Chapitre 3


Des toits à perte de vue se profilaient devant ses yeux, alors qu'elle plongeait lentement vers le sol. Après huit jours de voyages, ils arrivaient enfin.

Bien qu'ils aient pu chasser le long du chemin, les légumes manquaient à Isil. Si ils avaient une petite plantation à la maison, trouver de tels aliments en voyageant ainsi s'avérait compliqué, voire carrément impossible. Elle devait se contenter de quelques baies trouvées aléatoirement, n'ayant pas une très bonne connaissance des plantes comestibles.

De plus, si elle avait pu entretenir un minimum de confort en se nettoyant consciencieusement dans un ruisseau, un bain s'avérait nécessaire. Son propre odorat étant très développé, elle ne pouvait rater les effluves peu agréable que dégageait l'ensemble de son corps.

Dis plus franchement, elle ne sentait pas super bon.

Isil posa un pied à terre, avant de détendre longuement chaque partie de son corps. Elle s'étirait consciencieusement après chaque long vol, connaissant très bien les courbatures douloureuses qu'elle subirait si elle y coupait.

Après avoir un peu détendu ses muscles de vol, elle les replia silencieusement.

C'était la partie magique et inexpliquée des gènes des métamorphes qui permettait ces transformations. Leurs appendices divers apparaissaient et disparaissaient à volonté dès leur première année d'existence.

De plus, le gène responsable de cette métamorphose était créé aléatoirement lors de la fusion du spermatozoïde et de l'ovule. Donc, pas d'hérédité. On avait déjà vu des parents loutres avoir un enfant girafe... Toutes les combinaisons étaient possibles.

Enfin, c'était la version scientifique la plus poussée pour l'instant, et par ailleurs la plus crédible aux yeux d'Isil.

Ses yeux dorés parcoururent l'herbe verte à ses pieds. Ici la forêt s'essoufflait doucement, laissait lentement la place aux collines ensoleillées. Elle inspira doucement, captant une multitude d'odeurs différentes grâce à son odorat sur-développé. Cette effluve animale était à présent partout, signalant à tout intrus de manière ostentatoire à qui appartenait le territoire.

À ses côtés, Hithoel s'ébroua frénétiquement. Il était arrivé légèrement après elle, et n'avait pas encore repris forme humanoïde. Isil se pencha lentement vers lui, tendant la main avec un sourire malin au coin des lèvres.

Sa main fourragea sa douce fourrure sombre, et elle étendit ses caresses jusqu'à sa tête fière, tandis qu'il remuait les oreilles avec irritation. Isil savait qu'il n'aimait pas qu'elle le caresse comme un animal domestique, mais elle tirait un plaisir certain de le voir si facilement embarrassé.

Hithoel, sous ses airs de gros dur, cachait un côté puritain qu'elle adorait pouvoir exploiter.

Sa transformation s'amorça soudain, et elle retira son bras aussitôt. Pendant la métamorphose, mieux valait ne pas rentrer en contact avec le métamorphe concerné. Une perturbation même minime pouvait entraîner des complications dans le processus, et Isil ne préféra pas essayer.

Si son passage de la version humanoïde à la version animale était impressionnant, l'inverse l'était tout autant. Son dos se dressa, altier, tandis que son épaisse fourrure noire était comme aspirée par sa peau pâle. Ses prunelles devinrent plus douce, moins sauvage. Ses pattes s'allongèrent, grandirent et il se leva lentement.

Seules restèrent ses griffes noires et ses oreilles poilues, qu'il ne quittait jamais.

Isil ne ferma les yeux qu'au dernier moment, en respect de sa pudeur. Cette transformation était fascinante, et elle adorait l'observer longuement avant le moment fatidique où il serait nu.

Elle ne l'avait vu qu'une seule fois, et il l'avait tant harcelé pour qu'elle oublie tout qu'elle en avait finalement perdu le souvenir. C'était il y a si longtemps qu'elle avait l'impression d'avoir été une toute autre personne à ce moment là.

Toujours plongée dans l'obscurité, elle lui tendit silencieusement un amas de tissus enchevêtrés. Hithoel, pour courir, devait obligatoirement se transformer intégralement, ce qui nécessitait l'absence totale de vêtements.

Cela compliquait tout de même légèrement la chasse et nécessitait d'être très bien organisé ; en tout cas si on ne voulait pas se retrouver coincé en forêt dans le plus simple appareil.

Elle vit les oreilles sensibles d'Hithoel frémir spasmodiquement, comme captant un son lointain. Presque en réaction, elle plissa légèrement les yeux, sentant cette brume constante de musc sauvage lui envahir les sinus.

- Je sens beaucoup d'odeur. Ça me pique le nez.

Respirant longuement, elle se concentra sur l'odeur de mousse et de rivière de son ami. Une effluve familière et agréable qui, au milieu de ce déluge de nouvelles senteurs, rassurait et cajolait son instinct animal.

Elle leva lentement les yeux vers Hithoel. Un air inquiet s'affichait sur son visage sombre, et elle saisit doucement sa main.

S'il y avait bien une chose qu'elle n'aurait pu supporter, c'était de le voir déçu.

- De quoi es-tu inquiet ?

Elle crut sentir sa touche légère effleurer son pouce. Hithoel n'avait jamais été à l'aise avec le contact, et un mouvement de sa part était presque exceptionnel. Une douce chaleur effleura sa poitrine.

Il lui répondit d'une voix grondante comme le tonnerre, celle qu'il avait juste après sa métamorphose.

- Ça fait longtemps.

Isil laissa dériver tristement son regard vers l'horizon bleutée. Il lui avait expliqué tant de fois la dangerosité de cette communauté parfois spéciste et haineuse, les violences que pouvait causer sa différence. Elle était plus ou moins consciente de ces obstacles conséquents, mais elle ne pouvait empêcher ses espoirs de subsister. C'était son rêve depuis des années déjà.

Elle ne pouvait tout simplement pas abandonner si près.

- Ça ira. Je suis avec toi, non ?

Il lui répondit distraitement :

- C'est bien ça qui m'inquiète.

Elle plongea son regard doré dans le sien, deux globes d'argent imperturbables. Sa voix prit sans le vouloir un ton plaintif, alors qu'une fois encore la culpabilité envahissait sa poitrine.

- Excuse-moi...

Il avait beau lui répéter, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable. Même si proche de leur but, les questionnements et appréhensions se mélangeaient dans son esprit dans un brouillard nauséeux.

Elle n'avait qu'une seule certitude : il lui fallait les rencontrer.

- Je te promets que je ferai attention à moi.

Il soupira, mais Isil sut qu'il dissimulait son affection sous une couche épaisse de fausse exaspération.

Un minuscule sourire effleura ses lèvres alors qu'il hochait la tête, s'avançant tranquillement devant eux.

- Reste à côté de moi.

Isil secoua sa crinière sombre avant de laisser échapper un éclat de rire. Elle le suivit en trottinant, plantant son regard doré rempli d'éclats sur la ville qu'on voyait apparaître au loin.

Le soleil s'étirait doucement à l'horizon.


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