Chapitre 6
Je n'ai jamais compris pourquoi les films proposés dans les avions sont aussi nuls. Ça fait deux heures que j'hésite entre commencer une vieille comédie des années cinquante ou un drame des années soixante-dix. Au final, j'aurais déjà eu le temps d'en voir un. Je finis par abandonner l'idée de voir un de ces "chefs-d'œuvre" du septième art et tourne la tête vers mon hublot. Je fixe les nuages un moment mais mon regard se perd vite dans le vague et je retombe dans mes pensées. Je n'arrête pas de me repasser l'obsédant film des derniers événements.
Alec est arrivé chez moi ce matin même, après que je lui ai donné mon adresse. Il a attendu que je charge sa voiture de mes deux valises puis mon père a fini par sortir de la maison, demandant ce que je faisais. Alec s'est présenté comme le ferait un parfait gentleman puis a posé son bras sur le sien.
— Vous allez croire que votre fille est partie chez des amis, lui a-t-il ordonné en le regardant droit dans les yeux. Vous ne vous inquiéterez pas pour elle et à chaque personne qui vous demandera de ses nouvelles, vous lui direz qu'elle va bien, de ne pas poser davantage de questions, et cette personne vous obéira.
Quand Alec a eu fini, mon père est retourné à l'intérieur de la maison comme un robot, sans me regarder. Ça m'a déchiré le coeur de ne pas pouvoir lui dire aurevoir mais Alec m'a assuré que ça risquerait de perturber sa manipulation mentale s'il me revoyait.
Je lui ai aussi demandé si je devais appeler ma mère et mes amies ou encore toutes les personnes de mon entourage pour qu'il les manipule mais il m'a expliqué qu'il avait transféré de la magie en mon père : chaque personne qu'il rencontrera et qui demandera comment je vais sera immédiatement convaincue que je suis avec des amis, et ces mêmes personnes répéteront cela à d'autres qui les croiront, comme une boucle qui fera qu'au final, personne ne s'inquiétera pour moi. Complètement dingue, je sais.
— Tous les Lumineux peuvent vraiment faire ça ? ai-je demandé encore très septique.
— Non. C'est une technique assez compliquée et sans aucune volonté de me vanter, je suis une des rares personnes à pouvoir transférer de la magie aux humains.
Nous nous sommes ensuite rendus à l'aéroport et avons pris le premier avion pour l'Amazonie. Alec m'a laissé entendre que sa famille avait un jet privé mais qu'il avait craint que ça me perturbe trop ou un truc comme ça. En même temps, je crois que ça aurait fini de me détraquer si j'avais eu à ma disposition un avion rien que pour Alec et moi...
Je suis maintenant coincée sur un siège trop étroit, en train de chercher des films pour me changer les idées, à côté d'Alec auquel je n'ai pas adressé la parole depuis le début du vol. J'aurais pourtant beaucoup de choses à lui dire mais plus je pense à tout ce qui m'arrive, plus je me demande si je ne devrais pas consulter un hôpital psychiatrique pour me faire examiner.
Attendez, je suis réellement en train de m'enfuir sans la permission de mes parents dans un avion pour l'Amazonie, sous prétexte qu'un gars aussi beau gosse qu'étrange m'ait balancé que j'étais devenue "une créature de Lumière" après qu'il m'ait "mordu" pendant mes vacances à Miami ?
Ah et aussi : ce gars a oublié les vacances que nous avons passées ensemble et sa personnalité était inversée pendant deux mois parce que son peuple est sous l'emprise d'une "malédiction" jetée par une fille qui s'est un peu trop disputée avec sa soeur... Soit je suis dans une série télé pour adolescents, soit en plein délire psycho-je-sais-pas-quoi. Sauf que je crois bien que tout est réel.
— Je dois te prévenir sur quelque chose avant qu'on arrive, lance Alec avec bienveillance comme si ça ne faisait pas deux heures que nous ne nous étions pas décroché un mot.
Je tourne la tête vers lui pour lui faire comprendre que je l'écoute sans avoir à ouvrir la bouche. Je suis une nouvelle fois obligée de m'extasier sur sa beauté. Je sais que cela peut paraître bête et digne d'une gamine adolescente que je suis de penser ça alors que mon monde est en train de s'écrouler, mais j'ai bien besoin de me raccrocher à quelque chose, non ? Ses cheveux sont parfaits, ses yeux sont parfaits, son nez est parfait, sa bouche est parfaite... S'il devait physiquement être défini par un adjectif se serait "parfait". Néanmoins je le trouve moins sexy que l'été dernier mais je ne suis pas sûre que j'étais totalement mon état normal lorsque j'étais à Miami...
— Je t'ai déjà vaguement parlé de mon frère et c'est lui qui t'a répondu au téléphone hier, commence Alec.
La voix sexy était donc celle du frère d'Alec ?
— Il s'appelle Wren et il a deux ans de plus que moi. Nous ne nous sommes jamais vraiment entendus et nous passons littéralement notre temps à nous disputer. Il est égoïste, égocentrique, adore s'amuser avec les sentiments des gens, et il est impossible de connaître ses faiblesses ou par quoi il peut être touché. Il est insensible à absolument tout.
Super programme...
— Il se sert des filles comme de distractions puis les abandonne avec le coeur brisé quand il se lasse d'elles. Je haïssais notre mère mais c'était plus que de la haine qu'il ressentait à son égard. Il lui parlait horriblement et n'hésitait pas à mettre des somnifères dans son thé... Il est insupportable, invivable et j'ai honte de t'avouer que si je pouvais le faire disparaître complètement de ma vie, je le ferais.
Alec parle de Wren avec une telle fureur dans la voix que je me mets en tête qu'il est le diable incarné. Je ne pense pas qu'Alec soit du genre à insulter quelqu'un gratuitement et que s'il parle en aussi mauvais termes de son frère, c'est vraiment qu'il doit être infâme.
— Mais surtout, c'est un Obscur, conclut-il d'un air sombre.
— Attends... Tu ne m'as pas dit que les Lumineux ne pouvaient pas avoir d'enfants Obscurs et inversement ? Tes parents étaient bien des Lumineux, non ?
— Oui, mes parents étaient des Lumineux, tout comme moi. Mais Wren est un Obscur et nous ne savons pas pourquoi. Quand nous étions petits, notre père nous assurait que nous étions bien frères et que nous n'avions pas à nous poser de questions à ce sujet, que c'était la nature qui avait fait ça et que ce n'était pas grave. Plus tard, notre mère nous racontait que c'était peut-être un effet de la Malédiction des Astres, que comme Wren a été conçu pendant que nos parents étaient sous son emprise, ses dons ont été inversés et il est devenu Obscur au lieu de Lumineux. Mais c'était une menteuse.
Il crache ces derniers mots comme s'il espérait que sa mère les entende depuis l'au-delà.
— Wren a dix-huit ans et la malédiction existe seulement depuis seize ans. Nous n'avons jamais fait d'analyse ADN ou quoi que ce soit mais nous savons qu'il y a sûrement un problème quelque part, même si nous n'en parlons jamais. Je pense que c'est ce manque d'identité qui perturbe mon frère, bien qu'il n'y fasse absolument jamais allusion.
Eh bien... Famille de dingues.
— Wren vit avec moi dans notre maison à Astriad. La maison est si grande que nous pouvons y vivre séparément. Il m'arrive de ne pas le voir pendant des jours alors que nous sommes sous le même toit. Comme je compte te faire vivre chez nous pendant ta période d'apprentissage de tes pouvoirs, tu risques de le croiser quelques fois et je tenais à te prévenir de te méfier de lui. Il est facile pour une fille de tomber sous son charme, et très difficile de se le sortir de la tête une fois envoûtée.
Est-ce un peu comme une alerte au beau gosse ? J'hésite presque à lui demander si tous les êtres magiques sont beaux.
— OK, je réponds. Je ferais attention. Et puis je te rassure, je ne suis pas du genre à me laisser berner par un mec rien que parce qu'il est mignon.
Dit la fille qui suit un gars plus beau qu'un prince charmant jusqu'au bout du monde sans vraiment savoir où elle va. Terrible logique.
***
Quand Alec me disait qu'il avait une grande maison, je ne pensais pas qu'il parlait d'un palais. La bâtisse devant laquelle je suis est si grande et si majestueuse que c'est à peine si je m'imagine dedans. La peinture est d'un blanc éclatant et comme au Capitole, un dôme trône au centre de la structure, sauf que celui-ci est en verre. Je reste tant bouche bée devant cet endroit qu'Alec en éclate de rire.
— Je ne pensais pas que ma maison te ferait autant d'effet, rigole-t-il.
Je me retourne vers lui, outrée.
— Tu oses appeler ça une maison ?! Ce n'est pas une maison, Alec ! C'est... c'est... un musée, un château, un palais, un monument ou ce que tu veux mais pas une maison !
Le plus incroyable est que nous sommes en pleine forêt amazonienne et que j'entends des bruits venant des arbres partout autour de moi. Nous avons mis je ne sais combien d'heures interminables pour venir de l'aéroport le plus proche jusqu'ici. Cet édifice aurait parfaitement sa place au milieu d'un grand jardin digne de Versailles mais entouré par cette forêt... c'est une autre histoire. C'est comme si on mettait une cabane en bois miteuse en plein Manhattan et le Hollywood Sign dans le désert du Sahara.
— Les Nightsun y vivent depuis toujours, je n'ai jamais connu d'autre endroit où vivre avec ma famille donc c'est pour moi ce qui se rapproche le plus d'une maison, se justifie Alec.
— Qui sont les Nightsun ?
— C'est mon nom de famille, répond Alec comme si c'était aussi évident que les étoiles dans le ciel nocturne. Tu ne le savais pas ?
J'ai bien passé mes vacances avec un gars dont je ne connaissais pas le nom de famille... Je me trouve de plus en plus pathétique.
— Attends, tu t'appelles littéralement "nuit" et "soleil" ?! C'est une coïncidence avec cette histoire d'astres ?
Il redouble d'hilarité et je me sens comme une gamine de maternelle devant une équation.
— Tu as tout juste. Je sais que ça semble stupide quand on met mon nom dans les circonstances mais je me m'appelle bien Nightsun. Je te rassure, d'autres Lumineux et Obscurs ont des noms normaux. C'est juste une étrange coïncidence.
Nous avançons dans le petit chemin qui mène à l'entrée et Alec pousse l'une des grandes portes en bois comme s'il ouvrait celle d'une maison classique. Si j'étais déjà impressionnée par l'extérieur du palais Nightsun, je manque de tomber par terre en découvrant l'intérieur. On dirait que le temps s'est arrêté au dix-huitième siècle. Les murs sont couleur or et des moulures dorées au plafond donnent un air encore plus royal au tout. Un grand escalier se divisant en deux après quelques marches doit sûrement mener vers les étages. Le tout pourrait sembler un peu "lourd" mais chaque élément est en parfaite harmonie avec l'autre.
— C'est magnifique, je souffle en tournant la tête de tous les côtés.
— On s'y habitue vite. Je ne fais même plus attention à quoi que ce soit tant je suis lassé par ce doré.
— Moi je ne m'y habituerai jamais.
J'ai l'impression que mes yeux se seront jamais capables de se saisir de chaque détail de cette sublime entrée.
— Je vais te conduire à ta chambre, enchaîne Alec. Tu es sûre que tu ne veux pas que je porte ta valise ? Il faut monter deux étages et je ne voudrais pas que tu tombes dans les escaliers...
À notre descente de la voiture, Alec avait naturellement commencé à porter ma première valise mais ma fierté m'a obligée à la tenir moi-même, même si elle pèse deux tonnes.
— Je vais y arriver. Ne me prends pas pour une demoiselle en détresse, je rétorque avec un petit sourire fier.
En vérité, je sais que je vais me vautrer dès la première marche mais au moins j'aurais essayé.
— Comme tu voudras, réponds Alec avec malice comme s'il savait d'avance que j'allais me casser la figure.
Et effectivement, dès la cinquième marche (je m'étais sous-estimée en pariant sur la première) je trébuche et m'écrase par terre. Ma valise descend les cinq marches que j'avais déjà montées et Alec se retient de toutes ses forces d'éclater de rire. Il tend une main pour me relever, que j'accepte, trop dépitée pour refuser.
— OK, je l'admets, tu avais raison. Mais ça m'étonnerait qu'avec des escaliers aussi raides et une valise aussi lourde tu puisses toi aussi arriver jusqu'au deuxième étage. Sans vouloir remettre en cause tes muscles bien sûr.
— Je sais, sourit-il. Heureusement que je peux faire ça.
Ma valise se met tout à coup à léviter dans les airs et suit le chemin des escaliers. Impressionnée de voir une nouvelle fois la magie à l'oeuvre, je la suis avec empressement. Une fois au deuxième étage, elle atterrit avec douceur, sans faire le moindre bruit. Je regarde alors Alec qui jubile.
— Tu avais tout prévu, je lance avec un faux agacement.
— Il faut bien t'habituer à la magie d'une façon ou d'une autre.
Il me guide ensuite vers ma chambre à travers les immenses couloirs de l'étage. Il ouvre plusieurs portes et je me demande comment je vais faire pour m'y retrouver une fois seule. Il pousse finalement une dernière porte et je découvre non pas une chambre, mais un véritable appartement.
Contrairement à l'entrée qui est dans les tons dorés ou aux couloirs qui sont assez sombres, ma "chambre" est de couleur blanche avec des touches de bleu par-ci par-là. Un immense lit est placé au centre et des armoires et des commodes sont éparpillées un peu partout. Je distingue aussi une salle de bain à travers une porte ouverte et il reste encore trois autres portes qui doivent donner accès je ne sais où. D'immenses fenêtres amenant une incroyable quantité de lumière ornent également les murs.
— J'espère que ça te plaît, déclare Alec d'un ton peu confiant. Tu as un petit salon au fond à droite, un bureau à côté de la salle de bain et un dressing à gauche. Si tu veux changer on peut...
— Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau, je m'extasie en me précipitant vers l'une des fenêtres pour admirer la vue sur la forêt amazonienne. Merci infiniment, Alec.
Je n'en reviens pas que je vais vivre ici pendant les prochains mois. Peut-être qu'un si beau cadre de vie va m'aider à mieux m'acclimater à tous ces changements...
— Comme tu vas devenir une Lumineuse, il te faut le plus de lumière possible. Cette chambre est la plus apte à te nourrir comme il faut après la mienne et l'ancienne de ma mère. Je t'aurais bien installée dans la sienne, maintenant qu'elle n'est plus occupée, mais nous n'avons pas encore tout débarrassé.
— Ici c'est parfait.
Je me tourne vers lui et j'ai envie de lui sauter dans les bras pour le remercier, or je me rappelle que sans lui, je mènerais toujours une vie normale avec ma famille et mes amis.
— Je vais te laisser t'installer et je monterai ta seconde valise tout à l'heure. Tu es chez toi maintenant. N'hésite pas à visiter les lieux.
Il s'apprête à partir et un détail me revient alors en tête.
— Est-ce que ton frère est là ?
— Sûrement, fait-il en haussant les épaules. Comme je te l'ai dit, nous passons parfois des jours sans nous croiser.
Malgré tout ce qu'Alec m'a raconté au sujet de Wren, une partie curieuse (et surtout folle) qui est en moi a très envie de le rencontrer...
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