Chapitre 2
Ils n'avaient presque aucune affaire à prendre avec eux. Ils vivaient en tant que solitaires, et devaient donc se débrouiller seuls pour s'approvisionner en eau et nourriture. La maison dans laquelle ils vivaient était un héritage de la famille d'Hithoel, et les meubles étaient déjà là au plus loin qu'elle puisse se souvenir. Isil n'emportait donc qu'un vieux tissus bleu, un unique souvenir de sa vie oubliée d'avant Hithoel.
Dans ce monde peuplé uniquement de métamorphes et d'animaux, les peuples variés étaient organisés en différentes tribus plus ou moins étendues. Chacune menée par un chef unique, ils maintenaient généralement la paix entre les populations. Chaque chef devait avoir auparavant mérité sa place, et pouvait ainsi ordonner et contenir les membres de sa tribu.
Une organisation stricte mais nécessaire, faisant palier à l'agressivité naturelle de son espèce.
Hithoel l'avait recueillie enfant, et lui avait raconté l'avoir sauvée d'un incendie. Il l'avait vue chuter du premier étage et avait réussit à l'accueillir dans ses bras, sauvant ainsi sa vie.
Isil se doutait bien que cet incendie avait, à défaut de la tuer elle, sûrement fait disparaître ses parents. Elle ne pouvait pas trouver en Hithoel une figure de père de remplacement : il était bien trop jeune pour avoir un enfant. Seulement trente-deux ans les séparaient : un nombre presque ridicule lorsqu'on voyait l'espérance de vie moyenne des métamorphes, culminant à environ un demi-millénaire.
Elle ne connaissait qu'Hithoel, avait tout appris de lui. Et même si elle lui était éternellement reconnaissante, elle désirait de tout son cœur découvrir le monde par elle-même. Même si elle avait pu voir et étudier chaque nuance de son espèce dans les livres, elle voulait pouvoir les rencontrer. Sa tribu l'appelait incessamment depuis trois ans maintenant, et le manque envahissait chaque cellule de son être.
Néanmoins, leur mode de vie compliqué avait pourtant une bonne raison d'être. Les croyances spécistes de nombres des habitants de ce monde rendaient la vie cruelle pour les métamorphes comme Isil. Hithoel l'avait toujours surprotégée, et sa condition particulière ne faisait rien pour arranger son inquiétude constante.
Le loup portait d'ailleurs en permanence ses longues griffes noires, même sous forme humanoïde.
Isil noua ses cheveux en une longue tresse sombre, se préparant avec fébrilité pour le vol. Le soir commençait à tomber, et elle était chargée de la plupart de leurs affaires. Hithoel pouvait certes courir très vite sous sa forme lupine, mais sa morphologie animale ne lui permettait pas de transporter quoi que ce soit.
Isil était donc chargée d'un unique petit sac, qu'elle portait en bandoulière à défaut de le porter sur son dos. Ses grandes ailes noires empêchait en effet de prendre une quelconque charge.
Elle déploya ses oreilles de chauve-souris, captant à présent le moindre frottement, la moindre brise à travers la forêt entière. Ses oreilles remplaçaient ses yeux : elle voyait en entendant, ses capacités de perception n'étaient pas diminuées par la nuit. À ses côtés, Hithoel était déjà tombé à quatre pattes sur le sol humide. Un loup noir énorme remplaçait son ami au même poil sombre que sa version animale.
Seuls ses iris avaient gardé leur couleur d'argent ténébreux, et elle observa avec fascination ses pupilles canines se planter dans son regard doré.
Elle lui fit un petit sourire, et jeta un regard déterminé derrière elle, observant la grande maison qui l'avait vue grandir. Ils étaient campés devant la grande terrasse, leur pieds effleurant la douceur de l'herbe verte et mousseuse de la forêt.
- On y va ?
Le grand loup s'ébroua, puis lui lança un regard de questionnement.
Isil se sentie presque attendrie devant la surprotection dont il faisait preuve à son égard.
- Je vole et tu courres, et je reste dans ton champs de vision. Pas de problèmes.
Acquiesçant d'un mouvement de tête bref, il s'élança. Elle put observer avec intérêt les muscles du canidé se mobiliser dans sa course. Il sautait au dessus des racines avec facilité.
La forêt avait toujours été l'habitat naturel d'Hithoel.
Isil agita doucement ses ailes, réveillant ses muscles. L'excitation remplissait son être entier, une euphorie frétillante tremblant dans chacune de ses cellules.
Elle se mit à courir doucement, étirant ses ailes avec de plus en plus d'ampleur. Chaque membre de son corps était concentré sur son décollage, un art compliqué qu'elle avait mis quelques années à maîtriser.
Enfin, elle se propulsa en l'air en donnant un coup d'aile puissant. Le corps entièrement détendu, ses grandes ailes de peau s'agitèrent avec force, fournissant la puissance nécessaire pour la faire s'élever.
Elle s'allongeait progressivement à l'horizontale, permettant à ses membres dorsaux de la faire voler plus efficacement. Dépassant les grands arbres de sa forêt, elle finit par trouver un courant d'air chaud sur lequel planer calmement. Ses ailes ne battaient plus que quelques fois, se laissant autrement guider par les vents.
Ses yeux dorés parcoururent la forêt, mais elle n'entendit plus qu'elle ne vit le grand loup sombre qui courrait en dessous d'elle. Elle distinguait sa forme souple et agile qui bondissait puissamment entre les grands arbres. De temps à autre dissimulé par le feuillage, elle finissait toujours par deviner son regard gris braqué sur elle.
Isil savourait les sensations du vent qui rafraîchissait son corps pendant l'effort à chaque vol, et ce bonheur doux était d'autant plus amplifié lorsqu'elle songeait à leur destination. Le froid caressait ses avant-bras découverts langoureusement. Sa tunique noire protégeait uniquement son buste des courants d'air frais, et elle ramena leur sac un peu plus près contre elle.
Elle n'avait plus qu'une semaine à attendre.
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