Chapitre 42
— Tu es prête ?
Je pose cette question à Rona même si je sais très bien que quelle qu'en soit la réponse, nous devons sauver Alec aujourd'hui. Il a perdu assez de temps dans la Pierre des Astres et il est hors de question que je vive une heure de plus sans faire quoi que ce soit pour le ramener. Penaude, Rona hoche la tête et approche sa main de la mienne.
Ce n'est que pour maintenir une connexion entre nous mais j'hésite quand même quelques secondes avant d'entrelacer nos doigts. Un seul regard vers Alec et la pierre rougeoyante sur sa peau cadavérique suffit à me faire comprendre que je n'ai de toute façon pas le choix. Combiner les pouvoirs de Rona aux miens est le meilleur moyen de retrouver Alec à coup sûr.
Entre-temps, Wren est retourné chez le bijoutier qui avait ajouté ce film protecteur sur la Pierre des Astres. Cette dernière en est désormais délivrée et logiquement, nous devrions parvenir à la sonder plus facilement.
— Je ne devrais peut-être pas rester, déclare Wren en s'éloignant doucement vers la porte. Je ne pense pas qu'il ait très envie de me voir à son réveil... Vous êtes déjà assez nombreux...
— Reste, je lui réponds avec un sourire encourageant. Tu es son frère.
Je lui adresse un regard lui signifiant clairement qu'il n'a pas intérêt à réfuter cette affirmation. Vaincu, il se tient néanmoins un peu en retrait, derrière Elasia, Karlie, Phoebe et Darwin.
Je prends ensuite une inspiration et pose une main sur le front d'Alec. Sa fraîcheur ne devrait pas me surprendre, pourtant je tressaute comme une abrutie. Je tâche de chasser l'horreur que je ressens chaque fois que je me rappelle qu'Alec n'est plus qu'un cadavre et me concentre sur l'énergie brûlante que dégage la pierre. Chaque parcelle de ma main me hurle de stopper tout contact avec l'objet à la chaleur ravageuse mais je résiste.
Je ferme les yeux et l'énergie se répand dans tout mon corps plus facilement que lors de mon dernier essai, aucun film protecteur ne venant plus "filtrer" la force se dégageant de la pierre. Rona doit aussi la ressentir à son tour car je sens sa main se crisper dans la mienne. Je n'y fais néanmoins plus attention car bientôt, mon esprit se retrouve à nouveau dans un tumulte de lumière rouge, encore plus puissant que la dernière fois. Des cris commencent à résonner, d'abord lointains puis de plus en plus proches.
Alec, je l'appelle mentalement. Tu es là ? Alec.
Je crois entendre comme le sifflement du vent puis mon environnement d'ombres et de lumières rouges change pour se transformer en ce que je crois reconnaître comme une plage. Une plage qui aurait été recouverte par une mare de sang. Le sable est rouge, l'eau est rouge, le ciel est de la même couleur.
Alec. Alec, s'il te plaît.
Nouveau sifflement de vent, mais pas un seul grain de sable ne bouge. Je n'entends aucun bruit de vagues car la mer est figée, ne bougeant pas d'un millimètre. Je sais que tout cela n'est pas réel et que je suis toujours dans la chambre du palais mais je n'ai qu'une envie, m'enfuir de cet endroit oppressant.
Comme de très loin, je ressens alors une décharge d'énergie et je comprends que c'est Rona qui vient de m'envoyer du renfort. Le sable se fait alors plus vif, d'un rouge éclatant. Des reflets commencent à se dessiner sur l'eau, qui est secouée de légers tremblements.
Puis enfin, une forme se dessine au loin, à ce qui me paraît être l'autre bout de la plage.
Alec ? C'est toi ?
Pour toute réponse la forme se rapproche, devenant à chaque pas plus distincte. Elle se transforme ensuite en un corps humain qui prend bientôt le visage d'Alec. Il n'est pas vêtu de son costume de mariage mais d'un simple short de plage que je crois reconnaître. C'est celui qu'il portait quand nous nous sommes rencontrés à Miami. Son bleu tranche avec l'univers rouge autour de nous.
Alec est bientôt assez près pour que je puisse voir nettement chaque trait de son visage. Aucun éclat n'illumine ses yeux bleus, ses cheveux bruns semblent avoir été fouettés par le vent. Un sourire me paraissant incroyablement artificiel traverse ses lèvres.
Tu es là, résonne tranquillement sa voix dans ma tête.
Ses mots me sont parvenus sans qu'il ouvre la bouche. Il se contente de sourire comme une figurine en carton.
Je suis venue te sortir de là, Alec, je lui réponds. Il faut que tu me suives. Donne-moi ta main.
Mais il ne bouge pas d'un pouce. J'ai l'impression de n'avoir que la version en cire d'Alec en face de moi. Comme sa voix ne résonne pas, je décide de tenter une autre approche :
Où sommes-nous exactement ? Pourquoi cet endroit ?
En réalité, je crois le savoir, mais il faut bien que je garde un moyen de l'amadouer.
C'est pour me cacher. Les voix.
Il ne précise pas et je sens enfin une nouvelle décharge. L'Alec en cire semble alors retrouver un semblant d'animation et son regard finit par s'éclairer.
— C'est vraiment toi ? me demande-t-il et cette fois, ses lèvres bougent.
Oui. Je vais te ramener. Approche encore un peu.
Sa main tressaillit mais son bras ne parvient pas à s'élever vers moi. Il grimace mais ne répond rien. J'essaie de me concentrer pour lui envoyer de l'énergie mais ce rouge omniprésent m'en empêche. Si seulement Rona pouvait envoyer une toute petite décharge de plus...
Soudain un craquement semblable à un coup de tonnerre retentit et fait sursauter Alec. Il reste quelques instants à cligner des yeux, hébété, avant de regarder une dernière fois autour de lui puis d'attraper ma main. Le décor rougeâtre s'effondre d'un seul coup. J'ouvre brusquement les yeux et me retrouve dans la chambre du palais.
La première chose que je ressens est la douleur provoquée par le contact de la Pierre des Astres contre ma paume, que je retire immédiatement. Alec se redresse brutalement et prend une inspiration tremblante. Il écarquille les yeux et regarde partout autour de lui avant de s'arrêter sur Rona, toujours à côté de moi. Elle n'a pas lâché ma main et je sens ses ongles s'enfoncer dans ma chair tandis qu'Alec ne sait comment réagir.
— Qu'est-ce... Qu'est-ce qu'elle fait là ? demande-t-il d'une voix enrouée.
Personne n'ose lui répondre. Je décide plutôt de changer de sujet et de m'inquiéter pour quelque chose de plus important.
— Alec ? je lui fais. Tu vas bien ?
J'approche ma main de la sienne mais il la retire subitement, me regardant avec méfiance.
— Elle vous a tous manipulé l'esprit c'est ça ? Luna, s'il te plaît...
Il fixe Rona comme si elle allait se jeter sur lui à tout moment et je ne peux que le comprendre.
— Je ne leur ai pas manipulé l'esprit, intervient soudain Rona. Je ne te... Je ne veux pas te faire de mal.
Alec demeure encore un bon moment sans comprendre avant de baisser les yeux vers son costume de mariage, maculé de sang. Il les relève ensuite vers moi et me dévisage comme si j'allais partir en poussière à tout instant. Il tend doucement la main vers mon bras et l'effleure du bout des doigts.
— Alors... La flèche ? articule-t-il.
— Tu m'as sauvée, Alec, je lui réponds doucement. Tu t'es interposé et c'est toi qui t'es retrouvé enfermé dans la Pierre des Astres. Tu t'en souviens ?
— C'était horrible, acquiesce-t-il en hochant la tête. Tout était si rouge, si oppressant... Combien de temps suis-je resté là-dedans, au juste ?
— Quelques jours, pas plus, je le rassure.
— Des jours ?! s'exclame-t-il. Ça m'a semblé des semaines, des années...
Rona libère ma main et j'attrape celles d'Alec entre les miennes. Je suis heureuse de ne plus sentir sa peau froide comme du marbre.
— Beaucoup de choses ont changé, Alec. Il va falloir que l'on t'explique tout mais d'abord, il faut que tu me dises comment tu te sens.
— Je crois que ça va, fait-il en regardant à nouveau son costume ensanglanté. Je me sens juste glacé.
Il tourne ensuite son attention vers Wren qu'il a repéré malgré que celui-ci soit tapi derrière nos amis. Ils échangent tous deux un drôle de regard que Wren rompt en premier.
— Darwin ? Karlie ? se surprend ensuite Alec en secouant légèrement la tête comme s'il cherchait encore à se réveiller.
Karlie s'approche d'abord doucement de lui, craignant sûrement qu'il se brise au moindre mouvement brusque, puis le prend dans ses bras.
— Je suis tellement désolée, murmure-t-elle alors qu'une larme glisse sur sa joue.
— Karlie, ce n'est pas ta faute, la rassure Alec.
Du coin de l'oeil, je vois que Rona recule de quelques pas et va s'adosser contre le mur, désirant certainement disparaître tout autant que Wren.
— Si tu te sens prêt, Alec, je commence après que Karlie ait séché ses larmes, je crois qu'il est temps de tout te raconter...
— Je vais faire monter un plateau de gâteaux, déclare Elasia. Te faire le résumé de tous les événements risque d'être long et je ne voudrais pas que tu meures de faim...
— J'y vais, lance Wren en se précipitant vers la sortie, heureux de trouver une bonne raison de ne pas rester dans la même pièce que son frère et moi.
Elasia s'apprête à protester mais je pose une main sur son bras pour l'en dissuader.
— Alors ? me presse Alec. Excuse-moi mais se réveiller en ayant l'impression d'avoir raté au moins vingt épisodes de sa vie est assez perturbant...
Après une longue inspiration, je me lance dans une grande explication de tout ce qu'il s'est passé depuis l'interruption de notre mariage. Je suis parfois aidée par Elasia, Phoebe, Darwin et Karlie qui apportent leurs différents points de vue sur les situations que nous avons traversées. Ni Rona, ni Wren (qui est entre-temps revenu avec ses gâteaux) n'osent dire quoi que ce soit. Alec hoche la tête de temps en temps, comprenant tant bien que mal notre récit. Quand j'en viens au passage où Rona accepte un accord pacifique, il porte son attention sur elle mais cette dernière garde obstinément les yeux baissés.
— Et ensuite nous t'avons sorti de la Pierre des Astres et puis voilà, je conclus à bout de souffle.
Il hoche la tête une nouvelle fois puis perd ses yeux dans le vague.
— Je crois que j'ai encore un milliard de questions qui me viennent à l'esprit mais... Ça ira pour aujourd'hui, je crois.
— Évidemment ! s'exclame Elasia. Tu dois te reposer et on va te faire changer de chambre. On avait installé un système de climatisation dans celle-ci comme tu étais...
Elle préfère taire le "comme tu étais un cadavre".
— Bref il fait beaucoup trop froid, reprend-elle. Et on va te faire changer de vêtements. Tu ne peux pas rester dans cet état.
— Merci, répond Alec. Mais d'abord, j'aimerais parler à Luna-Rose. En privé.
L'intéressée sursaute comme si elle venait d'être appelée à la barre pour témoigner au tribunal. Il est très étrange de voir Rona sous un angle si sensible, si... humain. Après une hésitation, nous commençons tous à nous éloigner vers la porte. Rona reste près d'Alec et je lance un dernier regard à celui-ci d'un air de dire "Tu es sûr ?".
— Nous nous parlerons plus tard, me rassure-t-il avec calme. J'imagine que nous avons... pas mal de choses à mettre au point.
Wren est déjà parti donc il ne peut pas me faire un signe de tête dans sa direction mais je suis sûre que s'il se trouvait toujours avec nous, Alec aurait posé un regard appuyé sur lui. Gênée, je sors de la chambre en fermant la porte derrière moi. Des gardes sont juste à côté donc j'imagine qu'Alec ne risque rien avec Rona mais je ne peux m'empêcher de m'inquiéter.
Mes craintes se portent aussi sur un autre sujet : les choses qu'Alec veut "mettre au point". Il sera forcément question de Wren à un moment ou à un autre et je ne sais pas si je saurai faire le bon choix : affronter la vérité ou continuer à faire l'autruche.
Note de l'auteure :
Je vous l'accorde, ce chapitre n'est pas très long, mais les deux derniers devraient rattraper les choses ! 😅
Pour vous donner une idée, mes chapitres font en moyenne 2000-2500 mots (3000 pour les plus longs) mais à l'heure actuelle, sans correction, l'avant-dernier fait 4570 mots et le tout dernier 5481... (J'avais trop de choses à dire 😂)
Bisous ! ❤️
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