Chapitre 8
— Isaluna, tu aurais pu prévenir avant de quitter ton propre bal comme une voleuse, me sermonne Elasia avec exaspération. J'ai dû dire à tout le monde que tu ne te sentais pas bien.
Cela fait un moment que ma mère m'accable de reproches sur mon attitude au bal. Je n'ai même pas eu l'occasion de lui parler de Rona. Assise sur le rebord d'une chaise de la salle où nous prenons notre petit-déjeuner, j'ai juste envie de quitter les lieux au plus vite. Je n'ai abusé d'aucun alcool hier soir, mais j'ai tout de même l'impression d'avoir une terrible gueule de bois. Sans surprise, face à moi, Elasia se porte comme un charme.
— C'était le cas, je rétorque en essayant de maîtriser mon agacement. Je n'en pouvais plus de tout ce monde.
— Je comprends, soupire-t-elle avant de croquer dans une pomme à la teinte rosée. C'est vrai que cela devait être stressant pour toi et j'oublie parfois que je suis peut-être trop habituée à ce genre de soirée. Tu t'es toutefois très bien comportée avec Alexeï. Les gens ont pris de magnifiques photos de vous deux.
— Super, je marmonne ironiquement en levant les yeux au ciel. Ils n'ont qu'à préparer les faire-part de mariage, tant qu'ils y sont.
Je me sers un nouveau verre de jus d'orange et attrape trois brioches à la pâte à tartiner, ce qui me vaut un regard réprobateur d'Elasia, sans qu'elle n'ajoute cependant une nouvelle remarque désagréable.
— Je t'ai dit qu'Alexeï et Caroley viendraient sûrement dîner ce soir ? me questionne-t-elle.
— Non. Mais je préférerais savoir ce qui a été retrouvé dans la boutique de Darwin Saphir lors de sa perquisition, je réplique sans parvenir à contenir mon agacement. C'est Alexeï qui m'en a informée.
Elle prend un air coupable et pose sa pomme sur le rebord de la table en bois exotique. La lumière matinale transparaissant à travers les grandes fenêtres de la salle donne un éclat doré à ses cheveux et se reflète sur ses ongles manucurés.
— Je ne voulais pas t'alarmer avant ta cérémonie. J'ai conscience que je n'aurais pas dû demander cette fouille avant ton intronisation mais mes gardes étaient de plus en plus suspicieux et ils ont eu raison : comme te l'a sûrement dit Alexeï nous avons retrouvé des Pierres Astrales modifiées et du sang d'Obscur dans des bocaux. En assez grande quantité.
Mais dans quel pétrin s'est mis Darwin ? Déjà que sa relation avec Karlie est dangereuse, si en plus il rajoute des activités suspectes... Et que fait-il de ces Pierres Astrales et de ce sang d'Obscur, au juste ?
— J'ai demandé qu'il soit libre pour la cérémonie d'hier mais je vais être contrainte d'ordonner son arrestation dans la journée, soupire Elasia. Je suis désolée, mais je n'ai pas le choix.
Elle semble vraiment navrée mais ça ne l'empêche pas de recroquer dans sa pomme avec une telle vivacité que des craquements résonnent dans toute la pièce vide.
— Qu'a-t-il dit pour sa défense ? je demande avec espoir.
— Qu'il n'avait tué personne pour obtenir ce sang. Mes gardes pensent que c'est celui de Karlie McField et des analyses vont être effectuées. Si les tests sont positifs, Karlie sera à son tour interrogée.
J'imagine mal Karlie impliquée dans du trafic de sang... Darwin m'a toujours semblé un peu tordu, mais pas Karlie. Un silence tombe pendant lequel je mange une de mes brioches sans grand appétit et le sujet de Rona me revient comme un boomerang en pleine figure. Comment faire la transition sans passer pour la reine des débiles, bien que ce soit pourtant ce que je suis ?
— Euh... Il faut que je te dise quelque chose.
Le regard d'Elasia se braque sur moi en clin d'oeil et une vague d'effroi semble la traverser.
– Quoi ? C'est en rapport avec Wren ? Ne me dis pas qu'il t'a laissé un message ou...
— Non pas du tout, je l'interromps avant qu'elle ne se fasse un film. Il s'agit de Rona... Enfin Luna-Rose, si tu préfères.
Elle se pétrifie et en laisse tomber sa pomme au sol, mais ses yeux ne se détournent pas de moi. Son front se plisse et elle me paraît encore plus jeune que d'habitude, plus vulnérable.
— Elle m'attendait dans ma chambre hier soir, je déclare à toute vitesse. Elle ne m'a fait aucun mal, elle voulait juste parler.
Je lui fais alors un rapide résumé de notre conversation mais Elasia ne réagit pas. Elle continue de me fixer, si bien que ça en devient gênant. Quand elle reprend la parole, sa voix est encore plus de cristal que d'ordinaire.
— Elle est venue alors, lâche-t-elle. Vous vous êtes rencontrées.
Ses lèvres sont légèrement plissées mais je ne parviens pas à décréter si c'est en une grimace ou un sourire.
— Comment est-elle ? Elle te ressemble ou...
Je réalise alors qu'elle n'a pas revu Luna-Rose depuis que cette dernière avait cinq ans. J'aurais dû me douter qu'elle se fiche des détails sur notre discussion et qu'elle n'avait peut-être pas conscience que son autre fille était givrée.
— Oui. Ses cheveux sont plus foncés mais je pense que c'est une coloration.
Je ne lui précise pas sa pâleur et sa maigreur qui selon toute vraisemblance, l'alarmerait. Ses yeux se sont déjà écarquillés à la mention de "coloration".
— Elle t'a parlé de moi ? s'enquit-elle dans un murmure.
Mentir ou dire la vérité ? Elasia semble espérer une réponse positive mais tout ce qu'à dit Rona à son sujet a été "notre garce de mère".
— Écoute, je soupire en éludant la question, Luna-Rose n'est pas une bonne personne. Tu sais ce qu'elle a fait à Phoebe, ce qu'elle a fait à Wren... La flèche dans l'épaule d'Alec, c'est l'une de ses Malfaçons qui l'a tirée. Tu ne peux pas te permettre d'espérer qu'elle soit restée la même que la petite fille que tu as connue lorsqu'elle vivait chez Donnatella.
Je lui parle comme si je m'adressais à un petit jeune fragile mais en cet instant, c'est ce qu'elle est. Prête à s'effondrer, son masque de reine parfaite s'étant fissuré. Même si je ne sais pas encore si je pourrais un jour la considérer comme ma mère, je ne veux pas que Rona lui fasse de mal en lui donnant de faux espoirs.
— Tu as raison, admet-elle en baissant la tête. Je suis désolée. Je devrais savoir que la silhouette en noir qui était sur le lac aux côtés d'Alma et qui s'est battue contre moi, c'était elle.
Un immense élan de compassion s'empare de moi et ma main hésite à se tendre vers elle. Toutefois, je la garde posée contre ma cuisse.
— Tu m'as dit qu'elle t'avait raconté qu'Alma était morte, alors ? reprend-elle en se ressaisissant. Si tu veux tout savoir, je n'y ai jamais trop cru, jusqu'à maintenant. C'était bien trop beau pour être réel.
Elle semble sincèrement soulagée mais une pensée horrible s'insinue dans mon esprit : et si Elasia était amenée à devoir faire du mal à Rona, en serait-elle capable ? Mieux vaut ne pas imaginer de tels scénarios dans lesquels une mère se retrouve à devoir affronter sa fille...
— Elle ne t'a rien fait, au moins ? s'enquit-elle avec un sursaut.
— Non, elle n'a pas été agressive. C'est plutôt moi qui lui aie envoyé une télécommande sur la tête mais ça n'a pas semblé l'atteindre. En revanche, elle veut devenir reine du Peuple des Astres...
Elasia soupire et j'imagine qu'elle doit avoir le sentiment que l'histoire se répète : Alma et elle il y a dix-sept ans et Rona et moi aujourd'hui.
— Je crois que la solution serait de mettre en place des mesures pour accepter les Malfaçons et les encadrer, déclare-t-elle avec fatalité. J'ai soumis l'idée des milliers de fois au conseil des ministres mais tous sont contre. Les habitants aussi, du reste... Personne ne s'imagine vivre avec une Malfaçon au coin de sa rue.
— Mais je suis une Lunatique et pourtant ils m'acceptent ! je m'exclame. Mon espèce a pourtant été exterminée il y a des siècles et enfermée dans la Pierre des Astres et personne n'a rien contre moi.
— J'imagine que tu as dû suffisamment le lire dans les journaux mais tu représentes une nouvelle époque pour le Peuple des Astres. Ils savent que des Malfaçons sont toujours en liberté mais ils n'en tiennent pas rigueur. Et ils ne connaissent pas l'existence de Luna-Rose.
Elle se prend la tête entre les mains et pousse un gémissement accablé.
— Mon Dieu, tous ces secrets et ces mensonges sont si compliqués ! Excuse-moi mais je ne peux pas parler de sujets aussi graves dès le matin.
Elle se lève de table et part vers la sortie de la pièce avec l'élégance qui lui est propre. Elle ouvre mentalement la double porte dorée et juste avant de partir, elle m'informe qu'elle va faire une petite baignade dans la piscine du palais et que je n'ai qu'à la rejoindre si je le veux. Loin de moi l'envie de mettre les pieds dans une piscine...
Je me retrouve ainsi seule à la table de petit déjeuner. Mes brioches à la pâte à tartiner ne me font plus envie et le silence qui règne est dérangeant. Je pars donc à mon tour et trouve un homme en uniforme blanc qui semble m'attendre dans le couloir.
— Pardonnez-moi, Votre Altesse, mais votre habilleuse aimerait savoir de quelle couleur vous aimeriez votre tenue pour le dîner de ce soir avec les enfants du représentant d'Astrialle.
Je lui lance une couleur au hasard et lorsqu'il repart satisfait, je me retrouve à nouveau envahie d'une solitude dévorante. Les longs couloirs du palais semblent m'oppresser par leur vide et leur absence de bruit. Je ne pensais pas que ceux de la villa Nightsun me sembleraient un jour plus chaleureux et pire encore, me manqueraient.
Je songe même à m'y rendre. Parce que même si je tente par tous les moyens de ne pas y penser, tout ce que j'ai envie, c'est d'aller voir Wren. Je dois être là pour lui, c'est tout. Je n'ai strictement rien à faire de ma journée et si Elasia est affairée à se prélasser dans sa piscine, je doute qu'elle tienne compte de mon absence ou même qu'elle la remarque.
Je demande alors au premier garde que je croise de me conduire au garage du palais et pendant que nous arpentons les couloirs, j'ai la surprise de distinguer Karlie au coin de l'un d'eux. Je m'élance vers elle mais son téléphone se met à sonner et mon amie affiche une expression étrange. On dirait qu'elle n'a pas du tout envie qu'on la surprenne au téléphone avec cet interlocuteur. Comme elle me tourne à moitié le dos, je me cache à l'angle d'un couloir.
— Ce n'est pas le moment, j'ai une réunion dans cinq minutes, marmonne-t-elle avec agacement. Non, je n'ai pas vu Luna.
La personne avec qui elle converse semble partir dans une longue tirade car elle ne dit rien pendant quelques instants.
— Je ne peux rien faire. Désolée.
Nouvelle pause, plus courte cette fois.
— Moi aussi, murmure Karlie.
Et avant d'obtenir une réponse, elle coupe la communication avec vivacité et range son téléphone dans son sac comme si elle ne voulait plus jamais le revoir. Elle continue son chemin sans me remarquer et je n'ose pas me manifester. Elle est donc vraiment complice des affaires de Darwin ? Je savais déjà que c'était possible mais je sais aussi que si une enquête plus poussée est effectuée sur eux, ils risquent beaucoup.
Le garde me guidant jusqu'au garage me rappelle et lorsque je me tourne vers lui, il tient un papier en main.
— En provenance de la villa Nightsun, m'annonce-t-il. On vient de me l'apporter pour vous.
Je déplie le mot et me maudis de ne toujours pas avoir récupéré mon portable chez les Nightsun.
Alec refuse de te prévenir donc j'ai demandé à un oiseau de te transmettre ce message (tu vois je sais me servir de mon pouvoir et je ne suis pas toujours folle). Wren ne va pas bien. Il faut que tu viennes.
— Phoebe
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