Chapitre 43

Lumière, lumière, lumière. Toute cette lumière qui illumine ma chambre est si relaxante que je voudrais rester allongée dans ce lit jusqu'à la fin de mes jours. Les rayons du soleil font briller étrangement les murs ce qui aveugle mes yeux pas encore tout à fait habitués à cette lumière. Lorsque je tente de bouger, je suis surprise de ne ressentir aucune douleur. Juste un faible engourdissement. Mon regard se dirige vers un miroir aux bordures argentées et soudain, je suis assaillie de souvenirs.

Le lac, Alma, Phoebe, les alligators, la chute d'Alma, les serpents, la silhouette voilée de noir, Wren, la morsure de Wren, la Pierre des Astres, le verre sur le lac, encore Wren. Ces visions cauchemardesques m'éblouissent encore plus que la lumière et je dois mettre toutes mes forces pour réussir à tenir sur mes pieds. Une fois mon esprit calmé, je file vers la porte de ma chambre et l'ouvre sans ménagement. Il faut que je voie Wren.

Je fonce droit devant, ma vision encore troublée par la lumière, et heurte quelqu'un sans ménagement.

— Tu es réveillée, petite Lunatique.

Darwin...

— Tu n'as pas si mauvaise mine. Ils seront rassurés.

Ses yeux à l'éclat doré si particulier me rappellent d'abord les serpents avant que je ne secoue la tête pour m'enlever cette horrible pensée. En le regardant à nouveau, je pense désormais à deux pépites d'or. Il me tient par les épaules, m'empêchant de flancher,

— Par contre, tu n'es pas bien loquace...

— Wren ? j'articule sans avoir besoin de préciser.

Je guette un assombrissement sur son visage qui annoncerait une mauvaise nouvelle, au lieu de quoi il me sourit de toutes ses dents.

— Il va encore mieux que toi. Cet abruti a même réussi à marcher jusqu'à la voiture, lorsque nous avons quitté le lac. Alec lui a tenu un discours de "petit frère qui tient à son grand frère malgré toutes les horreurs qu'ils se sont faites au cours de toutes ces années".

Je hausse les sourcils devant sa piètre imitation d'Alec.

— Bref, si tu veux mon avis, ils vont se supporter pendant grand maximum une semaine avant de recommencer à se chamailler comme des poules.

Un immense soulagement m'envahit avant d'être remplacé par une nouvelle crainte.

— Et Phoebe ?

Cette fois, son sourire se tord en une grimace.

— Alma a expérimenté une manipulation mentale particulière sur elle. Physiquement, elle va bien mais dans sa tête, c'est une autre histoire...

Il agite ses mains autour de lui dans un signe de folie.

— Karlie essaye de l'aider mais ce n'est pas gagné, si je peux être honnête avec toi.

Je prends une grande inspiration pour me calmer avant de m'inquiéter pour un autre sujet fâcheux.

— Alma ?

— Elasia affirme qu'elle n'est pas remontée à la surface avant que tu ne "vitrifies" le Lac des Aurores. Nous ne sommes pas restés assez longtemps pour voir si les autres ont réussi à briser la vitre. Autrement dit, nous ne sommes sûrs de rien mais...

Il tarde à finir sa phrase et je l'encourage à poursuivre d'un hochement de tête.

— Des bribes de souvenirs nous sont revenus, à certains d'entre nous... Des souvenirs perdus pendant les étés que nous avons passés sous la Malédiction des Astres. Ce qui laisse imaginer qu'elle a été brisée... donc Alma est sûrement morte.

Alma. Morte. Cela semble irréel mais si c'était vrai ? Si elle avait vraiment été dévorée par ces alligators ou noyée au fond du lac ? Une autre réalité me rattrape au galop...

— Mais ces Malfaçons ? Que vont-elles devenir ? Si un autre leader remplaçait Alma ?

— On ne peut pas savoir, soupire Darwin. Ce n'est donc qu'une semi-victoire. Sa Majesté était troublée lorsqu'elle nous a laissé pour regagner le palais. C'était sa demi-soeur après tout et même si elles se haïssaient, une page de la vie d'Elasia vient de se tourner.

— Si tu veux mon avis, intervient la voix de Wren, elle était troublée par autre chose...

S'avançant derrière Darwin avec un carton dans les mains, il semble incroyablement en forme, voire plus qu'avant sa blessure : son teint n'est plus cadavérique, ses cernes se sont dissipées et ses yeux émeuraude brillent d'une manière différente, moins éteints. Il m'adresse un magnifique sourire qui se reflète aussitôt sur le mien.

— Content de te voir sur pieds, princesse-Lunatique-sauveuse. J'avais peur que tu tardes à te réveiller.

Si je m'écoutais, je le prendrais dans mes bras, trop heureuse de le voir bien en vie après l'avoir vu mourant, mais il est occupé par ce carton et surtout, Darwin est avec nous.

— Je vois que Darwin ne m'a pas menti, je me contente donc de répondre sans parvenir à masquer mon enthousiasme débordant. Tu as l'air encore plus reposé qu'avant... tout ça.

— On peut dire qu'être presque ressuscité par une Pierre des Astres et une Lunatique apporte quelques... surprises, s'amuse-t-il avant de se tourner vers Darwin. J'ai besoin de lui parler de plusieurs choses importantes. Karlie vient juste de revenir.

Il lui lance un clin d'oeil et Darwin part sans demander son reste. Dès qu'il est question de Karlie, le Lumineux perd tout intérêt pour le reste du monde... Wren et moi nous retrouvons donc seuls dans ce couloir où nous n'entendons que les bruits de pas de Darwin qui s'éloignent. Il n'y a que moi qui trouve ça répétitif, ces silences gênants ?!

— Je crois qu'il vaudrait mieux que tu sois assise pour entendre ce que je vais te dire, commence-t-il avec gravité. Je te jure que ce n'est pas une combine pour m'incruster dans ta chambre.

Sans répondre, je retourne dans mes quartiers illuminés. Je m'assois sur le bord de mon lit, déjà fatiguée d'avoir fait ces quelques mètres. Je ne l'invite pas à faire de même, ce qu'il ne l'empêche pourtant pas de me rejoindre en gardant toutefois ses distances. Il dépose son carton au sol avant de plonger ses yeux dans les miens.

— Tout d'abord, commence-t-il, je veux te remercier, Isaluna. Si tu n'avais pas été là, je serais en enfer en train de me disputer avec ma mère. Tu es... Tu es la personne la plus courageuse et incroyable que j'ai jamais rencontrée. Tu aurais pu mourir avec cette maudite Pierre des Astres et...

— Je ne suis pas morte, je le coupe d'une voix douce. Alec ou Karlie auraient fait la même chose.

— Il n'empêche que tu m'as sauvé. Au moins maintenant je sais que tu ne me détestes pas...

— Je t'avais déjà dit que je ne te détestais pas ! je m'exclame, exaspérée. Ne remet pas ça, s'il te plaît.

Son petit sourire est remplacé par un plus énigmatique, typique du "mystérieux Wren".

— Je sais. Sauf que je peux le sentir, aujourd'hui.

— Quoi ? je fais devant sa mine de plus en plus mystérieuse.

Maintenant que j'y fais attention, il y a comme une tension électrique dans l'air. Moins lourde que celle qui s'était installée lorsque Wren avait utilisé son pouvoir sur Elasia, mais quand même.

— Tu vas sans doute être perturbée après ce que je vais t'annoncer... Tu es sûre d'avoir entièrement repris tes forces ?

— Oui dépêches-toi ! je mens en roulant les yeux au plafond.

Il sourit encore plus que tout à l'heure et prend une grande inspiration théâtrale avant de se lancer :

— Une connexion s'est créée entre nous lorsque tu as servi "d'intermédiaire" entre la Pierre des Astres et moi.

Je dois virer à une couleur bizarre car il me demande si tout va bien et je lui ordonne de continuer.

— C'était une énergie très puissante qui m'a sauvé et l'énergie de la Pierre des Astres mélangée à ton pouvoir de...

Je lui fais signe d'abréger les détails pour qu'il en vienne au fait. Mon Dieu mais qu'est-ce qu'il est en train de me dire ?!

— Bref, je peux ressentir tes émotions et... T'es sûre que ça va ?

Il peut ressentir mes émotions ?! Déjà que j'avais l'impression qu'il lisait en moi un peu trop facilement alors maintenant...

— Attends, je balbutie, là tout de suite maintenant, tu ressens ce que je ressens ?

Son sourire faibli pour j'imagine, ne pas me donner l'illusion qu'il se moque de moi.

— Tu es choquée, en colère, terrifiée et dans l'incompréhension, affirme-t-il sans aucune hésitation. Bon, rien qu'à ta tête c'est assez évident mais quand même, j'en suis sûr maintenant.

— Tu peux contrôler ça ? je m'affole. Si je te demande de ne pas lire mes émotions, tu peux le faire ?

— Oui, me rassure-t-il. Détends-toi, princesse, même si j'adore t'embêter je ne compte pas te faire marcher chaque fois que ton regard croise celui d'Alec.

Il m'adresse un clin d'oeil mais je ne suis pas tellement plus rassurée. Une idée me vient en tête...

— S'il y a comme tu dis une "connexion" entre nous, est-ce que ça veut dire que je peux moi aussi utiliser mes pouvoirs sur toi ? Par exemple, manipuler tes pensées ou te faire dormir ?

— J'imagine, avoue-t-il. Mais ça veut également dire que je pourrais te faire oublier un passage de ta vie. Tu peux essayer de me manipuler, si ça peut te rassurer. Mais pas un truc trop dingue, s'empresse-t-il d'ajouter. J'ai déjà vécu assez de choses bizarres pour un petit moment.

Avec un sourire malicieux, je le regarde dans les yeux et cherche quelque chose d'intéressant à lui faire faire ou dire. Il me faut un petit moment pour trouver la question parfaite, une de celles qui me taraude depuis des mois.

— Dis la vérité : est-ce que tu t'en ais voulu après avoir tué Alexia ?

Il faut que je sois sûre par rapport à ça. Pour moi. Pour Alexia. L'électricité dans l'air crépite autour de nous.

— Sur le coup, répond-il comme un robot, j'ai adoré. Elle n'était rien pour moi. Mais quand j'ai pris conscience que ça t'avait fait autant de mal, je me suis vraiment détesté. Pour la première fois de ma vie.

— Pour la première fois de ta vie ? Tu ne t'en étais jamais voulu avant ça ? je continue, intriguée.

Je ne voulais poser qu'une seule question à Wren mais ma curiosité est trop forte.

— Je m'en étais déjà voulu, avoue-t-il avec le même regard vide que Phoebe quand elle aussi était en mode vérité. Mais je ne me suis jamais détesté à ce point.

Je finis par le libérer de ma manipulation. Il retrouve ses esprits progressivement et ne sourit plus.

— Nous en revenons toujours à Alexia, constate-t-il avec calme. Tu aurais pu me demander n'importe quoi mais c'est ça que tu as choisi. Je comprends, je crois, conclut-il en perdant ses yeux sur mon dessus-de-lit.

Un silence s'installe et je décide de tirer le sujet de notre connexion au clair :

— Je propose qu'on fasse une sorte de pacte. Nous n'utiliserons pas nos pouvoirs mutuels l'un sur l'autre sans se le demander au préalable. OK ?

Wren a l'air d'hésiter puis finit par approuver. Une nouvelle question complètement hors sujet me vient.

— Pourquoi tu avais la Pierre des Astres sur toi au Lac des Aurores ? Et comment Alec le savait-il ?

— Juste en précaution pour une situation comme celle qui s'est produite. Même si je n'imaginais pas que ce serait moi qui en bénéficierais... J'en avais parlé à Alec pour le rassurer.

Sans s'attarder sur le sujet, il attrape ensuite le carton qu'il avait déposé au pied du lit puis le pose devant moi. De plus près, je peux observer qu'il est miteux et dégage une odeur de moisi étrange.

— Tu te souviens, commence Wren avec sérieux, que je t'avais promis de te donner toutes les informations sur tes origines et ton affaire de Lunatisme une fois Alma éliminée ?

Je hoche vigoureusement la tête, attentive désormais à chacune de ses paroles.

— Nous ne sommes pas sûrs qu'Alma soit morte mais j'estime que tu as gagné le droit de connaître la vérité. Surtout si nous sommes amenés à fréquenter...

— Viens-en au fait !

Il a une manière de tourner autour du pot terriblement agaçante.

— Je ne crois pas que ce soit à moi de te raconter tout ça, temporise-t-il. Je t'ai marqué avec des étiquettes de couleur toutes les pages et documents que tu as besoin de lire. Désolé mais j'ai déjà tout lu. Je t'en avais parlé, tu te souviens ? Je croyais que ce carton me concernait et crois-moi, j'aurais adoré avoir une réponse, même si c'est celle-ci. Mais je ne suis pas certain que tu sois fan de ce que tu vas apprendre là-dedans...

Il se lève et s'approche de la sortie de ma chambre, juste avant de franchir la porte, il ajoute à moitié tourné vers moi :

— Tu risques d'en vouloir à beaucoup de monde après tout ça. Mais que ce soit Alec, Karlie, Saphir, ou moi, nous t'aiderons. Je te le promets.

Il s'en va sans que je ne sache quoi lui dire, trop troublée. Il referme la porte et je me retrouve seule avec ce carton qui d'après tout le cirque qu'en fait Wren, va bouleverser ma vie. Une part de moi veut se jeter dessus mais une autre a une peur bleue de ce que je vais apprendre dedans. Je décide quand même de tirer le premier carnet que je trouve, marqué à certaines pages par des autocollants rouges, et l'ouvre au premier passage étiqueté.

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