Chapitre 7

Je sais que Rona est ma soeur jumelle. J'aurais dû m'attendre à ce qu'elle me ressemble à ce point mais après tout, nous aurions très bien pu être de "fausses jumelles", même si je déteste cette expression. Pourtant, là devant elle, je crois halluciner : elle est ma parfaite copie, aux seuls détails près que ses cheveux sont bien plus foncés que les miens et que sa peau est anormalement blanche, pire que celle de Caroley. Son expression, comme figée dans une moue de dégoût, diffère aussi.

— Quoi ? Tu te demandes si je suis plus belle que toi ? ricane-t-elle. Si ça peut te rassurer, c'est aussi la première pensée que j'ai eue la première fois que je t'ai vue. Tu ne m'as même pas remarquée, ce jour-là.

Je devrais demander des précisions, mais je ne peux pas. Assise dans une position lascive sur mon lit, elle me fait dangereusement penser à Elasia. Mêmes mouvements gracieux, même rire cristallin.

— Tu fais une drôle de tête, remarque-t-elle en me fixant. Détends-toi un peu, tu vas finir par avoir des rides.

J'essaye de me ressaisir pour enfin pouvoir lui répondre, mais ça m'est impossible. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre sa jumelle, non ?

— Alors comme ça tu attendais Wren ? demande Rona avec un air narquois. Si j'étais une soeur géniale, je te dirais qu'il ne faut jamais te gâcher une soirée à cause d'un mec. Mais comme tu le sais, je ne suis pas un modèle.

— Tu m'as menti, cette nuit-là dans la forêt, je lâche dans un raclement de gorge. Tu m'as dit que tu avais passé ta vie au fin fond d'une grotte et qu'Alec et Wren ne te connaissaient pas.

Son sourire s'élargit et ses yeux pétillent comme si elle savourait ce moment. Elle se redresse légèrement sur le lit et ne me quitte pas des yeux.

— Je t'ai menti. Ce n'est pas dans mes habitudes car la vérité est souvent une meilleure arme que le mensonge, mais il ne fallait pas que je baisse ma garde. Je savais que tu allais tout raconter aux Nightsun et ils m'auraient démasquée... enfin je crois. Après tout, ils ne nous ont même pas trouvé un petit air de famille alors que j'ai passé mon enfance avec eux.

— Vous aviez cinq ans. La mémoire n'est pas très fixe, à cet âge.

Je devrais sans doute changer de sujet mais je perds complètement mes esprits. En même temps, trouver sa soeur jumelle que l'on n'a jamais rencontrée assise sur son lit après une triste soirée est plus que perturbant...

— Alec avait cinq ans, mais Wren était plus âgé, rectifie Rona. Il n'a jamais fait attention à grand-chose, de toute façon. Je ne comprends pas pourquoi tu le préfères. Mais passons.

Cette fois, elle se lève et je me retrouve à moins de trois mètres d'elle, ce qui n'est pas assez éloigné à mon goût.

— Je ne suis pas venue ici pour parler histoires de coeur. Je sais que tu cherches un moyen d'aider ton amie l'Obscure, Phoebe.

Je ferais mieux de hurler pour prévenir un garde mais quelque chose chez Rona m'en dissuade. Peut-être est-ce l'éclat malfaisant qui brille dans ses yeux... Quoi qu'il en soit, elle semble prête à se jeter sur moi.

— Le professeur Carlton a dit que seul le temps pourrait la guérir. Il n'existe pas d'autre solution, je réponds alors.

— Je ne pensais pas que tu étais aussi naïve, s'exclame Rona en partant d'un rire glaçant. L'esprit de ton amie sera bientôt brisé si tu n'agis pas.

— Comment ça "brisé" ?

— Ce n'est pas Alma qui a expérimenté une manipulation mentale sur Phoebe, déclare-t-elle avec fierté. C'est moi. Elle n'arrive plus à faire la différence entre toi et moi et elle prend tous les gens qu'elle voit pour des Malfaçons lui voulant du mal.

— Elle est pourtant parfois lucide, j'objecte.

— Certes, mais ces moments seront de plus en plus rares si je ne la répare pas. Surtout que je ne te demande pas grand-chose en échange...

Son sourire signifie tout le contraire. La lumière de la bougie répand des ombres sur ses bras nus ainsi que sur son visage et accentue ses cernes. Elle a beau faire la maligne, elle semble extrêmement fragile, comme s'il suffisait de lui souffler dessus pour qu'elle se brise en mille morceaux.

— Pourquoi m'aiderais-tu ? je rétorque pour ne pas lui obtenir satisfaction tout de suite en m'intéressant à sa proposition. J'ai tué Alma, tu ne dois pas me porter très haut dans ton estime.

— Tu crois vraiment que j'ai attendu que tu tues Alma pour te détester ? s'esclaffe-t-elle. Je t'ai haïe à partir du moment où tu as commencé à fréquenter les Nightsun. Je n'avais pas d'opinion sur toi, avant.

Elle a craché le nom "Nightsun" avec un tel venin que j'en ai sursauté. Sa moue de dégoût s'est accentuée et son rire sonne de plus en plus faux.

— Pourquoi détestes-tu les Nightsun à ce point ?

— Tu le fais exprès pour m'énerver ou es-tu tout simplement idiote ? m'interroge-t-elle avec un regard de glace. Tu n'es pas sans savoir que Donnatella m'a abandonnée sans scrupules aux pattes d'Alma rien que pour sauver son petit Alec. Tu veux que j'aie du respect pour des gens pareils ?

— Ça ne semble pas t'avoir dérangée qu'elle t'ait laissé avec Alma, je réplique. Vous étiez toutes les deux des Malfaçons, après tout.

Elle me regarde alors différemment, comme si elle se posait vraiment des questions sur ma santé mentale. Elle se relaisse tomber sur le bord du lit mais c'est avec un feu nouveau dans la voix qu'elle me répond.

— Je détestais Alma autant que toi, si tu veux tout savoir. Elle était faible, malgré ses pierres précieuses dont elle se nourrissait et qu'elle ordonnait à des enfants de chercher dans les grottes de Virginie. Elle a laissé notre garce de mère sur son trône en acceptant simplement en échange une stupide malédiction.

Son regard devient de braise, animé par une folie manifeste.

— Et les Malfaçons ne sont pas si différentes des Lunatiques, continue-t-elle. Si tu nous considères comme des monstres, alors toi aussi, tu en es un.

— Tu détestais Alma ? je me surprends. Alors pourquoi l'as-tu défendu au Lac des Aurores ? Je sais que c'était toi sous le voile noir, ne dis pas le contraire.

— Tu crois vraiment avoir battu à toi seule une Malfaçon immortelle ? rigole Rona. Rien qu'en lui projetant une masse d'énergie, en lançant des alligators à sa poursuite et en créant une plaque de verre à la surface du lac l'empêchant de remonter ? J'aurais pu aider Alma et j'aurais eu le temps de faire dix allers-retours dans l'eau avant que tu ne crée ta ridicule vitre en verre. Mais je n'ai rien fait. Si Alma est morte, c'est parce que je le voulais.

— Comment tu as fait pour te libérer du verre sans te noyer ? je la questionne en croisant les bras avec défi.

— Tu te prends vraiment pour la dernière des génies ! s'écrie-t-elle en rigolant de nouveau. Je suis peut-être une Malfaçon, mais je contrôle mieux mes pouvoirs que toi. C'est même moi qui ai achevé Alma, au fond du lac. Il suffisait de lui faire avaler une Pierre Astrale pour que l'énergie de ses pierres précieuses se dissipe. Cette idiote m'avait confié son secret alors qu'elle savait que si elle mourait, c'est moi qui prendrait la tête de la meute.

Son air machiavélique me laisse penser que finalement, Alma était peut-être un doux rêve comparée à Rona.

— En revanche, continue-t-elle avec nonchalence en regardant ses ongles, le coup de la Pierre des Astres pour soigner Wren, c'était plutôt bien joué de ta part, je suis forcée de l'admettre.

— C'est toi qui as lancé sur lui le serpent qui l'a mordu ! je crache en sentant une colère noire monter en moi. Pourquoi t'en être prise à lui ?! Pourquoi avoir fait subir cette manipulation mentale à Phoebe ?!

Rona pouffe de rire et sans que je le contrôle vraiment, je lui envoie mentalement une télécommande sur la tête. Elle s'échoue en un bruit sourd sur son crâne et ma soeur redouble d'hilarité, n'ayant apparemment ressenti aucune douleur.

— En fait je crois que tu es vraiment stupide, déclare-t-elle. Tu ne comprends pas que tout ce que je veux, c'est te faire du mal, à toi ? Phoebe est ta meilleure amie et même si votre entente n'était pas au beau fixe lorsque je l'ai faite enlever, je savais que ça t'atteindrais. Quant à Wren, c'était soit lui, soit Alec, mais je vois aujourd'hui que j'ai bien choisi. C'est lui ton préféré.

— Si tu en es si sûre, je contre, pourquoi avoir tiré une flèche sur Alec, hier ? Rien que pour nous impressioner ?

— Je dois avouer que ce n'était pas volontaire, badine-t-elle. Irina avait trop envie de tirer, pour s'entraîner. Mais ne nous étalons pas sur ce sujet, si tu le veux bien... Tu comprendras bien assez vite.

— Que dois-je faire pour que tu nous fiches la paix ? je demande alors avec férocité. Je ne t'ai rien fait, que je sache. Si c'est par rapport à Alma, j'ai cru comprendre que tu ne tenais pas à elle et...

— Mon Dieu, je constate de plus en plus à chaque minute qui s'écoule à quel point les gênes de l'intelligence sont allés chez moi et t'ont complètement délaissée ! En même temps avec Elasia, il ne devait déjà pas en avoir beaucoup mais...

— Arrête de tourner la conversation comme elle t'arrange !

Entre ses sarcasmes et ses répliques cinglantes, je reconnais qu'elle est une manipulatrice hors pair. Toujours capable de faire oublier de quoi nous parlions au début.

— OK, OK, fait-elle avec un faux apaisement en levant les mains. Tout ce que je veux, c'est devenir la prochaine reine du Peuple des Astres. Je suis autant princesse que toi, même si je n'ai pas eu droit à une cérémonie d'intronisation ridicule. Ça ne devrait pas trop t'embêter, tu détestes ta vie au palais, admets-le.

Il était prévisible qu'elle veuille s'emparer du trône mais si elle croit que je vais céder si aisément...

— Elasia a sacrifié ses propres enfants pour ne pas laisser Alma prendre le pouvoir. Tu pourras me menacer de toutes les manières que tu veux, je ne te laisserai jamais contrôler le Peuple des Astres.

Rona ne semble pas surprise le moins du monde et au contraire, la situation semble prendre le tournant qu'elle espérait, ce qui est mauvais signe.

— Parfait. J'ai toute une armée de Malfaçons qui seront prêtes à prendre d'assaut le
palais royal. Je te conseille de commander ta robe funéraire au sentier Barlère avant qu'ils ne soient en rupture de stock.

— Nous saurons nous défendre, j'affirme. Si tu cherches vraiment la bataille, le Peuple des Astres est bien plus nombreux que ta petite meute.

— Tu oublies un léger détail, m'interpelle-t-elle en se relevant. À ton avis, combien de personnes ont eu un enfant Malfaçon qui leur a été enlevé ? Combien de personnes auraient voulu se marier en étant un Obscur et un Lumineux, mais que la loi a forcé à renoncer ? Tous ces gens se ligueront de mon côté, je peux te l'assurer.

Darwin et Karlie, je pense instantanément. Ils sont la preuve qu'un Lumineux et un Obscur peuvent s'aimer et ils doivent être loin d'être des cas isolés. Rona peut peut-être bluffer, mais cette fois, j'ai la conviction qu'elle dit vrai.

— J'imagine que tu ne veux pas juste un monde de paix où les Malfaçons seraient acceptées ? je la questionne. Quelle serait la prochaine étape, après ton ascension à la tête du Peuple des Astres ?

— Allons, soeurette, sourit-elle. Ne t'a-t-on jamais appris que le méchant ne dévoile jamais ses plans trop vite ? Tu connaîtras la suite si tu me cèdes le statut de reine de ton plein gré. Sinon, tu contempleras mon travail depuis l'au-delà.

Elle a prononcé ces derniers mots comme un serpent susurrerait ses paroles, se délectant du venin transparaissant derrière ses mots. Elle regarde alors par la fenêtre et constatant que la nuit est d'une profonde obscurité, s'approche du rebord.

— Nous aurions encore beaucoup à nous dire, claironne-t-elle, mais je dois partir. C'était un plaisir de te voir. Je te laisse quelque temps pour réfléchir à ma proposition.

Elle enjambe le rebord et soudain, je me dis que je devrais tenter quelque chose, n'importe quoi, pour la tuer. Sauf qu'elle semble déchiffrer mon expression de colère et avec un dernier sourire qu'on a envie d'arracher à coups de griffes, elle se laisse tomber dans le vide. Je pousse un glapissement et me précipite vers la fenêtre. Ma chambre doit être au quatrième ou cinquième étage du palais donc toute chute devrait être fatale, or dans les ténèbres du jardin tropical, je ne distingue aucun corps désarticulé en contrebas.

Rona a tout simplement disparu dans la douceur de la nuit berçant Astriad.

Note de l'auteure :

Voilà pour cette rencontre avec Rona !

Nouvelles embrouilles en perspective ? 😉

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