il avec un petit rire sec cette fois-ci.

— Effectivement c'est approprié, commentais-je platement au moment où nous pénétrions dans une sorte d'antichambre, meublée en tout et pour tout, de trois chaises bancales.

Il s'arrêta devant l'une des trois portes, l'ouvrit et me fit signe d'y entrer. Le moins que l'on puisse dire était, qu'il ne faisait pas étalage de ses privilèges, si il en avait. La petite pièce carrée était vide, à l'exception d'une table et de deux chaises en bois, qui avaient connu des jours meilleurs. Deux étagères métalliques, remplies de livres rangés au cordeau, garnissaient le mur du fond. Cela donnait à la pièce un caractère à la fois plus austère et plus formel. Ce qui était sans doute le but recherché, me dis-je tandis qu'il faisait le tour de son bureau de fortune pour s'assoir sur la chaise. D'un signe de la main, il me fit signe de faire de même. Je faillis avoir une crise cardiaque, lorsque la seule autre chaise disponible, sembla se dérober sous moi au moment où je tentais de m'y assoir.

— Ah oui désolé, elle est un peu branlante, comme presque tout ce que nous avons ici d'ailleurs, commenta-t-il pour lui-même. Mais vous pouvez vous y installer sans crainte, vous n'êtes pas assez lourde pour la casser, me dit-il en voyant que j'hésitais à renouveler l'expérience.

—Bien, enchaina-t-il une fois que je fus enfin assise, en équilibre précaire, sur le bord de mon siège. Vous savez sans doute qui je suis donc...

Il s'arrêta net, en devinant à mon air ahuri, que je n'avais absolument aucune idée de son identité.

— Décidément c'est de mieux en mieux. Que Gabriel vous a-t-il expliqué exactement ? Me demanda-t-il d'une voix me laissant penser qu'il était au bord de l'explosion imminente !

— Rien...répondis-je d'une voix pleine d'amertume, qui trahissait très bien mon état d'esprit chaque fois que je pensais à lui. En fait, je ne sais toujours pas pourquoi je suis ici...exactement. Tout ce que j'ai compris c'est que le prof...pardon Gabe...heu Gabriel...avait dû accélérer les choses...

— Ca c'est le moins que l'on puisse dire, m'interrompit-il en se levant si brusquement qu'il renversa sa chaise dans le mouvement, avant de commencer à faire les cents pas dans la pièce comme un lion en cage.

— J'espère d'ailleurs que vous valez ce que son petit coup d'éclat risque de nous coûter, dit-il d'un ton véhément en me lançant à nouveau un de ses regards noirs, qui me figea sur place.

Finalement la résolution « je ne m'en prends pas à vous sans raison » n'aurait pas duré longtemps, me dis-je en me tortillant sur ma chaise inconfortable, mal à l'aise. Son comportement envers moi venait à nouveau de changer du tout au tout en quelques secondes et je commençais à trouver ses sautes d'humeurs incessantes, plutôt lassante. Était-ce pour cela qu'il était si désagréable avec moi ? Pensait-il vraiment que j'étais en partie responsable des bourdes de Lynch ? Car à l'évidence, me ramener ici avait l'air d'en être une grosse...de bourde !

— Rrrr...Jamais je n'aurais dû lui confier une mission pareille, marmonna-t-il dans sa barbe tout en continuant à marcher d'un pas rageur à travers la pièce comme si je n'étais pas là.

L'envie de faire un commentaire sarcastique me démangea, mais je n'osais pas interrompre sa rumination...après tout, autant qu'il reste en colère contre quelqu'un d'autre que moi. Surtout si ce quelqu'un était Lynch ! J'attendis donc en silence qu'il daigne reprendre ses explications là où il s'était arrêté. Mais la patience n'ayant jamais été mon fort, je n'en pouvais déjà plus au bout d'à peine une minute.

— Je ne devrais pas être là, alors ?

Ma voix sembla le ramener subitement dans la réalité, le faisant légèrement sursauter.

— Au final si. Mais ce n'était pas censé se passer comme cela. Sa mission était de s'infiltrer dans l'E.E.V, de repérer les premiers signes du changement et de trafiquer les enregistrements pour ne pas qu'elles soient identifiées. Nous serions venus tout vous expliquer, une fois sortie de l'E.E.V.

— Mais ça ne s'est pas passé comme ça, ne pus-je m'empêcher de commenter d'un ton morne.

— Non. Ils vous ont identifié comme changeante, avant que Gabe ait pu faire quoi que ce soit pour l'éviter. Depuis le début il dit que vous êtes spéciale...ne me demandez pas pourquoi, il ne me l'a pas dit, s'empressa-t-il d'ajouter d'un ton agacé en me voyant ouvrir la bouche...mais d'après lui, cela aurait été une catastrophe si vous étiez tombée entre leurs mains. Il a donc demandé à faire partie de l'équipe de récupération...et vous connaissez la suite.

Toutes ces nouvelles informations se bousculaient dans ma tête, me donnant le tournis. La véritable mission de Lynch était de protéger les changeants, mais il avait finalement décidé d'abandonner tous les autres pour me sauver...moi. Que pouvais-je donc avoir de si spécial, me demandais-je pour la énième fois en enfouissant mon visage dans mes mains. Un petit gémissement m'échappa lorsque je pensais aux autres jeunes filles qui auraient pu, ou plutôt qui auraient dû être ici, et qui ne le seraient sans doute jamais et tout ça...à cause de moi.

— Ce n'est pas le moment de vous apitoyer sur votre sort, me dit-il d'un ton dur. Ce qui est fait est fait, maintenant...

— Qu'est-ce qu'un changeant exactement, l'interrompis-je d'une voix chargée d'agressivité tout en plantant mon regard humide de larmes contenues dans le sien.

— Gabr...

— Je crois qu'il a été démontré par A plus B que, niveau explication il n'était pas à la hauteur, attaquais-je en me levant à mon tour. Alors si vous ne voulez pas que, comme vous me l'avez si gentiment fait remarquer, « je m'apitoie sur mon sort », répondez à mes questions ! À moins que votre personnalité agressive ne soit là que pour cacher votre ignorance, le provoquais-je délibérément.

Puis, essuyant rageusement mes yeux avec ma main gauche, j'attendis de voir si j'allais enfin obtenir les réponses que j'attendais ou me faire virer comme une malpropre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top