Deuxième jour : L'île de la désolation
«Hgnn...»
Ma tête tourne, mes yeux restent fermés. Les cris d'effrois résonnent encore dans mes tympans. Je suis coincé dans un vacarmes assourdissant de terreur et d'horreur. L'eau coincée dans ma gorge me brûle atrocement, j'ai la tête qui tourne, les jambes crispées mais alors que je suffoque, un souffle chaud ouvre soudain mes voies respiratoires. Mes yeux s'ouvrent brusquement et je crache, cherchant désespérément à remplir mes poumons d'air. Je n'ai jamais autant apprécié la sensation de respirer.
J'arrive à discerner sans détail un jeune garçon à côté de moi qui s'essuie la bouche, visiblement soulagé.
«Est-ce que tu vas bien ? T'arrives à respirer ?»
Je tousse encore, ma tête me faisant atrocement souffrir. J'ai dû prendre un coup durant le tsunami.
«Ne réponds pas. Fais-moi juste un signe si tu arrives à respirer correctement.» Il signe un petit OK avec ses doigts.
Je prends une grande inspiration, ou du moins, j'essaie, et lui fais un signe de la main. L'homme se redresse et me frappe le dos sans ménagement.
«Super. Maintenant viens nous aider à trouver les autres, allez bouge-toi.»
Surprise par tant d'informations, je le regarde s'éloigner. Je tousse encore légèrement, sondant les environs. Une longue plage s'étend devant moi, se jetant dans une mer bleu-verte à l'horizon. Une île partiellement couverte d'une épaisse forêt se dessine derrière et l'angoisse monte en moi. Quelques bâtiments en ruines se tiennent encore debout. La terre couverte de branches et de grandes feuilles de palmier se transforme en sable avant de finir dans l'océan.
Les événements récents me reviennent brusquement. Le bateau, la vague énorme, le vacarme, Jieun hurlant mon nom. Jieun...
«JIEUN ! JIEUN !»
Je crie le prénom de ma meilleure amie, peinant à me lever. Une douleur lancinante me transperce la jambe droite et je m'effondre. Un filet de sang dilué par l'eau salée coule sur le sable pour rejoindre l'océan, brûlant la plaie au passage. Ma cuisse est ouverte sur presque toute la longueur extérieure.
«Merde.»
J'essaie d'enlever le sable incrusté mais l'eau salée me pique trop pour continuer et j'empire plus la situation que je ne l'améliore réellement.
Autour de moi, d'autres survivants cherchent des rescapés. Un petit groupe de jeunes s'acharne à réanimer une femme. Une autre s'approche et remarque mon état. Elle hurle quelque chose à un autre groupe qui porte un garçon vers un tronc d'arbre.
«Les gars ! Ici aussi !»
Je me redresse du mieux que je peux.
«Non, non, c'est bon, je peux marcher. Il faut absolument que je retrouve Jieun...» Je regarde autour de moi, mais ma tête tourne de plus en plus. «Il faut. Jieun.»
«Hé ! Tu ne tiens même pas debout. Quelqu'un doit s'occuper de ta jambe, tu perds beaucoup de sang, peut-être déjà trop.» La jeune femme m'oblige a rester là. «Quelqu'un ira la chercher pour toi.»
Je souris faiblement à l'ironie de la situation et tombe littéralement sur la fille en face de moi.
«Merci...»
Et je perds connaissance.
Quand je reprends conscience, ma jambe est enveloppée dans un bandage blanc, déjà teinté de rouge. Je suis couchée sur un lit de fortune. Je me redresse brusquement en cherchant un signe que je n'ai pas rêvé, mais la femme qui passe la tête par-dessus une couverture accrochée au plafond me ramène à la réalité.
«Comment tu te sens ?»
J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Mes membres sont ankylosés et ma tête tourne toujours.
«N'essaie pas de te redresser toute seule.» me gronde-t-elle légèrement.
Elle s'approche et me relève délicatement, prenant soin de replacer le coussin fait de blouses blanches dans mon dos. Je ne comprends plus rien. Où suis-je ? Qu'est-ce qui se passe ?
«Ne fait pas cette tête, tout va bien, tu ne vas pas mourir. T'es en sécurité ici.» Me rassure l'inconnue en examinant mon pansement. «Je vais tout t'expliquer mais il faut que tu te calmes d'abord.»
Je hoche la tête et elle continue.
«Je m'appelle Irène. Je me suis proposée pour aider les blessés. De toute façon c'est la seule chose que mes études pourront me permettre de faire ici...» Elle soupire. «Après le crash, on s'est réfugié dans ce qui semble être un lycée abandonné. Le bateau sur lequel nous étions a subi un tsunami, tu t'en rappelles ?»
Elle a de longs cheveux bruns ondulants et une peau pâle. Son visage, avec un faux air de renard, dégage une aura de confiance et de réconfort. Son regard maternel m'apaise autant qu'il m'énerve. Je ne sais pas comment lui faire comprendre que je me rappelle plus que bien de ce moment d'horreur. C'est comme si j'entendais encore les cris des passagers dans ma tête.
«L'île semble avoir été évacuée récemment. Il reste presque tout ici. On pourrait faire bouillir l'eau salée pour la stériliser ou attendre qu'il pleuve...»
Elle réfléchit en oubliant complètement qu'elle était en train de me parler. Je la regarde, épuisée, sentant qu'elle s'égare.
«Ah oui ! Pardon. Donc, on t'a amenée ici après que tu te sois évanouie hier. J'ai vérifié ta jambe, ça va prendre quelques jours pour guérir, surtout qu'avec cette chaleur et l'humidité on ne va pas manquer de microbes. Fais bien attention, les points sont précaires.»
«Combien de t- temps ?» Je tente de parler en sentant que le sable à largement irrité toute ma gorge.
«T'as dormi toute la journée. Certaines personnes attendent que tu te réveilles avec impatience !»
Elle me regarde avec des étoiles dans les yeux, comme si elle oubliait que nous étions coincés sur une île après un tsunami. La nouvelle médecin m'aide à me lever, m'expliquant une nouvelle fois que ma jambe devrait guérir en trois ou quatre jours si je la rince correctement.
«Merci.»
Irène me regarde, surprise que je lui parle, et rétorque :
«Ça, tu me l'as déjà dit avant de t'évanouir hier !»
Quand je parviens enfin à descendre les escaliers de ce lycée délabré qui nous sert d'abris, j'atteins ce qui semble être le hall. Transformé en refuge improvisé, il est rempli de lits de fortune faits de vieilles couettes comme celles de la salle où je me trouvais. Partout, des gens blessés discutent entre eux ou avec d'autres rescapés. Le hall ressemble désormais à une véranda à ciel ouvert, sans vitres, avec des murs de béton troués laissant passer l'air étouffant du coucher de soleil.
À ma droite, un groupe de jeunes étudie attentivement ce qui semble être une carte, tandis qu'au loin, j'aperçois quelqu'un courir vers moi. Avant de comprendre, un corps étranger s'agrippe à moi pour me serrer très fort.
«Sonha ! Mon Dieu, merci.» Elle se met à pleurer. «Je savais que tu t'en sortirais...»
L'odeur familière de Jieun envahit mes narines. Elle me serre si fort que l'air quitte mes poumons.
«Si tu continues à me serrer comme ça, je vais vraiment mourir.»
Elle se recule pour me regarder, passe une main sur ma joue et revient pour un câlin plus doux, que je lui rends.
«J'ai cru t'avoir perdue à tout jamais.»
«Moi aussi.»
«Bon, les deux pleureuses, elles veulent pas se la fermer ?»
Je me crispe en entendant le surnom, et me détache de Jieun pour voir qui parle. Un homme du groupe des jeunes nous regarde avec hostilité, tandis que les autres n'osent rien dire.
«La ferme, Jaehyun. Elles viennent de se retrouver, c'est normal» dit Irène qui venait, à ma suite, de descendre les escaliers et arriver dans le hall.
Jaehyun lève les yeux au ciel et retourne à sa carte. Irène nous entraîne dehors et nous installe sur des marches en bois surplombant un bâtiment face à l'océan.
«C'est qui ce con ?!» Je la regarde énervé en voulant retourner lui foutre une beigne.
«Oula, non non non. Pour l'instant, on reste ici bien gentiment. jusqu'à l'arrivée des secours plutôt que d'aller rouvrir sa petite jambe. D'ici là, va falloir supporter l'autre tête de con, c'est lui qui dirige un peu tout le monde, Jaehyun.»
«C'est surtout parce qu'il est beau que les autres l'écoutent,» ajoute Jieun comme si ça pouvait me calmer.
«Ca c'est sûr...» Irene s'assoit avec nous tranquillement et continue de m'expliquer tout ce que j'ai raté pendant mon sommeil. «Pour l'instant, on a retrouvé que vingt-huit personnes vivantes. Les autres sont soit perdus sur cette île, soit au fond de l'océan.» Dit le médecin en désignant l'eau devant nous.
«Vingt-huit personnes, c'est si peu par rapport à ceux qui étaient à bord du navire.» Je dis en sentant Jieun s'accrocher a mon bras.
«Mon Dieu...» s'attriste-t-elle, le regard dans le vide.
Je la regarde, inquiète, et ose poser la question qui me brûle les lèvres.
«Est-ce que Wheein et Moonbyul ?»
Je n'ai pas besoin de finir ma phrase. Le regard de Jieun me donne la réponse.
«Non. C'est juste que...» j'essaie de me rattraper pour qu'elle ne déprime pas plus. «Peut-être qu'on ne les a pas encore trouvées ! Elles sont peut-être sur l'île, à nous attendre dans le froid...»
Irène m'interrompt avant que je ne m'égare davantage.
«Sonha... Les nuits sont froides dans la forêt dense. Et même si elles avaient survécu... comment se seraient-elles nourries ?»
Elle caresse le dos de Jieun alors que les larmes lui montent aux yeux.
«Parmi les 28 personnes ici, vous devez en connaître certaines. Il faut relativiser et penser au positif. Au moins, vous êtes toutes les deux en vie.»
Irène se lève, nettoie son jean coupé au niveau des genoux et nous quitte en nous demandant de venir manger. Jieun et moi restons là, à regarder les vagues.
«Est-ce que ça va ?»
Jieun pose sa tête sur mon épaule et je la sens pleurer doucement.
«Je veux voir mes parents. Je veux rentrer à la maison. Je veux me réveiller de ce cauchemar, Sonha...»
Sa voix se perd dans la brise, emportée par le doux bruit des vagues. Je fixe l'horizon, comme s'il allait s'échapper avec le soleil couchant. La pénombre s'installe doucement. Je serre mon amie contre moi.
«On rentrera. Je te le promets.»
Le repas se compose de boîtes de conserve trouvées dans l'ancien réfectoire. Un groupe de garçons, dont Jungkook, a proposé de pêcher dans les jours à venir, une idée approuvée par tous. Je me sens coupable de n'avoir pas pris le temps de voir qui était là. J'ai passé toute la soirée avec Jieun, sans me soucier des autres...
Tout le monde est éparpillé dans le hall, chacun mangeant la petite ration servie. Le hall est devenu la pièce de vie commune, éclairée par des lampes vieilles comme le monde, pendues à des branches et des bouts de bois insérés dans les trous des murs. Jaehyun a souligné l'urgence de trouver de l'eau potable, une priorité absolue qu'ils cherchent sur une carte trouvée dans une salle de classe. Sans eau rapidement, nous mourrons de soif, ce qui serait une fin tragique sur une île perdue entourée d'eau.
Soudain, un garçon que je n'avais jamais vu se lève brusquement et court vers la plage. Tout le monde le regarde, surpris.
«Joshua, où est-ce que tu vas ?!» crie une jeune fille en le poursuivant, alors que des bruits de vomissements retentissent.
Elle accélère, et l'atmosphère devient encore plus tendue.
«Qu'est-ce qu'il se passe ?» Je regarde Jieun qui fait une tête dégoûtée.
Les moments de répit sont plus courts que l'espoir de revoir un jour nos proches. Je vois Irène se lever à son tour, suivant la jeune fille. Je me lève aussi, mais Jieun me retient par le bras, déconcertée.
«Qu'est-ce que tu fais ?» demande-t-elle.
«Je vais voir s'ils ont besoin d'aide.»
«Mais on ne les connaît pas...»
Elle détourne le regard et plonge dans sa boîte de conserve. Je n'en reviens pas.
«Et alors ? On est tous dans la même galère. Au lieu de penser qu'à soi, on doit aider les autres.»
Le silence règne alors que je rejoins les autres dehors. Est ce que Jieun aurait-elle autant pleuré en me retrouvant si je n'avait pas été moi ?
En arrivant près des trois ombres dans le noir, je vois le fameux Joshua à quatre pattes, vomissant, avec Irène qui lui caresse le dos et la jeune fille terrorisée en retrait. Je m'approche de l'homme au sol, qui vient d'arrêter de vomir.
Je prends la boîte en métal qu'il avait dans sa course folle et examine l'étiquette à la lumière de la lune.
«Des allergies ?»
Il continue de cracher, incapable de répondre, alors que la jeune fille répond à sa place.
«Aucune ! Il a toujours été en bonne santé ! C'est le plus fort !»
Elle se ronge les ongles, morte d'inquiétude. Irène interroge Joshua.
«C'est peut-être pas la nourriture. As-tu eu des vertiges ou des points de côté réguliers aujourd'hui ?»
«Non, rien !» dit la jeune fille.
Irène soupire, et je laisse tomber la boîte, inutile. Joshua lève son t-shirt, révélant une compresse de fortune rougeâtre sur sa hanche. En la retirant, Irène découvre une plaie béante.
«Pendant la grosse vague sur le bateau, j'ai pris un bout de la rambarde dans le ventre,» dit-il en riant. «Quel genre de petit ami se prend une rambarde...»
La jeune fille éclate en sanglots et le secoue. C'est comme assister à une tragédie grecque mais sur une île où la température ne descend pas en dessous de trente degrés.
«Mais tu es vraiment con ou quoi ! Tu allais rester avec ça alors que tout le monde se faisait soigner !»
Irène intervient. Si bien que je me retrouve dans le sermons, quelque peu coupable aussi.
«Oui, tu aurais dû nous le dire, on est tous dans la même galère maintenant.» Elle me jette un coup d'œil désapprobateur. «Bon, il faut s'occuper de ça. Tu peux te lever ?»
«Je peux t'aider à marcher si besoin.» Je lui propose en tendant une main mais la jeune fille me pousse légèrement.
«Non, c'est moi qui vais le porter !»
Joshua grimace et se dégage.
«Me tire pas dessus, ça fait mal !»
«On est pas assez fortes pour le lever,» remarque Irène pour essayer de faire changer d'avis la petite amie trop possessive.
Joshua se redresse péniblement.
«J'ai tenu une journée, je peux marcher.»
Il vacille, et le médecin et la gamine le soutiennent à peine.
«Je vais prévenir les autres,» dis-je. «On va pas aller loin comme ça.»
Joshua m'arrête.
«Non ! Ne le fais pas !»
J'en ai marre de ces gamineries. Si il veut crever je vais vraiment le laisser là et nourrire les crabes de la plage.
«Eh, Roméo, ici, c'est pas une fiction romantique. Ta bravoure ne te sauvera pas. Ferme-la et va te faire soigner.»
Silence complet. Irène acquiesce et continue de marcher avec Joshua. Ils finissent par le faire asseoir contre un muret, épuisés.
Je me dirige d'un pas assuré vers l'homme qui semble avoir un minimum d'importance, avec un peu de chance il trouvera que cette fois-ci je ne fais pas ma pleureuse et je participe à l'effort de groupe. Tous les regards se tournent vers moi, alors que j'entends la voix de la fille dehors sermonnant Joshua.
«On a besoin de deux personnes assez fortes pour porter le type qui est sorti en courant tout à l'heure. Il est blessé et il faut le monter à l'étage pour que le doc puisse le soigner.»
Un silence de mort m'accueille. Même le 'chef', assis en arrière sur un meuble à moitié brisé reste impassible, curant sa boîte métallique grise.
«Pourquoi on l'aiderait ? Il peut pas se porter tout seul ? Il a qu'à demander à Yooa, elle la fermera peut-être comme ça.» pouffe un mec aux côté du grand chef.
Quelques rires étouffés accompagnent la remarque du garçon. C'est chacun pour soi, et tant pis pour les autres.
«Ferme-la, Key,» ordonne le connard qui n'a pas non plus voulu aider Joshua.
Key lance un regard noir à son ami tout en replaçant une mèche de ses cheveux décolorés. Il est petit, surtout comparé à l'homme qui vient de se lever et qui fait au moins deux fois ma taille. Je ne l'avais même pas remarquer alors qu'il doit pouvoir toucher le plafond sans effort. Est-ce que c'est quelqu'un de l'école ? Je l'aurai déjà vu sinon.
«Il est où ?» demande-t-il d'une voix neutre.
Je lui souris, reconnaissante, et il ne répond rien. Ce gars-là semble bien plus sensé que l'autre. Le chef, sûrement énervé que quelqu'un l'ai contredit, se lève à son tour et rejoint l'homme géant, posant une main sur son épaule.
«Évidemment qu'il faut aider les autres ! Où est notre grand malade ?»
Son sourire hypocrite m'irrite. Il n'avait pas bougé d'un pouce quand j'avais demandé de l'aide, mais maintenant il joue les leaders pour ne pas se faire voler la vedette.
«Suivez-moi.» Je leur dit sans faire d'histoire pour ne pas perdre de temps.
Je retourne vers Joshua, appuyé contre le mur, le visage encore plus pâle.
«Enfin !» dit Irène. «Il a recommencé à saigner abondamment, il peut plus se lever. Dépêchez-vous !»
Elle regarde les deux garçons derrière moi et dévisage celui qui m'a traiter de pleureuse, surprise qu'il soit là pour aider. Elle lève un sourcil dédaigneux avant de reprendre.
«Merci de nous aider,» dit-elle en se pinçant les lèvres. «Suivez Sonha, elle vous montrera où le mettre. Yooa et moi on va chercher des médicaments dans les salles. Faites attention en le portant, essayer de pas vous tacher, le sang c'est rempli de bactéries quand c'est vieux.»
Elle positionne le bras du géant sous l'épaule droite de Joshua, l'aidant à soutenir son poids.
«Voilà. Fais pareil,» dit-elle froidement à Jaehyun.
Elle se tourne, ordonne à Yooa de venir avec elle et finit par se diriger vers un autre bâtiment, plus petit mais en meilleur état que le bâtiment central.
En fait, si on regarde bien, toute la plage est plongée dans un noir oppressant, les carcasses de bouts de bateau et la végétation enchevêtrée le long du rivage rendent l'horizon encore plus effrayant qu'il ne l'était déjà. C'est comme si chaque masse sombre ondulait sous la lune, se rapprochant lentement mais inexorablement. Je détourne le regard dès qu'Irène sort de mon champ de vision et rejoins le trio de choc qui commence déjà à s'élancer dans l'ascension du blessé vers "l'infirmerie".
Quand Joshua passe enfin la porte grise, c'est à bout de force que les deux garçons le déposent sur le lit derrière le mur de fortune.
«Irène ne va pas tarder, t'inquiète pas fréro, on va te sortir de là,» dit Jaehyun, lui tapotant l'épaule avant de s'éclipser avec une dernière parole. «Et vous d'eux,» dit-il en nous pointant du doigt, moi et le grand inconnu. «Demain, je lance une équipe pour faire un repérage et la poursuite des rescapés. J'espère vous voir. Bye.» Et il quitte la pièce.
'On va te sortir de là', mon œil. Il nous laisse seuls après avoir fait sa bonne action devant les autres. Avec un peu de chance ce type faisait de la politique et il avait déjà son ticket pour les élections.
«Je peux te parler ?»
Le géant me regarda fixement, et je compris qu'il valait mieux qu'il me parle loin des oreilles du blessé.
«Bien sûr.»
Il m'attire un peu plus loin dans la salle, son regard marron plongeant dans le mien tandis que je cherche où poser les yeux.
«Est-ce qu'il va s'en sortir ?»
Je suis étonné qu'il s'inquiète pour Joshua alors qu'ils ne se connaissent pas, mais ça me réchauffe le cœur. Peut-être qu'ils ne sont pas tous égoïstes ici, finalement...
«J'en sais rien. J'espère... Irène a dit qu'elle allait le soigner et vu le miracle qu'elle a fait avec ma jambe, je pense qu'il faut lui faire confiance.»
Je caresse doucement ma jambe qui me lance depuis la remontée des escaliers et jette un coup d'œil à Joshua qui semble nous écouter de loin, ou du moins tendre une oreille en faisant semblant de se redresser.
«Chanyeol.»
Alors que je divague sur l'état de Joshua, l'inconnu me lance son prénom sans émotion, juste une phrase concise. Je reste perplexe, ne sachant pas s'il est réservé ou simplement taciturne.
«Toi ?» demande-t-il d'une façon qui me conforte dans la deuxième option.
«Sonha.» Je m'appuie sur la table et croise les bras. «Tu comptes faire partie de cette "équipe" de sauvetage demain ?»
Il lève un sourcil, intrigué par mes termes, et laisse échapper un rictus. Sa taille imposante est évidente, mais je remarque aussi ses grandes oreilles décollées, cachées par ses boucles noires.
«Si je peux aider à quoi que ce soit, je le ferai. Après tout, on est tous dans la même merde ici.»
Je hoche la tête en accord, confirmant ses paroles.
«Dommage qu'il n'y ait pas plus de gens qui pensent comme toi ici...»
Chanyeol me regarde soupirer sans rien dire. Je crois qu'il n'aime pas trop parler. C'est à peine si il pose plus de deux syllabes l'une après l'autre sans laisser de grands silences entre deux.
«Hé !»
On se tourne tous les deux vers Joshua, qui nous fait signe vers la porte.
«Vous pouvez aller faire ce que vous voulez. J'ai pas besoin de garde du corps ni de qui que ce soit à mon chevet. Merci de vous être occupés de moi, mais vous devez être complètement crevés, surtout toi, là, avec ta jambe bandée.»
Il me montre du doigt et grimace en voyant mon état. Je jette un œil à Chanyeol, qui acquiesce. Pas de parole, juste des gestes. J'aime ça.
«Bon, je vais rejoindre les autres alors. J'espère que tu te remettras vite sur pied, Joshi-Josh !» je lui dis avant de quitter la salle.
En arrivant en bas, je retrouve Jieun en pleine conversation avec une fille que je ne connais pas. Elle lui donne des couettes et de quoi poser sa tête. Dès qu'elle m'aperçoit, la petite brune se précipite vers moi et m'entraîne vers une porte au fond du Hall. Elle l'ouvre, révélant une petite salle de classe. Ce n'est pas vraiment "mignon", plutôt dans le style abandonné.
«Sana m'a dit qu'on pouvait s'installer ici pour être tranquilles, surtout que tu as besoin de calme pour ta jambe,» explique-t-elle en commençant à pousser les tables sur le côté.
Je la regarde bouger, me demandant ce que je ferais sans elle. Probablement dormir avec les autres, en essayant de ne pas me plaindre de ma jambe qui recommence à me brûler sévèrement.
«Merci...» Je murmure mais elle m'entend.
Je le sais parce qu'elle ne répond pas, se contentant de désigner les couettes et me demandant de les installer par terre.
«C'est tout ce que je peux te proposer. Ce n'est pas digne d'un hôtel cinq étoiles, mais c'est déjà ça. Ça me rappelle quand on était petites, les cabanes en couettes et les nuits blanches à se raconter nos histoires d'amour.»
Elle sourit en ramassant les bouts de verre sous les fenêtres avec une feuille de papier trouvée par terre.
«Je suis désolée...» ma voix se fait timide. Je crois qu'elle m'impressionne a toujours sourire.
Jieun place la boule qui nous servira de coussin et commence à enlever son t-shirt. L'air du soir est tellement lourd que nos vêtements ressemblent à des torchons trempés. En soutien-gorge, elle s'allonge nonchalamment sur la couette et tapote l'endroit à côté d'elle pour que je la rejoigne.
Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est, mais il doit être minuit passé. Le bruit autour de nous commence à se dissiper. Les autres dans le hall ont dû se coucher eux aussi. Tandis que les chuchotements s'éteignent, les bruits de la forêt derrière le bâtiment deviennent plus audibles. Par la fenêtre, je distingue l'étendue sombre et froide de la verdure qui bouge doucement, comme si elle essayait d'avaler l'espace sans forêt. J'ai l'impression que des milliers de petits yeux nous fixent à travers les fenêtres cassées, cachés parmis les lianes et les feuilles géantes.
«Je vais mettre du sang partout si je m'allonge comme ça. Je vais voir si je trouve pas quelque chose-»
«Laisse tomber,» me coupe-t-elle en se tournant vers le mur où sont accrochés des dessins de l'île au crayon de couleur, tous plus ou moins ressemblants. «Arrête de te prendre la tête si tu tâches les draps ou pas. On est perdus en plein milieu de l'océan sur une île remplie de je ne sais quoi, et toi tu t'inquiètes de salir les draps ? Maintenant viens dormir avant que je te couche par la peau du cul.»
Elle ne rajoute rien, et je finis par m'allonger à ses côtés, sans un mot de plus.
Après quelques minutes, j'entends son souffle régulier m'indiquant qu'elle s'est endormie. Je vérifie, voyant son buste se soulever et retomber doucement. Je souffle un bon coup.
«Perdus sur une île...»
Cette pensée s'échappe toute seule tandis que je tourne la tête vers les vitres suspendues aux murs. De là, je peux voir les étoiles qui brillent dans le ciel. Elles me font presque oublier à quel point je suis loin de chez moi. Mes parents n'ont sûrement pas remarqué ma disparition. De toute façon je ne leur ai pas envoyé de message. Peut-être que ceux de Jieun vont remarquer vu qu'elle leur parle tout le temps.
Est-ce que je vais leur manquer ? Qui va vraiment penser à nous ? Est-ce qu'on nous cherche déjà ? Et tous les autres qui étaient sur le bateau, où sont-ils maintenant... Vivants, morts, sur l'île, au fond de l'océan...
Je ferme les yeux alors qu'une larme glisse sur ma joue. Je me tourne sur ma jambe intacte et colle mon front contre le dos de Jieun, cherchant à me rassurer.
Elle est là, avec moi, et non à mille lieues sous les mers.
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