Chapitre 40

Mauvaise nouvelle, mauvaise nouvelle... Nous avons surestimé les talents de Darwin qui n'a finalement aucune étrangeté parmi les produits de sa boutique capable de stopper Alma, même temporairement. Wren est donc persuadé qu'avec mes pouvoirs de Lunatique, c'est moi qui détiens la clé capable de neutraliser Alma. Je m'entraîne comme je peux à faire exploser des objets mais les résultats ne sont pas très satisfaisants. Selon Wren, je manque clairement de volonté et je ne déploie pas "l'ampleur de ma force". À vrai dire, je compte plutôt sur les recherches d'Alec sur les pierres précieuses mais d'après ce que j'en sais, lui non plus n'avance guère... or il ne nous reste même pas quarante-huit heures pour être au point.

J'ai fini par avouer à Wren ma rencontre avec Rona et lui ai parlé de l'escalier de verre que j'ai conçu. J'ai eu beau faire tous les efforts possibles pour créer une cage de verre ou quelque chose de la sorte pour emprisonner Alma, je n'ai réussi qu'à faire sauter un vase en mille morceaux. Pour rajouter à nos problèmes, Karlie ne pourra pas venir avec nous au lac des Aurores demain soir en raison d'un conseil des ministres de la plus haute importance. Wren lui a suggéré avec nonchalance de démissionner, ce qui a horrifié Karlie.

— Tu ne t'imagines pas à quel point ce poste compte pour moi ! lui a-t-elle vociféré.

— Plus que l'idée de vaincre la pire méchante de tous les temps ? lui a rétorqué Wren.

Ce à quoi elle n'a rien répondu, prétextant devoir partir à cause de ses "obligations".

— Alors, des progrès ? m'interroge Wren depuis l'entrée de la pièce où je m'entraîne, me sortant de mes pensées.

Son objectif est que je fasse littéralement exploser Alma en milliers de petites particules qui ne pourraient pas se régénérer. Non vous ne rêvez pas, moi aussi je trouve ça très gore.

— J'arrive à briser des verres et des assiettes mais à l'échelle d'Alma ce n'est pas grand-chose.

Et encore ces verres et ces assiettes ne sont que cassés en deux avant de s'écraser en petits morceaux sur le sol, ce qui n'est pas mon oeuvre mais la cause de la simple fragilité de la porcelaine.

— Ouais, marmonne Wren. Je vais appeler un singe de la forêt, histoire que tu t'exerces sur un truc plus réel.

— Hors de question ! je proteste en ouvrant de grands yeux. Je serais incapable de faire exploser un pauvre petit singe.

Wren lève les yeux au plafond et s'avance dans la pièce jusqu'à se mettre à quelques mètres de moi, dos au mur, les bras croisés contre son torse.

— Dans ce cas, fais-moi exploser, moi.

— Tu es malade ?!

Il a l'air parfaitement sérieux. Pas de sourire narquois ni de rictus insupportable.

— Je ne vois pas pourquoi tu serais gênée de me faire sauter en mille morceaux, déclare-t-il d'un ton sûr. Je n'aurais pas une grande utilité contre Alma et tu ne me portes pas dans ton coeur, après tout.

Il est exaspérant. Toujours à faire des sous-entendus pour que je lui avoue je ne sais quoi ou à me répéter tantôt que je le déteste tantôt que je ne le déteste pas assez.

— Arrête avec tes petits jeux, je lui réponds en essayant de contenir mon agressivité, en vain. Ce n'est pas le moment de recommencer à jouer à ça.

— Jouer à quoi, princesse ?

Toujours aucun sourire, ce qui est encore pire que s'il avait éclaté de rire.

— Faire comme si j'avais une grande déclaration d'amour à te faire, je lâche malgré moi.

— Je ne vois pas ce que tu veux dire.

— Chaque fois que nous nous retrouvons seuls, tous les deux, la conversation prend une tournure bizarre. Je ne suis pas une de ces adolescentes qui craque sur le premier venu et ce n'est pas parce que personne ne t'a résisté jusque-là que je vais me pendre à ton cou sans réfléchir. Et on s'est peut-être embrassés au bal d'automne mais... ça ne veut rien dire.

Bluffe. Mensonge. Balivernes. Néanmoins, ma remarque a l'effet de le surprendre.

— Donc tu es train de me dire que je suis le seul à avoir ressenti ce qui s'est passé pendant que nous dansions ? fait-il d'une voix plus vulnérable qui le rend encore plus sexy tout en se rapprochant de moi. Cette attirance, cette attraction, cette tension... Tout ça venait donc de mon inépuisable imagination ?

Je recule machinalement d'un pas mais ça ne l'arrête pas.

— Cette intensité avec laquelle tu m'as regardé juste avant que l'on s'embrasse, ce besoin brûlant de poser mes lèvres sur les tiennes et cette passion quand tu as glissé tes mains dans mes cheveux... Tout ça, ne venait que de moi ?

Sa voix ne s'est faite plus que murmure et je suis maintenant coincée entre le mur et lui à un mètre de moi. Je pourrais me décaler vers la gauche ou la droite pour lui échapper mais comme les autres fois, je ne fais rien. Si c'est ce foutu magnétisme...

— Tout ce que je veux, termine-t-il tout bas en faisant un pas vers moi, c'est que tu sois honnête non seulement avec moi, mais aussi avec toi. Je ne te demande pas un "je t'aime" cliché des comédies romantiques car nous n'en sommes pas encore là. Je veux juste que tu reconnaisses qu'il se passe quelque chose entre nous.

Ne regarde pas ses yeux, ne regarde pas ses yeux, me dicte la voix de la raison. Si je regarde ses yeux uniques et magnifiques, je vais replonger et il aura gagné. Je baisse donc le regard vers sa bouche... ce qui est encore pire.

— Je n'en suis pas encore sûre, je parviens à avouer d'une voix sans tremblements dont je me félicite.

Je secoue la tête dans un effort pour rester pleinement éveillée.

— Wren, ce n'est pas le moment de s'engager dans une relation ou...

— Parce que tu crois que je veux "une relation" ? m'interrompt-il en s'éloignant brusquement de moi comme si je l'avais insulté. Tu n'as pas encore compris que je ne suis pas le genre de mec qui s'engage avec une fille pour faire le gentil toutou avec elle ? Celui qui va se montrer avec sa "copine" en public en lui tenant gentiment la main ?

Je dois faire une tête bizarre car il se braque encore plus.

— Et ne fais pas la sainte-nitouche non plus, princesse. Tu étais attirée par Alec quand il était en mode "bad boy" et depuis qu'il est redevenu un gentil petit agneau, il te fait moins d'effet, avoue-le.

Je ne dis rien mais il sait que je sais qu'il a raison.

—Toi non plus tu ne cherches pas la stabilité, poursuit-il avec une intensité rare, tu veux de la passion et te sentir vibrer à chaque fois que celui que tu aimes te frôle. Tu veux que chaque baiser soit aussi enflammé que le nôtre lors de ce bal. 

Je voudrais lui hurler qu'il se trompe et qu'il ne balance que des idioties mais je n'ai peut-être jamais entendu quelque chose d'aussi vrai à mon sujet. Il a compris qui j'étais avant que je ne le comprenne moi-même. Néanmoins, je ne me laisse pas entièrement démonter :

— Nous avons une diabolique Malfaçon à éliminer et ma meilleure amie à sauver donc je crois nous pourrons reprendre nos gamineries plus tard. Tu veux te faire passer pour un gros dur mais tu préfères jouer les romantiques au lieu de m'aider à améliorer mes pouvoirs. Tu n'as qu'à me trouver une peluche ou quelque chose dans ce genre pour que je la fasse exploser.

Cette fois, il renfile son masque d'amusement perpétuel et m'adresse son sourire en coin.

— Comme tu veux, princesse. Tu as raison, de toute façon nous tournons en rond, affirme-t-il avec sarcasmes. Mais crois-moi, il sera encore moins temps de reprendre cette conversation une fois que tu sauras tout sur tes origines et tout le tralala.

— Oh mais arrête de faire tout un mystère de cette histoire ! je m'énerve en levant les bras. Ça t'amuse à ce point de jouer avec les nerfs des gens ? À croire que je viens d'une autre planète et que des aliens m'ont déposée devant la porte de mes parents quand j'étais bébé !

Une drôle d'étincelle passe dans son regard et je me demande pendant un instant si je n'ai pas découvert la vérité.

— Je ne sais pas s'il serait mieux pour toi que tu viennes d'une colonie de petits hommes verts ou que tu sois ce que tu es vraiment, s'amuse-t-il en s'approchant de la sortie de la pièce. Bref, je vais te chercher un des ours en peluche du petit Alec. J'espère qu'il ne m'en voudra pas...

Bienheureuse qu'il s'en aille, je me laisse glisser contre le mur, épuisée. Entre mes efforts pour déclencher mes pouvoirs et les affronts avec Wren, la migraine commence à me gagner.

Si vous voulez tout savoir, je ne sais pas ce que je ressens pour Wren. Un coup j'ai envie de lui arracher la tête et de lui ôter son insupportable sourire satisfait et la seconde d'après, c'est limite si je ne voudrais pas lui sauter dessus. Et je me déteste pour cela. J'adopte le comportement d'une adolescente clichée qui ne sait jamais si elle fond pour le mec sexy qui a tué sa meilleure amie ou si elle préfère son frère plus calme, bien moins dangereux, et très mignon aussi. Plus que mignon même.

Mais je dois reconnaître que la relation que j'entretiens avec Alec est très différente de celle que j'ai avec Wren. Au final, je ne les connais que depuis quelques mois et pourquoi je me prends la tête à me dire que je vais forcément tomber amoureuse de l'un d'eux ? Parce que tu es plus vulnérable que tu ne l'as jamais été et que, quoi que tu en dises, tu ne contrôles plus du tout la situation. Je me dis que je réfléchis bien trop lorsque Wren fait son retour, un immense lapin en peluche dans les bras.

— Je te présente Smoothie, annonce-t-il. Cadeau de Karlie fait à notre cher Alec lorsqu'ils avaient treize ans. Eh oui, il n'y a pas plus tard que trois ans, ces pauvres enfants s'offraient encore des peluches... Tu comprends l'origine de mon instabilité, entouré de ce genre de personne...

Il place Smoothie devant moi, au centre de la pièce, et je me dis que je ne pourrais jamais faire sauter ce pauvre petit lapinou qui me regarde avec ses grands yeux joyeux. Ses oreilles grises tombantes le rende encore plus choupinou.

— Eh princesse ! me réveille Wren. Tu ne vas pas rechigner pour ce misérable lapin en peluche alors que la seule autre alternative est un singe ou moi.

Je manque de lui rétorquer que s'il continue, je risque bien de le faire exploser en milliers de particules mais je me retiens avant que nous ne repartions dans nos exaspérantes conversations pseudo existentielles. Je rassemble donc toute l'énergie que je peux et l'imagine regroupée au centre de ce lapin. Je la laisse enfler du mieux que je peux et lorsqu'elle me semble avoir atteint son ébullition maximum, je relâche la pression d'un seul coup... et la peluche reste intacte.

— Hum, fait Wren faussement songeur, comment te dire que si tu galères à répandre la bourre synthétique de Smoothie dans toute la pièce, tu risques de rencontrer quelques problèmes en brisant les os d'Alma...

Je l'ignore et me reconcentre plutôt sur Smoothie. J'ai relâché la pression alors que peut-être qu'il vaudrait mieux la contrôler jusqu'au bout. Je retente l'expérience et cette fois, Smoothie se retrouve éventré, mais pas décomposé.

— Il y a du progrès, constate Wren. Mets-toi plus en colère. Imagine que Smoothie est Alma... ou moi.

— Arrête de tout ramener à ta petite personne !

— OK, OK, j'arrête, tempère-t-il en levant les mains. Visualise Alma.

Je ferme les yeux pour ne plus avoir ceux de l'adorable Smoothie en face de moi et visualise ceux d'Alma. Glaçants. Haineux. Précisément, je me rappelle la flamme qui y a brûlé lorsqu'elle m'a brisé tous les doigts. Et son rire hystérique lorsque Wren lui a tiré dessus, sans effet. Je ressens alors une puissante vague de chaleur que je parviens tout juste à contrôler jusqu'à la placer dans la peluche. Je l'imagine réduisant en miettes Alma... ou plutôt Smoothie et un bruit sourd me faire rouvrir les yeux. La bourre de Smoothie s'est répandue partout dans la pièce, même dans les cheveux de Wren. Plus aucune partie complète de la peluche en vue...

— J'avoue que je suis impressionné, princesse, déclare-t-il en s'ébouriffant. Si tu arrives à reproduire la même chose, en encore plus fort, lors de l'affrontement de demain, nous avons toutes nos chances.

Vu comme ça, c'était un jeu d'enfant. Or j'ai bien vu suffisamment de films et lu suffisamment de livres pour savoir que tout se passe rarement comme les héros l'espèrent. Surtout quand la soi-disant héroïne n'est pas totalement sûre d'elle...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top