Chapitre 5

Comme il me l'avait dit, Alec n'est pas venu en cours aujourd'hui. J'ai passé la journée à me poser toujours plus de questions et je n'ai pas retenu un seul truc de mes cours. D'autant que je n'ai pas non plus dormi de la nuit. Alexia et Phoebe ne cessent de me demander pourquoi j'ai l'allure d'un zombie, mais je m'entête à leur dire que je suis simplement fatiguée par la rentrée. Désormais chez moi dans ma chambre avec elles, nous discutons enfin de sujets anodins...

— Faisons nos pronostics pour les couples du bal de rentrée, s'enthousiasme Phoebe en tapant des mains. Avec qui pensez-vous que je vais y aller ?

D'habitude j'adore faire ce genre de paris, mais cette fois c'est à peine si j'écoute les filles.

— Ashton t'a invitée l'année dernière et tu as refusé, donc ça m'étonnerait qu'il te relance cette fois, philosophe Alexia. En revanche, j'ai surpris Steven à loucher sur toi quelques fois...

— Tu exagères, ça ne fait même pas une semaine que nous avons repris les cours ! En plus, j'aurais plutôt dit que Steven irait au bal avec Stefany.

— Avec Stefany ?! s'indigne Alexia. Ils sont sortis ensemble en seconde et ça a duré deux jours ! Ils ont officialisé et direct séparés !

— Et bien moi je dis que celui qui t'invitera, Alexia, ce sera Killian ! affirme Phoebe en papillonnant des yeux. Tu as été au bal de fin d'année avec lui et ça s'est très bien passé !

— Si par "très bien passé" tu entends légère embrouille parce que je l'ai repoussé quand il a essayé de m'embrasser...

C'est dingue comme en moins de vingt-quatre heures, des conversations qui me semblaient auparavant passionnantes me sont devenues aussi dénuées d'intérêt que l'autobiographie d'un poisson rouge...

— En ce qui te concerne, Luna, je mise tout ce que j'ai sur Alec ! me lance Phoebe en me donnant un coup de coude.

Cette remarque me fait brusquement relever la tête.

— Pourquoi tu dis ça ? je demande. Il a oublié tout ce que nous avons vécu pendant cet été.

Il t'a invitée au salon de thé à côté de chez Stolker hier, déclare mon amie comme si sa remarque était évidente. Et à ce propos, tu ne nous as pas raconté ce que vous vous étiez dit...

— D'autant plus que c'est le plus beau garçon que le lycée ait jamais accueilli, renchérit Alexia dont la superficialité de Phoebe semble avoir déteint sur elle.

Je n'ai absolument rien dit aux filles concernant mon statut de "Lumineuse en cours de mutation" et je n'ai même pas fait allusion à mon rendez-vous d'hier après-midi, espérant que les filles aient tout oublié, en vain.

— En fait il voulait juste... En apprendre un peu plus sur le fonctionnement du lycée. Il m'a dit qu'il était devenu amnésique parce que... Sa mère l'a assommé avec un râteau un soir où elle était soûle...

Luna, tu es officiellement la reine des connes. Toute catégorie. Qui pourrait croire un truc pareil ? Les filles me regardent comme si j'avais la peste mais ne cherchent pas plus loin. Je me retiens d'éclater de rire devant leurs airs frustrés de ne pas en savoir davantage.

— Je maintiens quand même qu'il va t'inviter au bal, persiste Phoebe. Et c'est indéniable que c'est le mec le plus beau que j'ai jamais vu. Je serais au paradis rien que s'il posait les yeux sur moi !

— Vous ne trouvez pas qu'il parle comme un vieux ? je me hasarde pour essayer de rendre Alec moins parfait aux yeux des filles.

Si l'une d'elles venait à tomber littéralement amoureuse de lui, cela pourrait s'avérer assez compliqué...

— Au contraire ! Tout chez lui te donne envie d'être gentil et heureux. Autant j'ai parfois envie de foutre des claques à Steven quand il parle comme un ado attardé — ce qu'il est d'ailleurs — mais je trouve Alec hyper... rafraîchissant de bonté.

C'est vrai qu'Alec a vraiment tout pour plaire, mais je le trouve un peu trop... parfait justement. Mais j'ai également l'impression qu'il s'est comme forgé une carapace de "politesse et d'élégance" comme il dit, et qu'il cache en réalité quelqu'un de plus complexe. C'est en tout cas l'analyse que j'ai faite de lui quand il s'est mis à parler de sa famille. Il a apparemment perdu son père jeune, sa mère vient de mourir mais il n'était pas un grand fan d'elle, et il n'a pas l'air de s'entendre à merveille avec son frère...

— Vous croyez que les profs viendront au bal cette année ? je lance pour changer de sujet.

En juin dernier, lors du bal de fin d'année, les professeurs du lycée étaient venus accompagnés d'un membre de leur famille. Certains avaient fait sensation comme la femme du professeur d'anglais qui était plus que canon ou encore le petit ami d'une prof de maths qui était un véritable mannequin. Mais la prof de sport, venue avec son mari, s'était déguisée en poulet (oui en poulet) et avait poussé des "caquètements" assez gênants...

— Il n'est pas écrit comme la dernière fois sur les affiches que les profs seront là, mais ils feront peut-être une apparition surprise !

— Ou alors ils ont tellement été gênés par la prof de sport qu'ils ont décidé de ne pas retenter l'expérience...

J'ai beau essayer de m'intéresser à la discussion des filles, mes pensées reviennent toujours vers Alec et moi. Je veux dire pas vraiment "Alec et moi" mais juste... à Alec sorte d'espèce de sorcier et moi future sorte de sorcière. Qu'est-ce qui va se passer quand Alec va revenir au lycée ? Est-ce qu'il va m'envoyer dans une école de magie en mode Harry Potter ? L'idée devrait m'enchanter mais ça ne m'inspire qu'un terrible sentiment de devenir dingue...

Est-ce que je vais aussi devoir manipuler les pensées de mes deux meilleures amies ? Quelle horreur... Une tout autre question m'envahit soudain l'esprit : pourquoi Alec est-il scolarisé à Los Angeles dans un lycée normal et pas dans une de ces écoles de magie ? Il s'est vraiment inscrit ici rien que pour me retrouver ? Je ne tiendrais jamais avec toutes ces questions jusqu'à demain ou peut-être même plus si Alec n'est pas de retour avant un moment. Je me souviens alors que j'ai son numéro dans ma poche.

— Je vais chercher quelque chose à manger, dis-je aux filles pour faire diversion. Vous voulez qu'on fasse quoi après ? Pop-corn devant Dirty Dancing ou bien glace devant Orgueil et préjugés ?

— Je dirais pop-corn devant Orgueil et préjugés, s'amuse Alexia.

Je sors de ma chambre et pars en direction de la cuisine sauf que je bifurque au dernier moment vers la salle de bain. Je sors avec empressement mon téléphone de ma poche si bien que je manque de le faire tomber dans l'évier, puis j'attrape ensuite le numéro d'Alec. Je dois attendre au moins quatre longues sonneries avant qu'il ne daigne décrocher.

— Téléphone d'Alec, oui j'écoute ?

C'est une voix très différente de celle d'Alec... Une voix d'homme mais moins aigüe et avec comme un sourire. Et un peu plus sexy aussi...

— Euh, je voudrais parler à Alec.

— Désolé, mais il est... Comment dire... Pas dispo pour le moment. C'est de la part de qui ?

La voix a vraiment l'air d'être un rire transformé en parole. Je sais que ça peut paraître assez bizarre mais c'est vraiment l'impression que ça me fait. J'entends alors la voix lointaine d'Alec. Il doit être dans la même pièce que la personne qui me parle.

— Luna. S'il vous plaît c'est vraiment important et je n'ai pas beaucoup de temps.

— Ah tu es donc la fille qu'Alec s'est tapée tout l'été quand il était plus croustillant que maintenant ! Il t'a transformée, je me trompe ? Pauvre chérie, se faire transformer par Alec est bien moins marrant qu'avec moi ! Je suis son...

Je n'ai pas le temps de découvrir l'identité de mon interlocuteur car j'entends un grand bruit qui doit signifier qu'Alec a arraché le téléphone des mains de l'inconnu.

— Luna ? reprend Alec. Désolé, je n'étais pas à côté de mon téléphone et cet idiot l'a attrapé.

À la manière dont Alec a prononcé le mot "idiot", je sens qu'il a envie d'employer un terme bien plus péjoratif pour désigner la mystérieuse personne mais qu'il se retient.

— C'était qui ? je demande avec hésitation.

— Une personne sans importance dont tu n'as pas à te préoccuper.

J'entends alors la voix de tout à l'heure crier : "si je suis une personne sans importance alors toi tu n'existes même pas tant tu n'es rien à côté de moi".

— Il y a l'air d'avoir de l'ambiance entre vous deux en tout cas... Je suis désolée de te déranger mais je voulais te poser quelques petites questions.

Je me sens comme une enfant stupide cherchant à embêter les adultes.

— Tu ne me déranges pas du tout, me rassure Alec. Je commençais vraiment à être au bord de la crise, de toute façon.

L'inconnu doit encore lancer une remarque cinglante car Alec profère une nouvelle insulte modérée.

— Qu'est-ce qui va se passer pour moi quand tu reviendras ? je le questionne une fois que j'ai de nouveau son attention.

— Je pensais t'emmener avec moi à la capitale du Peuple des Astres. Tu pourrais rester chez moi et lorsque tu seras complètement une Lumineuse, je t'apprendrai à te servir de tes pouvoirs.

La voix sexy d'il y a deux minutes dit alors quelque chose que je ne comprends pas.

— Mais ce n'est pas possible que je poursuive ma vie normalement ? Si je contrôle mes pouvoirs et que je ne risque pas de les faire éclater devant tout le monde, je ne peux vraiment pas faire comme si j'étais normale ?

Alec met tant de temps à répondre que je crains d'avoir raccroché sans le faire exprès.

— Théoriquement, une fois que tu maîtrises tes pouvoirs à la perfection, tu es entièrement libre. Mais... Il est rare que des membres du Peuple des Astres renoncent à leurs pouvoirs. Tu verras que c'est vraiment cool une fois que tu sais comment t'en servir.

Cool. Ouais c'est ça, s'il le dit...

— T'es-tu vraiment inscrit dans un lycée normal rien que pour me retrouver ?

Là encore il met trois heures à répondre et la personne qui est avec lui se met à ricaner. Alec lui balance encore une insulte pas très violente puis finit par trouver quoi me dire.

— Je n'aurais jamais pu vivre sachant que j'avais laissé une personne innocente se débrouiller avec ses pouvoirs... M'intégrer dans ton lycée m'a semblé le meilleur moyen de t'approcher. J'avais peur que ça prenne des mois avant que tu m'adresses la parole étant donné mon comportement pendant cet été...

Et moi je me suis jetée sur lui dès le premier jour.

— Je vais devoir aller dans une école de magie ? je m'enquis pour changer de sujet.

— Non. Il n'y a que les membres du Peuple des Astres ayant des parents eux-même êtres magiques qui peuvent s'y rendre. Les transformés doivent normalement être formés par la personne qui les a mordus mais il y a quand même des petites institutions clandestines pour ceux qui n'ont personne pour les aider.

J'aurais encore beaucoup de choses à lui demander mais la tête me tourne déjà.

— Tu penses revenir quand ? C'est juste pour que je puisse... préparer ma valise.

— Dès demain. Je manipulerai l'esprit d'un membre de ton entourage pour qu'il ne s'inquiète pas de ta disparition et cette même personne transmettra la magie que je lui aurais instillée aux autres personnes... Enfin, ne te préoccupe pas des détails techniques. Je partage une maison avec mon frère à Astriad, la capitale du Peuple des Astres située au cœur de la forêt Amazonienne.

Je crois que mes oreilles ont des hallucinations...

— Attends... T'es en Amazonie là ?! Mais comment tu es arrivé à temps pour l'enterrement de ta mère hier soir ?

— Cela ne nous dérange pas que des événements aient lieu en pleine nuit. Et puis je n'ai pas pris un avion ordinaire mais je t'expliquerai tout plus tard... Ne t'en fais pas pour ça.

Décidément, tout cela est encore plus bizarre que je ne le pensais. Je clos la discussion avant d'attraper une nouvelle migraine.

— Merci, Alec. À demain.

— À demain, Luna. Et surtout, ne t'inquiète pas pour ce qui est de la manipulation mentale sur tes proches. Ce n'est absolument pas douloureux.

— OK.

Je raccroche en vitesse puis mes yeux remontent vers le miroir de la salle de bain. La marque sur mon cou n'est désormais plus qu'un lointain souvenir. Mon visage ne me semble pas avoir changé et mon corps non plus. Hormis les malaises, je n'ai rien d'autre qui me témoigne que je suis en train de changer et que dans quelques semaines, je ne serais plus une humaine mais une créature magique.

Tout a basculé en si peu de temps que j'en ai la nausée. Il y a encore une semaine, l'avenir me semblait serein et ma seule angoisse était peut-être de ne pas trouver un cavalier pour le bal de rentrée. Aujourd'hui, je n'en ai plus rien à faire puisque je raterais certainement le bal et que je risque de ne plus jamais mettre les pieds au lycée. Cela aurait dû plus me réjouir mais ça me donne envie de pleurer.

Alors au lieu de sombrer dans une profonde dépression, je sors de la salle de bain et pars préparer du pop-corn pour mes amies.

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