— C'est quoi cette histoire de vidéos surveillances ? je m'exclame dès que la reine claque la porte. Qu'est-ce que vous me cachez encore ?

Alec et Wren n'en mènent clairement pas large. Elasia a évoqué des vidéos surveillances me concernant et cela ne m'a pas échappé. J'espère que les deux frères vont me fournir une bonne explication...

— On ne te cache rien du tout, rétorque Wren avec assurance. La reine a bluffé pour nous déstabiliser.

À la tête d'Alec, il n'est pas difficile de comprendre que Wren dit n'importe quoi.

— Arrêtez de me prendre pour une idiote. Ce n'est pas parce que j'ai eu un comportement pire que puérile en allant chez Carlton avec Phoebe que vous devez continuer à me considérer comme une gamine.

— Pourtant tu n'as que seize ans, réplique Wren. On ne peut pas dire qu'on soit en pleine conscience des choses à cet âge.

— Et toi que dix-huit ! je m'énerve en me sentant devenir rouge de fureur. Tu n'es pas non plus en posture de donner des leçons.

À vrai dire, Wren fait bien plus que son âge... Il n'a pas le profil juvénile d'un garçon sortant du lycée mais celui beaucoup plus sexy et charismatique d'un guerrier. OK, je vais un peu loin mais c'est l'impression que j'ai.

— Comme je l'ai déjà dit à Alec-chéri, deux années font parfois la différence.

— Arrêtons de contourner le sujet ! je m'écrie. S'il y a quoi que ce soit de compromettant pour moi sur ces vidéos, je veux le savoir ! J'imagine que ça doit dater de l'été dernier et je n'ai pas fait des choses très saines à cette période.

Alec et Wren se concertent du regard jusqu'à ce qu'Alec prenne une grande inspiration et une mine défaite.

— Ce n'est pas toi, le problème sur ces vidéos. C'est moi.

J'ouvre de grands yeux et attends qu'il se décide à poursuivre. Wren ouvre la bouche mais Alec reprend avant lui.

— Pendant cet été passé avec toi à Miami, tu n'es pas sans savoir que j'étais sous l'emprise de la Malédiction des Astres. Nous étions le plus souvent dans un hôtel, comme je l'ai écrit dans mon journal de bord. Et il y avait des caméras de surveillance dans les couloirs. Après t'avoir mordue lors de cette soirée où tu étais complètement ivre, le lendemain, Wren a débarqué sans que ni lui ni moi ne sachions comment il m'avait trouvé. Il ne l'a pas écrit dans son journal et je n'ai moi non plus rien écrit à ce sujet. Bref, Wren est venu nous rendre visite.

Je veux bien le croire sauf que je n'ai absolument aucun souvenir de Wren avant notre première rencontre à la bibliothèque de la villa. Manipulation de pensées ? Il n'y a qu'un pas.

— Lorsque je me suis rendu compte que je t'avais mordu, continue Alec, j'ai d'abord pris les choses avec légèreté, comme je l'ai fait pendant tout cet été. Puis j'ai commencé à paniquer. Je ne voulais plus rien avoir à faire avec toi une fois que tu serais rentrée à Los Angeles mais une partie de moi me disait que je ne serais jamais tranquille avec une transformée qui risquait de réapparaître à n'importe quel moment. Alors j'ai voulu te tuer. Pour en finir.

Il n'ose même pas me regarder en face tant il paraît avoir honte de ce moment.

— Heureusement, c'est ce jour-là que Wren a choisi pour montrer son nez. Il a manipulé mes émotions pour m'obliger à ne pas te faire de mal.

— Attends, quoi ? Manipulé tes émotions ? je me surprends. Je croyais que les pouvoirs des Obscurs et des Lumineux étaient uniquement actifs sur les humains. Comment est-ce possible ?

S'il y a bien une règle que j'ai retenue, c'est celle-ci. J'avoue que j'avais peur que Wren ressente mes émotions et qu'il me charrie avec ça. Son arrogance est déjà bien assez fatigante sans qu'il puisse savoir tout ce que je ressens.

— C'est là que je te dévoile l'un de mes grands secrets de bad boy ténébreux et mystérieux, intervient Wren avec un sourire. Tu as remarqué ce qu'il s'est produit avec la reine, tout à l'heure ?

En effet. Un instant elle criait à ma vue et celui d'après elle était redevenue normale. J'avais compris que ça venait de Wren mais...

— J'ai brouillé ses émotions, déclare-t-il avec une pointe de fierté. Je tenais encore à ce qu'elle ne connaisse pas ton vrai visage donc j'ai manipulé ses émotions pour qu'elle ne ressente que de l'indifférence à ton égard. C'est l'une de mes capacités extraordinaires inexpliquées.

Je dois vraiment faire une tête d'ébahie car il part d'un grand rire franc.

— Avant que tu ne me demandes si j'ai abusé de ce pouvoir sur toi, sache que je ne peux m'en servir que lorsqu'il fait nuit et uniquement de façon occasionnelle. Ce n'est pas un don déclaré au Peuple des Astres donc autant te dire que j'ai intérêt à ne pas m'en servir à tout bout de champ.

Quand est-ce que je cesserais de découvrir chaque jour de nouvelles choses sur le monde magique ?! Voilà que je vais être encore moins tranquille en présence de Wren.

— Pour en revenir à l'été dernier, reprend Alec voyant que je suis horriblement choquée par la révélation de Wren, il t'a fait tout oublier de lui et de mes envies de meurtre à ton encontre. Tu étais encore humaine donc ça a marché.

Comme je voudrais retrouver ces souvenirs ! Savoir qu'une partie de ma vie — même infime — a été effacée est tout simplement horrible.

— Sauf que ma dispute avec Wren au sujet de si je devais te garder en vie ou pas a été filmée et la reine a en sa possession une copie de la vidéo, marmonne Alec avec agacement. Je ne sais pas comment elle s'est retrouvée avec mais je soupçonne ma mère de m'avoir fait suivre.

Si on résume, Wren m'a sauvée. Je devrais lui sauter au cou mais c'était pendant la Malédiction des Astres. Autrement dit, on ne sait pas s'il aurait agit de la même manière dans son état normal.

— La reine m'a menacé de montrer cette vidéo à tout le Peuple des Astres pour compromettre ma réputation. Mais tu étais aussi sur cette vidéo et...

— Ivre morte, complète Wren.

Je voudrais ne jamais avoir été assez stupide au point de m'enfiler autant de vodka et de bière. Surtout que je n'avais aucune excuse.

— Je ne voulais pas que ça dégrade ton image si jamais tu devenais membre du Peuple des Astres. C'est pour ça que j'étais mal lorsque j'ai passé un marché avec Elasia pour protéger la couronne royale.

— Or elle est détruite, je constate.

Afin de récupérer le joyau pour actionner le sort pour retrouver Alma, Wren avait été obligé de briser la couronne en mille morceaux. Si j'avais tout su de cette histoire, je lui aurais demandé d'être plus précautionneux...

— Sauf que maintenant, c'est moi qui fais chanter Elasia, rappelle Wren avec amusement. Elle a vraiment besoin de la chose que je sais où trouver et croyez-moi, elle se liguera de notre côté même si sa sublime couronne n'existe plus.

— Tu ne voudrais pas arrêter tes cachotteries et nous donner plus de détails sur ce marché passé avec Elasia ? je soupire, excédée par tous ces mystères. C'est déjà assez compliqué comme ça...

Wren prend son sourire énigmatique habituel qui me tape vraiment sur les nerfs. Il est décidément une énigme à lui tout seul.

— Ça ne nous aidera pas à avancer, argue-t-il. Je ferais mieux d'aller demander à Darwin s'il a le moyen de neutraliser Alma pour au moins quelques secondes.

Il ouvre alors la porte et je me précipite derrière lui, sauf qu'il me la referme au nez en précisant :

— Toi, tu es assignée à résidence, jusqu'à nouvel ordre.

— Et pour une fois, je suis de son avis, confirme Alec devant mon regard désespéré. Alma pourrait retenter un enlèvement donc il vaut mieux éviter les risques.

Je soupire et repars vers l'escalier tandis qu'au-dehors, j'entends la voiture de Wren démarrer. Je n'ai pas monté dix marches qu'Alec me lance d'un ton hésitant :

— Luna ? Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu voulais aller en ville ? Je sais que tu crois que j'étais en colère contre toi à cause de ce qui s'est produit au bal entre Wren et toi mais... Ce n'est pas à toi que j'en voulais.

Il est si désolé que je me retiens de descendre lui faire un gros câlin.

— Ne rejette pas toute la faute sur Wren, je souffle malgré moi. Il ne m'a absolument pas forcé à faire quoi que ce soit et...

J'hésite alors à lui dévoiler toute la vérité sur mon "magnétisme". Après tout, Alec m'a fait le même effet l'été dernier et autant ne pas mettre davantage d'amertume entre les deux frères en faisant comprendre à Alec que je suis plus responsable que Wren dans ce baiser.

— Ne le défends pas, me répond-il avant que je puisse ajouter quoi que ce soit. Cela fait longtemps que je ne devrais plus être surpris lorsque Wren me déçoit.

Son expression s'assombrit et il se passe la main dans ses cheveux impeccablement coiffés.

— De toute façon, quand toute cette histoire avec Alma sera réglée, je ne veux plus rien avoir à faire avec lui. Tu es la première personne que je mets au courant mais j'envisage de quitter Astriad... Tu pourrais me suivre, si tu le voulais.

Il rougit, comme à son habitude.

— Je ne te laisserais bien sûr pas si tu as des problèmes avec tes pouvoirs ou si tu dois être seule avec Wren.

— À vrai dire, je commence en me triturant les mains, je pensais revenir en Californie, avec ma famille, une fois tout ça terminé.

Je dis cela mais j'avoue que j'imagine difficilement ma vie sans Alec, Wren, Phoebe et Karlie. Tout comme je ne vois pas ce que je deviendrais si je devais rester éloignée de mes parents encore des mois. Est-il seulement possible de réunir ces deux vies ?

— À ce propos, balbutie Alec en se grattant la tête, les effets de la manipulation mentale que j'ai effectuée sur eux ont des limites... Ils vont finir par se poser des questions s'ils constatent que ton absence est très longue, malgré la manipulation. Sans parler des gens du lycée sur qui l'effet est moins puissant. Tu vas être obligée de choisir entre revenir à leurs côtés ou... les abandonner pour toujours.

— Quoi ?! je m'écrie. Mais jamais je ne pourrais les quitter pour l'éternité !

Rien qu'à cette idée, les larmes me montent aux yeux. Une vie sans revoir mes parents ? Autant mourir.

— C'est pourtant ce qui pourrait se passer, murmure Alec. Leur faire croire que tu es morte pour qu'ils reprennent leur vie.

Encore plus horrible. Comment je pourrais leur faire subir une chose pareille ?!

— Ou t'effacer de la mémoire de tous les gens qui t'ont connu, ajoute Alec encore plus bas. Ça prendrait du temps mais personne ne souffrirait... sauf toi.

Il se détourne en triturant ses mains.

— C'est pour ça que je me sens débile de t'avoir proposé de me suivre... Évidemment que tu retourneras auprès de ta famille. Désolé... Je ne suis qu'un imbécile.

Imaginer mes parents sans aucun souvenir de moi et les voir me considérer comme une étrangère a fini de faire couler mes larmes. Heureusement que je suis éloignée d'Alec et qu'il fait assez sombre pour qu'il ne me voit pas comme ça.

— Non, ce n'est rien, je le rassure d'une voix peu convaincante. Merci de m'avoir fait prendre conscience de la situation. Je reviendrais avec ma famille dès que possible mais ça n'empêche pas que nous pourrons rester en contact.

J'essuie mes larmes en remontant les escaliers de marbre tandis qu'Alec me souhaite une bonne nuit. Pourtant, dès le seuil de ma chambre franchi, j'éclate en sanglots incontrôlables. Je vais bientôt être confrontée à un choix qui pourrait sembler facile, mais une voix au fond de moi me murmure que la décision ne m'appartiendra peut-être pas. Nous n'avons pas encore vaincu Alma.