Chapitre 44
Mes yeux se posent sur le premier mot de la page lorsque quelqu'un frappe à la porte. Je crie à la personne d'entrer et range le carnet dans son carton. Alec fait son apparition, vêtu de son polo bleu et de son jean de la même couleur, un air timide au visage.
— Je ne te dérange pas ? s'enquit-il, encore plus gêné qu'à la normale. Darwin m'a dit que tu étais réveillée.
— Bien sûr que non, je réponds en reposant le carton par terre et en me redressant avec un sourire que j'espère engageant.
Il s'avance dans la pièce, mal à l'aise comme jamais. Il se ressaisit néanmoins lorsqu'il passe devant les grandes bées vitrées de ma chambre, la lumière devant lui être bénéfique à lui aussi. Il ne s'approche cependant pas du lit, contrairement à Wren quelques minutes plus tôt. Ils sont décidément la nuit et le jour...
— Comment te sens-tu ? s'inquiète-t-il sans me regarder en face. Darwin m'a dit que tu allais bien mais je voulais en être certain.
— Bien. Il faut dire que cette magnifique lumière a dû accélérer mon rétablissement.
— Darwin m'a aussi dit qu'il t'avait parlé de Phoebe. Je suis sûr qu'on trouvera le moyen de l'aider.
C'est moi ou ça fait trois fois qu'il invoque Darwin ?! Un tel évènement devrait être inscrit sur le calendrier.
— C'est donc si grave ? je le questionne en baissant la voix.
— De quoi ? fait-il en se retournant vers moi avec vivacité, comme s'il avait peur de ma question.
— L'état de Phoebe, je complète septique. Il paraît qu'elle est perturbée mentalement...
Il semble soulagé que je ne parle toujours que de Phoebe. Mais qu'est-ce qu'il a bon sang ?
— Oui, elle ne parle de toi qu'en te désignant comme la Lunatique. Alma a dû essayer de lui soutirer des informations. Mais je ne te conseille pas d'aller la voir tout de suite... Elle a déjà hurlé lorsqu'elle nous a vus, Wren et moi. Elle ne supporte que Karlie.
Pauvre Phoebe... Si je n'avais pas été voir Carlton pour cette stupidité de magnétisme, nous n'en serions pas là... Alec est maintenant devant une des bées vitrées, dos à moi, et s'agite nerveusement d'un pied sur l'autre.
— Alec, tu es sûr que ça va ? je finis par demander. Sans vouloir te vexer tu es... bizarre.
Il arrête de se remuer et je l'entends prendre une inspiration avant de lâcher de but-en-blanc :
— Quelques souvenirs me sont revenus de l'été dernier.
Je me raidis de haut en bas, regrettant d'avoir posé ma question. Je dois avouer que ça m'arrangeait vraiment qu'Alec n'ait aucun souvenir de l'été dernier... Tous ces baisers torrides, la fois où je me suis retrouvée entièrement nue dans son lit...
— Quoi exactement ? j'articule d'une voix tendue.
— Notre première rencontre, répond-il sur le même ton toujours sans me faire face. C'était... instantané entre nous.
C'est le moins que l'on puisse dire. Alec et moi nous sommes rencontrés sur une plage de Miami. J'étais avec une fille que j'avais connue dans le quartier résidentiel de ma tante, tranquillement allongée sur une serviette, quand Alec est sorti de l'eau avec son corps de rêve et ses airs arrogants. Sans que je sache pourquoi, il s'est dirigé vers nous et m'a proposé d'aller prendre une glace au stand du coin. Je l'ai suivi sans réfléchir et une demi-heure plus tard, ses lèvres étaient posées sur les miennes. Instantané correspond donc plutôt bien à notre rencontre...
— Alec, je...
— J'espère sincèrement que cette fichue Malédiction des Astres est bien levée, lance-t-il. S'il n'y avait pas eu tout ça tu ne...
— Si ça peut te rassurer, j'interviens en prenant mon courage à deux mains, tu n'étais pas le seul fautif.
Il fait finalement volte-face vers moi et je décide de tout avouer. Après tout, je ne pourrais pas garder ça pour moi indéfiniment.
— Ce n'était pas pour des migraines que j'ai été voir Carlton, lorsque Phoebe a été enlevée, je commence d'une voix hésitante en baissant les yeux. C'était pour comprendre pourquoi je perdais le contrôle comme ça et... Bref, je suis sensible au "magnétisme".
Alec me dévisage d'un drôle d'air, comme s'il hésitait entre prendre son air inquiet ou s'effondrer de soulagement.
— Avant que tu ne me fasses la leçon sur le fait que je ne t'en ai pas parlé, je balbutie alors qu'il ouvre la bouche, j'avais trop... honte. Ça me l'a d'abord fait avec toi puis avec...
— Wren, complète-t-il devant mon silence. Je comprends.
Aucune agressivité ni déception dans sa voix. Je lève finalement les yeux vers lui et crois rêver quand je constate qu'il me sourit.
— On ne choisit pas d'être sensible au magnétisme ou encore moins avec qui on y est sensible, me rassure-t-il. C'est juste une fascination qu'on ne peut contrôler.
Parfaitement calme et sans tristesse ni jalousie, je me demande s'il n'a pas été cloné par une Malfaçon d'Alma lors de l'affront sur le lac.
— Je sais ce que Wren dégage, continue-t-il. On lui répète depuis qu'il a huit ans qu'il est à tomber par terre et pour que Karlie soit tombée amoureuse de lui malgré son tempérament, c'est vraiment qu'il doit faire de l'effet. D'après ce que je sais du magnétisme, c'est avant tout un processus physique. C'est donc normal que tu ait ressenti ça avec Wren.
Il marque une pause et reprend son air gêné.
— Mais je dois dire que je suis flatté qu'il te soit arrivé la même chose avec moi, cet été.
OK, si on pouvait changer de sujet ça m'arrangerait vraiment... Parce que parler de cette histoire de magnétisme avec Alec est vraiment gênant. Même si je suis obligée d'avouer que je suis heureuse qu'il prenne la chose avec légèreté.
— Mais je voudrais juste que tu sois honnête avec moi sur un point, reprend-il.
Je redoute vraiment ce qui va suivre devant son regard intense et sérieux.
— C'est lors du bal d'automne que tu as ressenti ce magnétisme envers Wren, n'est-ce pas ? Quand vous vous êtes embrassés, ce n'était pas juste pour jouer la comédie auprès d'Elasia.
Il semble sûr de lui et la dernière phrase est une affirmation, pas une question. Au point où j'en suis, à quoi bon nier en bloc ?
— C'est vrai, je confesse. Il s'est vraiment passé quelque chose entre nous mais si ça peut te rassurer, je m'empresse de compléter, nous en sommes restés là, Wren et moi. Tu sais bien comment il est...
Je ne vois pour l'instant pas l'utilité de lui parler de la nouvelle connexion qui nous unit ni de quoi que ce soit d'autre. Je ne suis pas certaine qu'il sauterait de joie s'il apprenait que son frère peut lire et manipuler mes émotions...
— Je vois. Mais j'ai décidé de faire une trêve avec Wren, me confit-il. Quand j'ai cru qu'il allait mourir de cette morsure de serpent, j'ai réalisé que je n'avais peut-être pas cherché à le comprendre, même s'il a fait des choses horribles. Et puis tu as entendu quand Alma l'a traité de "bâtard des Nightsun" ? Je crois que je n'ai jamais véritablement réalisé qu'il avait pu souffrir par rapport à sa condition d'Obscur dans une famille de Lumineux. Je savais, bien sûr, qu'il avait essuyé quelques remarques mais...
Il s'interrompt quelques instants, comme perdu dans le passé. Lorsqu'il reprend la parole, il semble à des milliers de kilomètres de moi :
— Wren fait tellement toujours comme si rien ne l'atteignait qu'au bout d'un moment, j'ai fini par le croire.
— Peut-être qu'en l'aidant à éclaircir la question de ses origines nous pourrions l'aider, je suggère. Tu n'as vraiment pas idée d'une personne vivante qui saurait la vérité ?
— La reine, évidemment. Elle partageait beaucoup de choses avec notre mère et s'il y a une personne encore en vie qui puisse connaître les petits secrets de Donnatella, c'est bien elle.
— J'espère qu'elle nous fera plus confiance après ce qui s'est passé. Je ne demande pas des hommages nationaux mais si elle peut aider Wren, qu'elle le fasse, au moins.
Un calme s'installe dans la pièce et Alec finit par remarquer le carton posé au pied de mon lit.
— Qu'y a-t-il là-dedans ? s'enquit-il.
— Wren me l'a porté à l'instant. Il paraît qu'il y a des informations sur ma condition de Lunatique. J'espère ne pas tomber sur une mauvaise surprise...
Imaginez qu'on m'ait jeté un sort à ma naissance ou quelque chose de farfelu du même genre ?
— Tu sais l'autre jour, commence Alec plus détendu, quand je t'ai parlé de quitter Astriad ? Je crois que je ne vais pas m'en aller tout de suite, finalement. Alma est peut-être morte mais ses Malfaçons sont toujours dans la nature, il ne faut pas l'oublier. J'ai le sentiment que rien n'est vraiment terminé, avoue-t-il. Chaque fois que je suis à la fenêtre et que je regarde la jungle, j'ai l'impression de sentir des... forces étranges. Et sans vouloir jouer les rabat-joies, je crains que nous ne soyons encore moins en sécurité que quand Alma était à la tête de sa meute...
— Honnêtement, je fais après un silence, tu crois qu'elle s'est noyée sous ce lac ou qu'elle a été dévorée par les alligators ? Et qui était cette personne sous le voile noir ? C'est lui ou elle qui a lancé le serpent sur Wren, après tout.
— J'aime la penser morte et pour que nos souvenirs nous reviennent, je suis à peu près certain que c'est synonyme de sa perte. Quant à la personne sous le voile, j'espère aussi de toutes mes forces qu'elle soit restée prisonnière dans le verre.
Mais le verre se brise, je pense immédiatement. D'autant plus que la couche n'était pas si épaisse que ça. Alec et moi finissons par échanger quelques banalités sur Karlie et la manière dont elle semblait soulagée lorsque Darwin est revenu vivant à la villa Nightsun qu'elle avait rejointe à la fin de son conseil des ministres.
— Je déteste Darwin, déclare Alec, mais si Karlie tient à lui...
— Mais Karlie est une Obscure et Darwin un Lumineux. Ils ne pourront jamais être ensemble, c'est ça ?
— Hélas oui, soupire Alec. Ils sont tous les deux assez connus au sein du Peuple des Astres donc même s'ils quittaient Astriad et s'installaient au milieu des humains, ils risqueraient d'être découverts par un être magique. Ils ne seraient jamais tranquilles. Et j'imagine mal Darwin parmi les humains, sans pouvoir utiliser sa magie...
— Ils risquent d'être exécutés, je murmure avec tristesse.
Cette loi sur les relations interdites entre Obscurs et Lumineux est si ridicule ! Je comprends que c'est pour éviter les Malfaçons mais en arriver à des extrémités pareilles...
— Oui, admet Alec aussi morne que moi. Mais ils n'en sont pas encore à ce stade, se résonne-t-il en reprenant son sourire. Je vais te laisser te reposer et voir ce que contient ce carton tranquillement.
Il part vers la porte et comme Wren avant lui, s'arrête juste avant de la franchir.
— Je voulais aussi te remercier pour mon frère. C'est incroyablement courageux ce que tu as fait et je n'en aurais jamais, jamais été capable.
Je lui adresse un petit hochement de tête gêné et il part en refermant la porte derrière lui. Une nouvelle fois, je me retrouve seule avec ce carton. Je ressaisis le carnet que j'avais attrapé tout à l'heure et me plonge dans sa lecture, sans que cette fois, personne ne vienne me troubler.
Note de l'auteure :
On a atteint les 1K ! C'est vraiment génial merci beaucoup à tous de toujours être là ! 😘
Il ne reste plus que deux chapitres à ce premier tome mais... c'est loin d'être fini ! 😉❤️
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