Chapitre 5

Isil s'étirait sous un soleil chaud et caressant, observant avec attention les grands champs qui s'étendaient devant elle.

Les métamorphes cultivaient : et outre la chasse, la cueillette était une des activités favorite de la jeune femme.

Son affiliation animale faisait qu'elle ne dormait que très peu, et elle s'était réveillé bien avant son compagnon. Déterminée, elle avait décidé de contribuer aux tâches quotidiennes de la tribu en échange de l'hospitalité qu'elle leur offrait. Elle avait timidement fureté autour de leur cabanon jusqu'à trouver un métamorphe inconnu et amusé qui lui avait gentiment indiqué le chemin jusqu'aux plantations et qui lui avait donné un énorme sac.

Les pommiers immenses et fiers l'attiraient du regard. Elle ne s'était nourrie jusqu'ici que de fruits des bois. Ces pommes rouges et brillantes attiraient son regard naïf.

Il lui suffit d'un coup de pied au sol pour décoller jusqu'à la première branche, se servant avec parcimonie de ses ultrasons afin d'éviter les petites ramifications qu'elle voyait mal. Une fois perchée sur son arbre, elle tendit la main vers un fruit et tira légèrement.

Il se sépara de l'arbre avec un bruit sec, et Isil en étudia la texture presque religieusement. C'était lisse mais collant à la fois, et cela lui rappelait la sensation de sa peau mouillée qui séchait au soleil après qu'elle se soit nettoyée dans la rivière.
Ses canines pointues percèrent la pomme avec aisance, et un jus sucré envahit soudain sa bouche. Le goût piquant et légèrement acide du fruit de répandit sur sa langue alors qu'elle fermait les yeux pour mieux savourer.

C'était exquis.

Elle mangea lentement le reste du fruit, puis lécha ses doigts pour récupérer le jus qu'il y restait. S'attelant finalement à la tâche, elle récupéra consciencieusement toutes les pommes mûres, remplissant bien vite son énorme sac.

La hauteur de l'arbre ne lui posait aucun problème, elle volait aisément jusqu'aux plus hautes branches.

Elle eut rempli son sac quelques heures plus tard. Elle avait bien récupéré quelques centaines de pommes, et se dirigeait avec une fierté difficilement dissimulée vers le village.

Hithoel, la mâchoire crispée et le dos raide, l'attendait de pied ferme.

Isil se sentit blanchir : elle avait complètement oublié de le prévenir de son escapade.

- Isil.

Elle lâcha aussitôt le fruit de son travail, se dirigeant vers son compagnon avec prudence. Ses oreilles tressautaient nerveusement, alors qu'elle affrontait le regard noir de son compagnon.

Il avait du s'inquiéter, imaginer milles façons où elle aurait pu disparaître.

Le cœur d'Isil se serra de culpabilité.

- Je suis sortie aider. Je ne voulais pas te réveiller, excuse-moi.

Étonnement, il ne lui grogna pas dessus. Il se contenta de soupirer longuement en agitant ses oreilles noires, sa queue touffue se balançant nerveusement derrière lui.

- Ce n'est pas grave, ce n'est pas à toi que j'en veux. Je suis juste inquiet.

Isil vivait avec lui depuis tellement d'années. Ils n'avaient plus vraiment besoin de communiquer à voix haute pour se dire les choses, et elle voyait clairement l'inquiétude viscérale qui nageait dans ses yeux d'argent.

Il lui adressa un léger sourire, tentant de la rassurer sur son état. S'approchant d'elle, il effleura gentiment sa tête avec sa griffe.

Isil frissonna. Ce n'était pas souvent qu'il autorisait un contact entre eux.

Son ami retira vivement sa main, lui lançant un regard interdit.
Elle savait que cet effleurement léger ne durerait pas. Il ne le faisait jamais.

- Je dois aller ramener ça. Tu viens avec moi ?

Si Isil était audacieuse, elle préférait rester prudente. Le village était toujours aussi inconnu pour elle, et chaque pas qu'elle faisait était une nouvelle découverte.

Ils purent rendre le fruit de la récolte de la jeune femme sans encombres, Hithoel la plupart du temps silencieux. Il semblait constamment sur ses gardes, son regard inquiet parcourant régulièrement les alentours. Isil ne pouvait que l'accepter : rien ne pourrait dissuader la nature profondément anxieuse de son compagnon.

- Que faisons-nous aujourd'hui ?

Une question posée innocemment, alors que la jeune femme observait un insecte posé sur un muret non loin d'elle. S'agenouillant lentement près de lui, elle étudia son anatomie. Il était assez gros, noir et luisant. Deux pinces agressives frétillaient lentement aux extrémités de ses pattes avant.

Isil hésita quelques secondes à en faire un petit repas, mais y renonça. Elle avait pour habitude de ne donner la mort que lorsque le besoin s'en faisait ressentir.

- Je ne sais pas. N'est-ce pas toi qui voulait venir ici ?

Isil retint un rougissement embarrassé. Elle n'arrivait pas à se faire à l'idée, et une vague de culpabilité l'envahissait à chaque fois qu'il faisait référence à l'origine de leur voyage.

- Je voudrais explorer les alentours, mais je ne sais pas si j'ai le droit.

Hithoel leva ses yeux gris sur l'horizon. Ils semblaient songeurs, presque tristes.

- Tu n'as plus besoin de me demander l'autorisation, Isil. Tu n'es plus une enfant depuis longtemps déjà.

La jeune femme avait toujours eu du mal à se faire à l'idée. Hithoel avait été le seul rempart pour elle, et elle s'était habituée à dépendre uniquement de son protecteur.

Pour elle, devoir prendre ses propres décisions était éreintant. L'oeil approbateur de son compagnon à ses côtés lui manquait.

- J'y vais dans ce cas.

Se levant, elle accorda tout de même un regard pensif à la silhouette de son ami. Elle trouvait étrange qu'il ne propose pas de l'accompagner.

Ils étaient toujours ensemble, et elle aurait cru qu'il voudrait garder un œil sur elle.

En dépit de son excitation à l'idée d'explorer seule le village, un incompréhensible pincement au cœur la saisit. Elle était presque... déçue.

Secouant la tête pour éloigner ses pensées, elle s'envola. Il la retrouverait facilement de toutes les manières : ils connaissaient leur odeur respectives mieux que leur propre empreinte olfactive.

♠•♣•♥•♦

Isil observait avec un mélange de timidité et de curiosité la hutte colorée qui se démarquait au milieu des autres. Son toit était recouvert de peintures de toute sortes, s'étalant dans un désordre joyeux sur le bois. La singularité de l'habitation l'intriguait, mais elle hésitait à s'en approcher. Malgré le fait qu'elle soit déjà arrivée depuis une nuit, elle n'arrivait pas à s'adapter aux coutumes et aux comportements de ces métamorphes. La crainte de mal agir était toujours là, repoussée néanmoins par sa curiosité enfantine.

- C'est ma maison que tu regardes ?

Isil sursauta. Elle n'avait même pas entendu les pas feutrés de la métamorphe qui lui faisait face en souriant. La jeune femme remarqua aussitôt ses oreilles fines et noires, et sa longue queue qui ondulait derrière elle. Elle comprit finalement que c'était un chat qui lui faisait face, grâce aux griffes élégantes et bien taillées que la métamorphe portait aux doigts.

- Hum... Oui. C'est très beau.

Isil ne savait toujours pas vraiment quelle attitude adopter auprès de ses congénères. Néanmoins, celle-ci lui souriait avec entrain.

- Merci ! Je voulais me démarquer un peu de tous ces autres cabanons. Je m'appelle Loria, et toi ?

La métamorphe lui sourit timidement. Elle avait peut-être là l'occasion parfaite de se lier d'amitié pour la première fois avec quelqu'un d'autre qu'Hithoel.

- Isil. Je viens juste d'arriver.

Loria lui adressa un regard de conspiration étrange, et Isil remarqua la pupille en fente qui tranchait ses deux beaux yeux roux.

- Je le sais. Pour une fois que quelque chose d'intéressant se passe ici.

- Oh.

La bouche d'Isil se ferma net. Elle ne comprenait pas bien les intentions de la jeune femme.

Était-elle mal intentionnée ? Désirait-elle pointer du doigt les différences de la chauve-souris ?

- Je te fais visiter ? Je connais un coin bien, on pourra discuter là-bas.

Isil expira un long soupir de soulagement. Les yeux pétillants, elle suivit le pas pressé de Loria en répondant enthousiasmant :

- Oui, bien sûr !

♠•♣•♥•♦

Les deux jeunes métamorphes riaient joyeusement depuis bientôt presque une heure, perchées en hauteur sur une branche épaisse d'un arbre à la lisière de la forêt. Leur nature à elles deux leur faisait préférer les hauteurs.

Isil avait écouté religieusement Loria lui conter énergiquement sa vie passée entre les murs étroits de la tribu. La féline rêvait de pouvoir atteindre la grande ville et vivre sa vie plus intensément.
Bien qu'Isil ne puisse pas vraiment comprendre ce désir - pour elle, tout ici était déjà tellement incroyable - elle le respectait. Loria était une jeune femme pleine d'énergie qui ne pouvait que s'épanouir dans la grande ville du centre que lui avait décrit Hithoel quelques fois.

Ce fut alors au tour de la chiroptère de s'exprimer. Elle raconta son désir depuis très jeune de ne plus vivre la vie de solitaire, ses difficultés à s'intégrer dans une communauté où sa nature même représentait un obstacle.

Isil sentit son cœur s'émouvoir jusqu'à presque l'étouffer lorsque Loria l'attira dans une étreinte réconfortante. Celle-ci lui confia avec gentillesse la méfiance qu'elle avait ressenti à son égard au début, mais lui expliqua avec véhémence son désaccord absolu avec le courant de pensée qui visait à discriminer les métamorphes comme Isil.

Hithoel lui aurait dit qu'elle s'attachait trop vite, mais Isil appela Loria son amie au bout de quelques minutes. La connexion qui s'était si rapidement faite entre les deux jeunes femmes était douce et joyeuse.

Le soleil se couchait lentement néanmoins, et les deux jeunes femmes durent se séparer. Loria devait faire une ronde ce soir, et elle serra Isil dans ses bras comme si elle se connaissaient depuis l'enfance. La chauve-souris lui sourit avec entrain, observant sa forme furtive s'éloigner lentement derrière les arbres.

Alors qu'elle se dirigeait elle aussi vers le village, un grand loup noir familier surgit des fourrés devant elle. Souriant légèrement, elle se pencha vers lui avec un rire enthousiaste. Celui-ci restait interdit, reniflant l'air avec circonspection.

- Hithoel, je me suis fait une amie !

Il ne lui répondit pas : le cri de détresse provenant de la forêt qu'ils entendirent tous deux les fit se figer aussitôt.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top