Chapitre 41

Je pensais que pour assister à une périlleuse rencontre secrète avec la femme la plus recherchée du Peuple des Astres, la discrétion serait de mise. C'est pour cela que j'ai cru avoir des hallucinations lorsqu'un carrosse argent s'est garé dans la cour des Nightsun, au crépuscule. J'ai été encore plus estomaquée quand Elasia en est sortie, vêtue d'une robe majestueuse de la même couleur que son carrosse. Avec mon jean et mon débardeur à moitié délavé, je me suis sentie horriblement ridicule. Surtout avec mes cheveux aujourd'hui colorés en bleu et mes lentilles jaunes...

Désormais coincée dans ce carrosse entre Alec et Darwin avec Elasia et Wren en face de moi, je me récite mentalement tous les scénarios-catastrophes qui pourraient advenir. Dans tous les cas, ils sont bien plus nombreux que ceux où nous réussissons. Les autres sont occupés à débattre du nombre de Malfaçons que comporte la meute d'Alma. Elasia affirme qu'il ne doit pas y en avoir plus de cent, en raison des progrès qui ont été effectués dans le domaine du "rejet naturel entre Lumineux et Obscurs".

— Les relations interdites sont désormais extrêmement rares à Astriad, affirme-t-elle. Les exécutions ont contrarié grand nombre de personnes à s'intéresser à une autre espèce qu'eux.

Je jurerais sentir Darwin remuer à côté de moi à cette remarque et bien que j'ai les yeux rivés sur mes genoux, je suis persuadée que Wren m'a jeté un coup d'oeil. Un silence s'installe tandis que nous nous dirigeons vers le Lac des Aurores, à travers des chemins de forêt sinueux et quelque peu inquiétants.

— Avez-vous une passion pour les colorations capillaires ? m'interpelle alors la reine.

Je lève la tête et son voile argenté est rivé vers moi. C'est toujours très perturbant de ne jamais savoir quelle tête elle fait...

— Euh... J'aime bien adapter mes cheveux à mon humeur, je bafouille.

Pi-to-yable. Qui est assez fou pour "adapter ses cheveux à son humeur" ? Certainement pas moi.

— Oh ! s'exclame la reine en hochant la tête. Moi aussi il m'arrive d'adapter mes tenues à mes émotions. Quoique ce soit plutôt en fonction des saisons...

Elasia part ensuite dans un laïus sur la mode et les couleurs tendances de chaque saison avant d'interpeler Wren sur le fait qu'il soit souvent vêtu de noir.

— Je trouve que cela me va bien, Votre Majesté, se justifie-t-il en un grognement.

Darwin, réputé pour ses tenues parfois extravagantes s'empresse d'ajouter que lui adore s'habiller de manière grandiloquente pour rien du tout. Cette conversation semble exaspérer Alec au plus haut point, bien qu'il s'applique à esquisser un sourire forcé à chaque fois que la reine le regarde.

— Et toi Alexander, ajoute-t-elle justement, le bleu te va extrêmement bien. Tes yeux n'en sont que plus magnifiques. Le blanc aussi d'ailleurs, contraste sublimement avec ta peau un peu bronzée.

— Je vous remercie, Votre Majesté, articule-t-il. Vous dégagez pour votre part une élégance certaine dans n'importe laquelle de vos tenues.

Quelle mascarade que de nous exprimer de manière si courtoise après un presque affront dans la chambre d'Elasia au palais ! Et puis parler de mode alors que l'heure est si grave... À croire qu'un monde parallèle nous sépare. Heureusement, nous devons être arrivés car le carrosse s'arrête soudainement dans un virage, me plaquant contre Alec, ce qui fait sourire Wren avec malice. Nous descendons tous et nous retrouvons sans surprise en pleine forêt tropicale. Lors de ma rencontre avec Rona, je me suis retrouvée seule au beau milieu de cette forêt et en pleine nuit où les bruits me paraissaient terrifiants. Aujourd'hui, j'ai plus l'impression d'être en safari amazonien avec les cris des singes et le soleil se couchant, presque masqué derrière les arbres... sauf qu'une Malfaçon psychopathe est à quelques mètres.

— Par où est le Lac des Aurores ? je demande, ne voyant aucun lac à l'horizon.

— Il faut que nous continuions à pied vers l'est, me répond Darwin. Je venais souvent ici quand j'étais plus jeune... c'était un magnifique endroit pour trouver de belles filles en maillot de bain.

Alec et moi levons les yeux au ciel tandis que la reine prend la tête de la troupe, remerciant sa garde personnelle.

— Attendez-nous ici, leur ordonne-t-elle. Ne venez en renfort que si je déclenche l'alerte.

Les gardes acquiescent d'un vigoureux hochement de tête sans ajouter quoi que ce soit. Nous avançons donc à travers les arbres, nous éloignant vers l'est. Évoluer entre les arbres sauvages et se prendre les pieds dans des plantes gigantesques que je ne saurais nommer est horriblement dérangeant pour avancer et je me vautre au moins trois fois avant que nous ayons atteint un lieu dégagé, avec un immense lac en son centre. Son eau est aussi trouble que celui dans lequel j'avais plongé lorsque Rona m'y avait fait atterrir. Je croyais qu'il y aurait au moins un semblant de plage mais d'après ce que j'en vois, c'est plus un lieu de baignade que de bronzage, bien que je préfère nager dans une mer infestée de requins plutôt que de plonger un orteil là-dedans. Seul son joli nom sauve cet endroit...

— Wren, Alexander, Darwin, restez cachés, ordonne la reine. Seules Rosa et moi sommes invitées. Ne faites votre entrée que si le besoin s'en présente. Nous cherchons juste à récupérer votre amie et Alma voudra sans doute me parler de je ne sais quoi. Pas d'attaque si elle n'engage pas le combat.

— Quoi ?! nous nous exclamons tous de concert. Ne devons-nous pas tuer Alma ?

Elasia se fige et je suis sûre qu'elle affiche un visage horrifié derrière son voile. Son front, seule partie visible, se plisse imperceptiblement.

— Nous n'avons pas parlé de meurtre pour aujourd'hui, déclare-t-elle comme si c'était une évidence. Nous ne sommes pas prêts pour une telle chose !

— Isa... Rosa le peut, affirme Wren en me désignant. Faites-nous confiance, Votre Majesté.

La reine s'apprête à répliquer mais l'eau du Lac des Aurores se met alors à trembler et les garçons se cachent derrière des arbres touffus le plus vite possible. Elasia et moi guettons un mouvement aux alentours lorsqu'une barque fait soudain son apparition, provenant d'une partie du lac qui nous était invisible. À son bord, deux personnes aux visages mornes ramant pour faire avancer l'embarcation, une autre dissimulée sous un voile noir et Phoebe, apparemment sans blessures. Sans oublier Alma, debout au-devant de sa barque, avec l'allure d'une reine. Lorsqu'ils sont assez près de nous, je vois que les yeux de Phoebe sont vides et rougis, ses traits tirés. Alma rayonne face à Elasia, se délectant de la scène.

— Ravie de voir que tu n'as pas quitté tes tenues extravagantes, chère soeur ! s'exclame Alma tandis que la barque s'immobilise à environ la moitié du lac. Tu comptes vraiment porter ces voiles jusqu'à la fin de tes jours ?

— Ne commence pas tes banalités, rétorque Elasia de sa parfaite voix de cristal. Que veux-tu ? Pourquoi as-tu enlevé cette jeune fille ?

Un grand sourire se dessine sur les lèvres teintées de violet d'Alma lorsque son regard se pose sur moi. Ses prunelles brillent d'un éclat saisissant, et un flash de moi enfermée dans l'un des cachots de sa grotte me revient. La souffrance, la douleur, mes doigts brisés...

— Quel charmant déguisement ! s'écrie-t-elle sans me lâcher des yeux. C'est à peine si l'on te reconnaît... Je crois connaître la raison de cet accoutrement mais moi, ça ne me trompe pas.

— Arrête de divaguer, fait Elasia avec fermeté. Je suppose que tu ne vas pas nous offrir cette jeune fille sans rien réclamer en retour. Autant aller droit au but.

— Mais voyons chère soeur ! Cela fait des années que nous ne nous sommes vues et tu te montres déjà agressive. Comment se porte ton royaume ?

La nonchalance et la bonne humeur apparentes dont fait preuve Alma sont déconcertantes mais ne me trompent pas : sous ses inflexions joyeuses se dissimule un venin de vipère.

— Bien, grince la reine. Je ne te demande pas des nouvelles de ta meute, je n'en ai rien à faire.

Les poings serrés, Elasia semble retenir une rage soudaine. Alma affiche pour sa part un calme parfait.

— Si tu veux te montrer honnête, claironne-t-elle, autant abaisser tes cartes tout de suite. Alexander, Wren ! Vous pouvez vous montrer.

Les Nightsun ne se montrent pas et j'essaye d'afficher un visage serein, comme Elasia qui a desserré ses mains.

— Nous sommes venues seules, affirme la reine. Contrairement à toi qui j'imagine, tient ta meute planquée au détour de ce lac.

— Je te connais, chère soeur, déclare Alma en plissant les yeux. Tu étais la meilleure joueuse de poker de la cour, en notre temps. Sous tes sourires et tes manières divines, tu cachais toujours un coup de maître. Mais passons...

Alma se retourne vers Phoebe qui se pétrifie. Elle me lance des coups d'oeils alarmés avant qu'au bout de quelques secondes, Alma se détourne enfin. 

— Tout ce que je demande, en échange de cette délicieuse jeune fille, finit-elle par lancer, c'est cette autre ravissante demoiselle.

Elle me désigne d'un brutal signe de la main et mon sang se glace. Elasia ne bronche pas mais j'entends de l'agitation dans les arbres derrière nous.

— Pourquoi t'intéresses-tu à elle ? questionne la reine. Elle n'a rien de spécial.

Alma part d'un rire tonitruant qui réduirait celui de Wren à un couinement de souris. Elle se tient les côtes tant qu'elle peut, pareille à si elle assistait à un spectacle humoristique très divertissant. Cette fois, Elasia se retourne brièvement vers moi tandis que la personne vêtue d'un voile noir aux côtés d'Alma glisse quelque chose à l'oreille de la diabolique Malfaçon.

— J'avais bien compris, répond Alma à la silhouette sans prendre la peine de baisser la voix.

Elle se tourne une nouvelle fois vers moi, étincelante.

— Bref, jeune demoiselle avances-toi vers le bord de l'eau et je jetterais Phoebe dans le lac. Elle se débrouillera pour nager et elle sera libre.

Je fais ce qu'elle m'ordonne, non pas dans l'intention de me rendre mais me disant qu'il me sera plus facile d'opérer mon "explosion" à courte distance. Mais Elasia me retient par l'épaule, m'empêchant de faire un pas de plus.

— Autre chose avant cela, intervient Sa Majesté avec des trémolos dans la voix pour la première fois depuis le début de la rencontre.

Son voile est toujours orienté vers Alma, caressé par un vent léger.

— Dis-moi d'abord comment va Luna-Rose.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top