Chapitre 6

C'était un cri comme Isil n'en avait jamais entendu. Un hurlement terrifié poussé au maximum, qui cherchait la vie à tout prix.

La jeune femme arriva devant sa récente amie juste après l'arrivée du grand loup noir. Le souffle coupé par la peur et les yeux luisants dans l'obscurité, elle posa immédiatement son regard sur le corps brisé de la métamorphe étendue au sol.

Une flaque rouge s'étendait sur le sol humide de la forêt. La gorge ouverte de la morte montrait son contenu sanguinolent au ciel.

Ses yeux auparavant brillants s'étaient éteints en même temps que leur porteuse.

L'image fut violente, mais la métamorphe comprit immédiatement. C'était un corps sans vie qui lui faisait face.

Isil serra les dents. Si il y avait bien une chose à laquelle elle avait déjà été confrontée, c'était la mort. Et elle pouvait en apercevoir les responsables brûlants de haine, le sang de la jeune femme maculant leur mâchoires.

Un grondement menaçant s'échappa de la gorge de l'un d'eux.

- Je ne tolérerais pas une seconde de plus la présence d'une abomination dans le village.

Le métamorphe grondant put à peine finir sa phrase qu'Hithoel lui sauta à la gorge. Ses dents mortelles lui déchirèrent la clavicule en moins d'une seconde. Une giclée d'hémoglobine suintante s'échappa de la plaie béante, souillant le sol vert qui soutenait leurs pieds.

Isil s'envola immédiatement, le cœur motivé par une rage débordante. Elle piqua vers le premier meurtrier qu'elle vit, sans distinction aucune. Les chiroptères attaquaient avec leur dents, et Isil ne perdit aucun instant à déchirer avec violence la gorge tendre de l'ours qui lui faisait face.

Celui-ci se débattit avec force et répliqua en lui enfonçant ses griffes pointues dans l'abdomen, tandis qu'Isil s'appliquait à lui détruire la trachée avec application. La douleur n'atteignait pas encore son cerveau, et elle lécha le sang resté sur sa lèvre tandis que le cadavre de la brute s'étalait bruyamment au sol.

Les deux autres métamorphes s'étaient enfuis aussitôt après avoir vu le loup tuer leur compagnon. L'esprit affolé, elle se tourna tout de même vers le cadavre inanimé de son amie. Elle s'était totalement vidée de son sang sur le sol.

Isil accourut vers son corps. Ses deux petites mains blanches encadrèrent le visage froid de Loria. La jeune femme ne la connaissait pas depuis très longtemps, mais c'était la seule qui lui ai témoigné un semblant d'amitié dans ces terres.

Une seule larme pudique coula le long de sa joue alors qu'elle laissait courir doucement son doigt contre la joue restée intact de son amie défunte. Son visage inanimé était resté beau dans la mort, presque ignorant de la plaie béante de sa nuque.

Hithoel la rejoignit lentement sous sa forme de loup, frottant doucement son museau froid dans sa nuque. Isil frissonna et blottit son visage contre sa fourrure réconfortante. Ils restèrent quelques secondes ainsi, Isil noyant silencieusement son chagrin dans la chaleur douce de son ami. Soupirant, elle se décida finalement à saisir le cadavre. Elle dû la traîner lentement, ramenant son enveloppe vide sur le sol mousseux de la forêt. L'allonger correctement sur le sol fut compliqué, son poids ayant presque doublé dans sa rigidité. Une fois allongée paisiblement, Isil lui embrassa le front avec déférence. Les morts rendaient à la nature la vie qu'elle leur avait donné.

Hithoel l'observait silencieusement avec ses beaux yeux d'argent, assis sagement derrière elle. Après s'être éloignée de l'endroit où elle avait déposé le corps de Loria, Isil s'agenouilla à son niveau en reniflant.

Bien qu'elle n'ait pas connu Loria très longtemps, elle pleurait sincèrement sa mort. C'était la première fois que la jeune femme perdait quelqu'un.

Hithoel, sentant sa tristesse mieux que personne, lécha délicatement le sa main. Isil le gratifia d'un maigre sourire, mais la pierre dans son cœur était lourde et brûlante.

Il restèrent silencieux pendant plusieurs minutes.

Isil saisit finalement la fourrure sombre de son ami, plongeant son visage dans son dos massif. Hithoel frissonna. Il allait reculer, mais il aperçut ses yeux tristes retenir leurs larmes.

Il se résigna finalement à se coucher contre elle, tandis que la jeune femme caressait lentement ses oreilles sensibles.

Isil savoura un peu amère la douce sensation de son corps lupin chaud qui respirait lentement contre elle. Sa poitrine souffrait tandis qu'elle fermait ses paupières.

- Est-ce que c'était de ma faute ?

Hithoel secoua sa tête animale tout en lui accordant un léger coup de museau sur la main. Isil soupira doucement, continuant ses caresses. Le loup ne l'autorisait presque jamais à le traiter ainsi.

Ce n'était pas la culpabilité qui étreignait le cœur de la jeune femme. C'était une sensation d'injustice terrible et brûlante couplée à cette impuissance cuisante qu'elle ressentait.
Les responsables de son malheur étaient déjà en partie morts, mais Isil savait que ce n'était qu'une des nombreuses manifestations de la haine de ses semblables. Le fait que ce soit son amie douce et lumineuse qui en ait été victime la faisait se fondre en une flaque acide de tristesse.

- Qu'est-ce qu'on devrait faire ?

Hithoel tourna son regard animal vers elle, une inscription claire indiquée sur son visage.
Isil retint ses larmes de frustration.

- Non, s'il-te-plaît, on ne peut pas rentrer maintenant.

Grondant légèrement, le grand loup noir se contracta contre elle. La jeune femme intimidée par son aura se rétracta doucement, mais garda ses positions avec conviction.
Tentant d'influer son désir brûlant dans sa voix, elle demanda doucement :

- Je t'en prie, Hithoel. Elle n'avait rien fait. Laisse-moi au moins retrouver ceux qui se sont enfuis.

Isil sentait son cœur réclamer justice auprès du meurtre de son amie. Elle sentit également ses mots faire écho à l'intérieur du loup, qui l'observait d'un regard nouveau.
Il resta silencieux pendant de nombreuses minutes, avant de finalement se dégager.

Isil le suivit silencieusement dans la nuit, ses joues versant encore quelques perles de regret pour le corps qui reposait à présent sur le sol fertile de sa forêt.

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