Chapitre 34
— Tu préfères quel parfum ? me demande Wren. Menthe chocolat, vanille fraise ?
Il y a plus ou moins quatre ans, j'étais à ce même stand de glaces de Miami Beach. Je commandais une glace au chocolat, si je me souviens bien. Le soleil brillait à peu près du même éclat que maintenant, on entendait les cris des gens qui s'amusaient dans l'eau et le ronronnement du congélateur du marchand de glaces. Tout est exactement pareil aujourd'hui, sauf que je ne suis pas en maillot de bain et que ce n'est pas Alec mais Wren qui est avec moi.
— Combien de fois faut-il que je te répète que nous ne sommes pas ici pour manger des glaces ?
J'ai déjà consenti à une petite promenade le long de la plage, Wren pourrait bien s'en contenter...
— J'ai toujours rêvé de faire une balade au bord de la plage en mangeant une glace, insiste Wren. S'il te plaît !
Il prend un air de chien battu auquel il est difficile de résister. J'ignorais que ses rêves étaient aussi simples que "manger une glace au bord de la plage" mais visiblement, il faudrait que je me remette à jour avec la nouvelle version de Wren...
— Eh bien prends ta glace par la main et va faire un tour avec elle ! je lui rétorque en croisant les bras. Je peux même te prendre en photo si tu veux, histoire de la faire encadrer pour décorer le salon...
Il lève les yeux au ciel et me jette un regard appuyé.
— Ce n'est pas drôle si tu n'es pas avec moi...
Fatiguée par son cinéma, je finis par commander une glace auprès du marchand. Je m'éloigne ensuite d'un pas vif, sans attendre Wren. Il me rejoint quelques secondes plus tard, courant du mieux qu'il le peut en essayant de ne pas renverser son cornet.
— Eh ralentis, me fait-il. Il ne t'arrive jamais de te détendre ? Attends, laisse-moi deviner, tu vas encore me répondre un truc du style "pas quand l'amour de ma vie est enfermé dans une pierre" c'est ça ?
— Exactement, je rétorque fermement, sans daigner le regarder.
Je me concentre plutôt sur des enfants joyeux en train de faire une partie de badminton sur la plage, quelques mètres plus loin. Je goute quand même ma glace à la framboise et constate qu'elle est excellente.
— Comment c'était d'être humaine ? me demande soudain Wren.
Je me tourne vers lui à la vitesse de l'éclair et remarque qu'il a lui aussi le regard perdu vers les enfants insouciants. Il a pris une glace à la fraise, me rappelant Alec qui prenait toujours ce parfum. Pourquoi diable fais-je attention à de tels détails ?
— Ce n'est pas vraiment être humaine qui me manque, je déclare en prenant le temps de réfléchir. C'est plus... Je ne sais pas. Le fait de ne pas me sentir...
— Enfermée dans un cercle de sombres pensées ? tente de compléter Wren comme je laisse ma phrase en suspens.
Je hoche la tête en baissant les yeux sous son regard qui me donne l'impression qu'il lit en moi comme si j'étais transparente.
— Quand j'étais humaine, je pensais aussi parfois à des choses tristes mais... Disons que je ne pensais jamais avoir à m'inquiéter d'une soeur jumelle maléfique cherchant ma mort parce que je suis l'héritière du trône d'un royaume magique...
Il ne répond rien mais je sens qu'il a tout compris.
— Mais est-ce que tu ressentais les choses différemment lorsque tu étais humaine ? Même si à vrai dire, tu n'as jamais vraiment été humaine, tes pouvoirs étaient juste endormis, mais est-ce que tes émotions étaient moins fortes, moins intenses ?
— Tu t'intéresses aux humains, maintenant ? je lui demande avec un sourire.
Il n'y a aucune malfaisance dans son intonation, mais juste une sincère curiosité.
— Sérieusement, je reprends, je ne crois pas que c'était si différent... Les humains ne sont pas si éloignés des Obscurs ou des Lumineux, si c'est ce que tu veux savoir.
— Il m'a toujours semblé que ces pauvres humains étaient insignifiants, avoue-t-il en reprenant de sa glace. Regarde donc comme ces gamines me dévorent du regard, me murmure-t-il en fixant un groupe d'adolescentes assises sur le muret séparant la plage du trottoir.
Ces filles le regardent effectivement comme s'il était une glace géante. Wren leur adresse un arrogant salut de la main avec un clin d'oeil qui fait glousser et rougir chacune d'elles. L'une porte même la main à son coeur, comme si elle allait défaillir.
— J'étais comme elles, je m'amuse une fois que nous les avons dépassées. J'ai fait la même chose avec Alec, il y a une éternité maintenant.
Tout ici me rappelle Alec, que ce soit la glace ou la plage, pourtant je ne suis pas envahie par la tristesse. Maintenant je sais que nous pouvons le ramener. Il suffit juste que mes émotions subissent un petit traumatisme...
— Une fois, commence Wren, j'ai essayé d'imaginer ce qui se serait passé si c'était moi que tu avais rencontré en premier. Comme ça aurait été pendant la Malédiction des Astres, ma personnalité aurait été inversée et je n'aurais pas été un connard. Tu m'aurais peut-être trouvé ennuyeux, alors tu ne te serais pas accrochée à moi. Je ne t'aurais pas mordu et...
Il ne termine pas mais je connais très bien la suite de l'histoire. Ma vie aurait suivi son cours, sans que jamais la magie ne vienne s'y immiscer.
— Ça ne sert à rien de se faire de tels scénarios, je déclare, lointaine.
Nous marchons encore quelques mètres d'un pas lent, en silence, puis il propose que nous nous asseyions au bord du muret. Je prends alors tout le temps de contempler l'océan, en terminant ma glace. Le calme qui règne entre nous est apaisant, serein. Je me rends compte que je n'ai même pas envie de mettre des baffes à Wren.
— Tu... Tu es sûr que ça ne te fait rien que Mila soit responsable de la mort de tes parents ? je lui demande quelques instants plus tard.
Lorsque je lui ai rapporté ce que m'a dit Elasia, il n'a pas plus réagi que si je lui avais annoncé la mort d'une mouche. Il a juste haussé les épaules puis a proposé que nous allions nous balader.
— Tu crois que je devrais être en colère ou attristé ? me répond-il sans aucune amertume.
— Non. Mais...
À vrai dire, je me sens stupide. Ce n'est pas à moi de lui suggérer ce qu'il devrait ressentir.
— Que ce soit Mila ou n'importe qui qui ait provoqué cette explosion, ça ne change rien, m'assure-t-il en regardant à l'horizon. Parce que même si mes "vrais parents" étaient toujours en vie, qu'est-ce que ça changerait au fond ? Au contraire, Mila m'a débarrassée d'un joli poids.
Je devrais tenter de le convaincre qu'il a tord, mais comment pourrais-je faire cela sachant qu'il dit certainement la vérité ?
— Revenons-en à tes émotions, fait-il avec entrain. Qu'est-ce qui pourrait te chambouler au point que tes pouvoirs soient obligés de montrer leur nez ?
— Je n'en sais rien. Et je ne suis pas certaine d'avoir envie de le découvrir... Je suis un monstre pour Alec mais... Si le voir mourir n'était pas suffisant, qu'est-ce qui pourrait l'être ?
— Arrête un peu de dire que tu es horrible ou que tu n'en fais pas assez, me répond Wren en se tournant vers moi. Tu désespérais de ne pas trouver le moindre espoir et maintenant on est presque sûrs de pouvoir le ramener.
C'est bien le presque qui me dérange...
— Tu sais, je pourrais peut-être manipuler tes émotions, propose-t-il. Avec notre connexion...
— Oui je sais merci, je le coupe en prenant ma tête entre mes mains. J'y ai pensé mais je ne crois pas que ça fonctionnerait. Ce serait... artificiel.
— Tu peux te rassurer, marmonne Wren d'un ton bourru. Je ne comptais pas te plonger dans un océan de souffrance ou de tristesse.
— Ce n'est pas ça. C'est juste...
Comment lui expliquer que m'attarder avec lui sur mes émotions et mes sentiments est un terrain assez risqué ? Il doit avoir compris tout seul car il n'insiste pas.
— Peut-être que si Elasia m'annonçait qu'elle est enceinte de son musicien, ça me provoquerait un choc assez conséquent, je lance dans une tentative de plaisanterie pour faire disparaitre la tension qui s'est installée.
Wren éclate d'un vrai rire qui me fait glousser à mon tour. Si je pouvais l'entendre rire comme ça tous les jours...
— C'est vraiment sérieux entre eux ? me questionne-t-il avec l'intérêt d'un journaliste de potins.
— Seule Elasia le sait, et encore...
— Il faut se mettre à sa place, elle a compris que tous ses espoirs avec Alec étaient perdus... Avoue que c'est assez étrange quand ta fille va épouser le mec sur lequel tu craques...
Malgré moi, je pars d'un rire léger. Elasia ne mérite pas ça mais j'ai vraiment besoin de m'amuser un peu.
Une dame passe alors devant nous et fait tomber son téléphone de sa poche sans s'en rendre compte. Je l'appelle et vais ramasser son portable quand je sens la Pierre des Astres bouger dans ma poche, me rappelant pourquoi je suis véritablement ici.
— Nous devrions rentrer, je dis à Wren une fois que la femme est repartie.
Devant mon air morne, il ne cherche pas à négocier et nous partons en silence à la recherche d'un taxi.
Tout le long du trajet, je serre fort la Pierre des Astres dans ma paume. Il faut que je garde à l'esprit que je ne peux pas passer du temps à rire avec Wren tant qu'Alec n'est pas encore sorti d'affaire. D'ailleurs je ne devrais pas rire avec Wren du tout. Je ne risque que de me faire davantage de mal.
Quand nous arrivons à notre chambre, je range la pierre dans la table de nuit, comme si je mettais Alec en sécurité, à côté de ma réserve de Pierres Astrales.
— Il faut que je te demande quelque chose, lance Wren à toute vitesse.
Je fais volte-face vers lui, surprise par sa gravité. Il contemple la baie vitrée, me tournant le dos, serrant et desserrant les poings nerveusement.
— Vas-y.
Je l'entends prendre une grande inspiration.
— Pourquoi ce mariage avec Alec ? fait-il en butant sur presque tous les mots. Je veux dire... Pourquoi aller si vite ?
Je reste un long moment sans voix, ne sachant quelle attitude adopter. Ou plutôt pour quel moyen de défense opter...
— Nous ne sommes pas allés vite...
— Luna, je t'en prie, ne cherche pas à me mentir, m'implore-t-il en se tournant vers moi.
Il n'y a aucune malice ni agressivité dans son regard. Juste une profonde envie de connaître la vérité.
— Je ne mens pas, j'affirme sans conviction. Les membres du Peuple des Astres se marient plus vite que les humains...
— Alec t'aime, me coupe Wren. Ça, je n'en doute pas. Et tu l'aimes aussi mais pas de la manière dont tu devrais aimer ton futur mari.
Je devrais me défendre mais je ne dis rien.
— Alors pourquoi tout précipiter comme ça ? répète-t-il avec un certain désespoir.
Cela serait plus facile s'il était agressif, au moins pourrais-je l'être à mon tour. Seulement son calme me désarçonne tellement que ma faculté à riposter en est altérée.
— La... La situation obligeait que nous nous marions au plus vite, je déclare en tâchant d'éviter à ma voix de trembler.
Il semble alors se décomposer sur place. Il ouvre plusieurs fois la bouche pour dire quelque chose mais reste muet de stupeur. Quand il reprend la parole, c'est en un murmure incertain :
— Tu es enceinte ?
— Quoi ?! je m'exclame, incrédule. Non ! Non, ce n'est pas ça.
C'est bien la dernière chose qui risquerait d'arriver... Alec et moi n'avons même pas ne serait-ce que dormi ensemble. Mais je vais bien me garder de raconter ça à Wren.
— Alors qu'est-ce que c'était, cette "situation" ? demande-t-il après avoir il me semble ravalé un soupir de soulagement.
Je ne peux pas lui dire la vérité. Je ne peux pas lui avouer que parce qu'il m'avait abandonnée, je n'existais plus. Je n'étais plus capable d'être heureuse sans lui à mes côtés. Mais bien sûr, j'ai trop de fierté pour oser lui confesser une chose pareille... Il en récolterait un plaisir bien trop grand.
— Laisse tomber, s'il te plaît, je dis plutôt en baissant les yeux, incapable de soutenir son regard intense plus longtemps.
Je sens qu'il brûle d'exiger plus d'explications mais à la place, il s'allonge sur son lit et ferme les yeux.
Ne pouvant supporter cette atmosphère pesante plus longtemps, je décide de descendre prendre l'air, même si nous venons à peine de remonter à notre chambre. Une fois en bas, l'agitation de la ville me permet de focaliser mes pensées sur autre chose que Wren. Je m'assois sur les marches du perron de l'hôtel, pose mon menton sur mes poings et me laisse aller à observer ce qui m'entoure.
Comme tout à l'heure à la plage, je remarque une nouvelle fois à quel point les gens me paraissent insouciants. Ils doivent pourtant bien avoir leur lot de problèmes, or il me semble observer le paradis depuis un monde infernal.
Alors que j'allais une nouvelle fois m'apitoyer sur mon sort, un couple sur le trottoir d'en face attire mon attention. Ils rient gaiement tout en dégustant des glaces.
Je sens ma respiration s'accélérer et mes yeux ne peuvent se détourner de ces deux personnes.
Non. Ce n'est pas possible. Ils sont à Los Angeles...
Pourtant mes parents sont bien là, à quelques mètres de moi.
Note de l'auteure :
Je tenais à vous présenter mes excuses pour ne pas avoir posté depuis plus d'une semaine, mais j'avais pas mal de contrôles et j'étais complètement incapable de me concentrer sur la correction de ce chapitre... 😅
Merci à vous pour votre patience ! Bisous ! 😘❤️
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