Chapitre 42
Je fais volte-face vers Elasia, choquée. Luna-Rose est donc avec Alma ?! Le sourire de cette dernière s'élargit davantage devant la détresse de sa soeur et prend un malin plaisir à lui fournir une réponse obscure :
— Aussi bien qu'elle le peut. Avant que tu ne me le redemandes pour la millième fois, elle n'est toujours pas prête à te parler. J'ignore même si elle le voudra un jour...
Je sens la main d'Elasia trembler sur mon épaule pour finir par me relâcher après quelques secondes. Je me rapproche donc du bord du lac mais m'arrête quelques centimètres avant que le bout de mes baskets ne touche l'eau. Je regarde alors Alma dans les yeux, avec une expression que j'espère neutre, et commence à rassembler une onde de chaleur, sans en montrer aucun signe. Il faut que je parvienne à jouer un parfait double jeu.
— Libérez d'abord Phoebe, je réclame tout en continuant à faire bouillir une masse d'énergie de plus en plus puissante.
Alma me toise de haut en bas, comme pour essayer de discerner mon mode de jeu. Elle ne doit rien détecter car elle jette Phoebe à l'eau d'un seul coup, mon amie criant tandis qu'elle tombe dans le lac. Elle refait rapidement surface et effectue maladroitement quelques mouvements de brasse. Mon énergie est maintenant assez conséquente pour je pense, faire exploser Alma, mais avant que je ne puisse la transférer vers elle, Alma tape dans ses mains et des alligators surgissent à la surface du Lac des Aurores... et se dirigent droit sur Phoebe !
— Qu'est-ce que vous faites ?! je m'écrie. Nous avions...
— Me crois-tu assez inexpérimentée pour que je ne sente pas l'énergie que tu es en train de rassembler et qui à l'heure actuelle est en train de s'évaporer comme peau de chagrin ? Je pensais que tu tenais assez à ton amie pour ne pas mettre en péril son sauvetage et prendre quelques risques en me rejoignant.
La pauvre Phoebe pousse des hurlements tandis que les alligators se rapprochent d'elle. J'essaie de garder mon calme et de centrer l'énergie qu'il me reste vers les reptiles mais les cris de Phoebe me rendent toute concentration impossible. Des bruits bizarres retentissent alors derrière moi et en me retournant, je découvre Wren, occupé à parler un étrange dialecte. Les alligators s'arrêtent soudain d'avancer vers Phoebe, ce qui semble énerver Alma au plus haut point.
— Je savais que tu serais là, petit bâtard Obscur des Nightsun ! s'écrie-t-elle. Heureusement que j'ai prévu des renforts...
Elle émet un sifflement bizarre et tout à coup, des serpents jaillissent de l'arbre le plus proche de Wren. Je me souviens alors que les serpents sont les seuls animaux auxquels les Obscurs ne peuvent parler... Ils se jettent sur Wren qui les esquive une première fois mais ils le forcent à se rapprocher de l'eau où les alligators claquent des mâchoires. Alec et Darwin sortent de leur cachette et à eux deux, essayent de faire voler les serpents, hors ces derniers sont comme attirés magnétiquement vers Wren. Lorsque je croise le regard d'Alma, elle jubile comme si ce moment était le plus beau de sa vie.
— Princesse ! J'aurais légèrement besoin de tes superpouvoirs ! me crie Wren alors qu'il n'est plus qu'à quelques centimètres des alligators et des serpents, entièrement cerné.
Je concentre alors mon énergie vers les bestioles hostiles mais un éclair me frappe en pleine poitrine. Projetée au sol, je retombe lourdement et perçois à travers mes yeux mi-clos Elasia qui se penche vers moi.
— Ça va ? fait-elle en me secouant un peu.
Je hoche de la tête, retrouvant rapidement mes esprits et j'ai juste le temps de me retourner pour voir les serpents s'approcher dangereusement du cou de Wren.
— Non ! C'est bon, je viens avec vous ! je hurle à l'attention d'Alma. Dites à vos vipères de partir, je vous suivrais !
Alma affiche un grand sourire et émet un nouveau sifflement qui stoppe les serpents dans leur élan mais bloquent toujours Wren. Alec et Darwin sont à quelques mètres de lui, essayant toujours d'éloigner mentalement les serpents, en vain. Phoebe a réussi à regagner la terre ferme mais dans un coin éloigné du nôtre. Alec lui fait un signe discret de s'enfuir et elle s'exécute sans demander son reste. Elle m'adresse toutefois un regard très clair : "Ne pars pas avec elle ou tu vivras l'enfer".
— Avances-toi dans l'eau, me demande Alma. Je le sentirais si tu tentes quelque chose donc autant te montrer coopérative.
Tout en cherchant un moyen de secours, j'avance à allure d'escargot dans l'eau, redoutant les alligators. Je me demande si je ne pourrais pas créer un tsunami sur la barque d'Alma lorsque la voix d'Elasia résonne :
— Pourquoi m'as-tu faite venir ici ? Juste pour que j'assiste à un échange de jeunes transformées ? Je te connais suffisamment pour imaginer qu'il y a une raison à ma venue. Ne me dis pas que c'était pour me parler ou m'embêter, il y a les lettres pour ça.
Je comprends sans mal qu'elle essaye de nous faire gagner du temps mais comment suis-je censée réunir l'énergie nécessaire à faire quoi que ce soit sans qu'Alma ne s'en rende compte ? Pierre Astrale, je songe soudain. J'en ai toujours une sur moi depuis mes mésaventures à la grotte d'Alma et peut-être ne pourra-t-elle pas détecter cette énergie immédiate... Il faudrait encore que je parvienne à la sortir de ma poche et à la mettre dans ma bouche sans qu'Alma ou ses disciples ne s'en aperçoivent...
— À vrai dire, répond Alma d'une voix traînante, je voulais revoir l'une des clauses de notre pacte...
— Tu oublies que nous avions créé une clause spéciale interdisant tout changement dans le contrat.
Tandis que les deux soeurs conversent d'un pacte dont j'ignore la teneur, je déplace ma main avec ce que j'espère le plus de discrétion possible vers ma poche de jean droite.
— Ce qui fait que je voudrais revoir deux clauses. Celle que tu viens de mentionner et celle concernant l'humaine.
Mon pouce rentré dans ma poche, je fais glisser la Pierre Astrale jusque dans ma main. Je n'ai maintenant plus qu'à l'enfourner le plus vite possible...
— Hors de question, crie Elasia avant qu'Alma n'ait énoncé plus de détails. Peu importe ce que tu veux, je n'accepterai rien concernant ce sujet.
Ne pouvant plus risquer de me faire prendre avec ma pierre à la main, je la mets dans ma bouche d'un geste rapide et ressens immédiatement son énergie se répandre en moi. Je la contrôle en un temps record, toute ma concentration accrochée sur Alma. Sans plus perdre de temps, je laisse la masse d'énergie se projeter vers la Malfaçon qui passe par-dessus bord de sa barque. Wren parle alors aux alligators qui nagent à pleine vitesse vers elle tandis qu'elle coule au fond de l'eau, encore assommée par ma décharge. Si je ne l'ai pas faite exploser, mon intervention a au moins le mérite de la laisser K.O. quelques instants.
Nous nous élançons tous vers la forêt, Wren contournant tant bien que mal les serpents, mais un sifflement retentit en provenance de la silhouette au voile noir, encore perchée sur la barque. Alors le temps semble s'écouler au ralenti sur une scène d'horreur : l'un des serpents plonge vers Wren sans qu'il puisse l'esquiver et plante ses serres en plein dans son cou. Il pousse un cri déchirant et s'effondre à terre, les yeux clos. Alec et moi nous dirigeons en hâte vers son corps. Sans réfléchir, sous la rage et l'horreur, je lance un éclair vers tous les serpents qui se retrouvent à leur tour assommés.
— Wren ! je crie en le secouant. Wren ! Réveilles-toi s'il te plaît !
Je sens les larmes me monter aux yeux en voyant sa morsure béante d'où s'écoule un liquide noir mélangé à du sang. Des veines se dessinent sous sa peau tandis que le venin se répand en lui. Ses paupières restent closes et sa respiration est coupée.
— Ouvre les yeux ! Je t'en prie, Wren !
À côté de moi, Alec ne dit rien, ne prenant comme pas conscience de la réalité. Je tourne la tête vers le lac où Elasia et Darwin contrôlent mentalement des branches d'arbres qu'ils font s'abattre sur la barque et ses occupants. Aucune trace d'Alma.
Mais à l'heure actuelle, la priorité n'est pas Alma ni la personne voilée de noir qui a lancé le serpent sur Wren. Il faut juste sauver Wren.
— Sa Pierre Astrale ! je m'écrie en repensant à celle qu'il garde sous son T-shirt.
Avec des mains tremblantes, j'extirpe son collier où est effectivement suspendue une Pierre Astrale de la couleur de la lune. Je me dépêche de la lui faire manger et il entrouvre faiblement les yeux.
— Princesse ? Alec ? marmonne-t-il.
— On est là, je lui dis d'une voix que j'espère rassurante. Ne t'inquiète pas, ça va s'arranger.
Il tourne les yeux vers Alec qui est toujours prostré, incapable de dire quoi que ce soit.
— Vu sa tête on ne dirait pas, souffle Wren.
— Alec ? je fais en lui secouant le bras. Alec ! Qu'est-ce qu'on doit faire ? Alec !
— Euh les gens, on aurait besoin d'aide par ici aussi ! nous héle Darwin.
En me retournant vers le lac, je constate que la silhouette voilée et les deux autres Malfaçons ont réussi à refaire surface et nagent vers nous. Darwin et Elasia s'épuisent, étant tous les deux des Lumineux, ils ne peuvent recharger leurs batteries avec la nuit noire qui est à présent tombée.
— Ton coup du verre, murmure Wren imaginant sûrement la scène. Si tu réussis à répandre du verre sur tout le lac, ils seront bloqués.
— Ce sont des cobras, intervient soudain Alec d'une voix faible. Leurs morsures sont mortelles si on attend trop et on n'aura pas le temps de l'amener au centre de soins d'Astriad.
Darwin nous rejoint et examine brièvement la blessure de Wren avant d'ouvrir des yeux horrifiés.
— Il lui faut un transfert d'énergie, déclare-t-il après quelques instants. Si on agit vite ça pourrait le guérir.
— Non, souffle Wren. Bloquez ces abrutis dans ce lac, je tiendrais.
— Mais je n'aurais plus d'énergie pour te sauver ! j'objecte en retenant un sanglot.
Alec semble alors se réveiller et fouille furieusement dans la poche de pantalon de son frère. Je sursaute lorsqu'il en sort la Pierre des Astres, irradiant de sa lueur rougeâtre à la lumière de la lune.
— Créé une plaque de verre sur ce lac et tu te serviras de l'énergie de la Pierre des Astres pour sauver Wren, me dit Alec avec confiance, je sais que tu y arriveras.
Voyant que les Malfaçons sont à moins de trois mètres du bord du lac, je concentre l'énergie qui me reste et visualise une plaque de verre recouvrant la surface du Lac des Aurores. Sous le coup de la colère envers cette silhouette voilée qui a jeté le serpent sur Wren, le lac se pare immédiatement d'un verre épais qui coince les Malfaçons sous l'eau. Sans plus attendre, je reviens vers Wren dont la blessure s'est étendue jusqu'à son épaule et son torse en quelques minutes. Je m'empare de la Pierre des Astres sans réfléchir mais la relâche instantanément sous le coup de la brûlure. J'avais oublié que je ne pouvais pas la saisir !
— Ce n'est pas grave, princesse, marmonne Wren. Ne te fais pas de mal pour moi. Je crois qu'une mort au bord d'un lac d'Amazonie n'est pas si terrible...
Sans l'écouter je reprends la Pierre des Astres en main et essaye de repousser la douleur qui se répand dans mon avant-bras. La pierre contient les âmes de tous les Lunatiques exterminés pendant la période où ils étaient considérés comme une menace pour le Peuple des Astres. Si j'arrive à récupérer l'énergie qu'elle contient, je pourrais sauver Wren.
— Non, Luna, m'intime Wren sans se soucier de la discrétion par rapport à Elasia. Arrête. C'est trop tard.
La Pierre des Astres me hurle de la lâcher mais je ne cède pas à la douleur. Wren est de plus en plus faible et je dois absolument me concentrer pour extraire l'énergie. Je fais le vide autour de moi et au lieu d'ignorer la douleur, je la laisse m'envahir dans l'espoir qu'elle se transforme en chaleur. Effectivement, des picotements commencent à me chatouiller les doigts de ma main libre que j'applique sur la blessure de Wren. Il pousse d'abord un grognement avant que les petites veines noires dessinées sous sa peau se dissipent, les unes après les autres. La douleur provoquée par la Pierre des Astres devient à la limite du soutenable et des paillettes s'animent devant mes yeux. Pourtant il faut que je tienne. Le cou de Wren n'est pas encore entièrement cicatrisé et si j'arrête maintenant, tout ça n'aura servi à rien.
— Luna, tu es toute blanche, résonne la voix de Darwin dans mes oreilles. Ça suffit. On a le temps de le ramener à Astriad maintenant.
Or quelque chose me dit de continuer. Que Wren ne sera sorti d'affaire que lorsque sa plaie aura complètement disparu. Vision que je parviens à distinguer derrière ma vue floue juste avant que tout ne devienne noir.
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