Chapitre 38
— Je critiquais notre chère mère lorsqu'elle affirmait qu'il était impossible de faire confiance aux adolescents d'aujourd'hui, s'exclame Wren, mais je crois que pour cette fois, je vais lui donner raison !
Des heures que je tente par tous les moyens de me justifier, en vain. Alec et Wren ne cessent de me faire la morale sur ma stupidité, et je dois avouer que je suis entièrement d'accord avec eux. C'est vrai après tout, comment ai-je pu être bête au point de m'aventurer seule avec Phoebe au beau milieu d'Astriad, alors que nous savions très bien qu'Alma et sa meute rôdaient dans les parages ? Je me sens si coupable et débile que des vagues violentes d'énergie montent en moi sans que je puisse les libérer. Heureusement, je n'ai pas dévoilé le véritable motif de ma visite chez Carlton à Alec et Wren : ils me feraient enfermer dans une de leurs caves. Plus j'y pense, plus je prends conscience que prendre autant de risques pour une simple histoire de baisers est la sûrement la chose la plus puérile que j'ai faite de ma vie. Mais quelle gamine !
— Je sais que je n'ai pas toujours été cool avec toi et tes amies, reprend Wren, mais je t'aurais volontiers accompagnée chez Carlton si tu m'avais dit que tu souffrais de migraines !
C'est la seule excuse que j'ai trouvée et je remercierais Carlton toute ma vie de ne pas avoir révélé la vérité aux garçons lorsqu'ils nous ont rejoints chez lui. Dès le dernier mot du message délivré par Alma lu, j'ai remonté précipitamment l'échelle de l'arbre de Carlton et lui ai expliqué en panique la situation. J'ai ensuite prévenu Alec et Wren qui ont débarqué en hâte. Ils ont attendu que nous soyons rentrés à la villa Nightsun pour me faire le pire sermon de ma vie. Même mes parents ne m'avaient pas fâchée à ce point quand j'avais ajouté ma touche personnelle à l'une des oeuvres d'art de mon salon.
— Je ne vous avais pas vu depuis deux jours ! je rétorque. Vous m'évitiez tous les deux depuis le bal.
Contrairement à ce que j'aurais pu croire, c'est Wren qui se montre le plus énervé et en colère. Alec l'est aussi, mais moins envers moi qu'envers lui...
— Tu me vois triste de constater que tu ne me comptais plus parmi tes soutiens, dit ce dernier d'un air mélancolique, tourné depuis le début de la conversation vers la fenêtre de l'un des petits salons.
— Mais arrête avec tes niaiseries, petit frère ! s'énerve Wren en levant les yeux au plafond. La princesse n'en a fait qu'à sa tête et tu ne penses qu'à jouer tes poètes romantiques.
Avachi en travers d'un fauteuil, un verre à la main, il ne trompe personne avec sa soi-disant position décontractée. Il semble être sous électricité.
— Oh tu peux parler ! s'agace à son tour Alec en nous faisant face. Si tu n'avais pas fait tout ce cirque au bal d'automne, nous n'en serions pas là.
— De quel cirque tu parles au juste ? le confronte Wren. Celui qui nous a permis de rallier Elasia à nous, ou le moment où j'ai embrassé la Lunatique ? Car si tu es en pleine crise de jalousie, autant mettre les choses à plat !
Alec devient alors rouge de rage et j'appréhende les prochaines secondes...
— J'aurais bien voulu des explications mais tu es resté enfermé dans ta chambre comme un lâche, réplique-t-il. J'ai frappé à la porte pendant des heures sans que tu ne daignes ouvrir.
— J'avais besoin d'être au calme, répond simplement Wren.
— Non mais je rêve ! s'écrie Alec. On venait d'apprendre qu'Alma était à Astriad et tout ce que tu as trouvé à faire c'est rester dans ta chambre pour "être au calme" ?!
— Quoi que tu puisses dire, se défend Wren, il ne serait rien arrivé à Phoebe si tu avais eu l'intelligence de ne pas jouer les vexés avec la princesse. Vous n'avez pas encore de contrat de mariage que je sache !
— Et depuis quand est-ce que le sort de Phoebe t'intéresse ? rétorque Alec. C'est toi qui l'as mordue, après tout.
— Bon stop ! je déclare d'une voix forte pour mettre un terme à cette cacophonie. J'ai voulu jouer les intrépides et voilà où nous en sommes : Phoebe est entre les mains d'Alma ! J'aurais décidément tué toutes mes amies !
Sur ce, je fonds en larmes, écrasée par le poids de la situation. Si on résume, Alexia et Phoebe sont mortes à cause de mes batifolages de l'été dernier avec Alec. C'est peut-être moins clair pour Alexia que pour Phoebe, mais il est parfaitement sûr que j'ai condamné cette dernière avec mes "faux problèmes" soi-disant urgents.
— Princesse, marmonne Wren d'un ton qui se veut réconfortant. Ce n'est pas le moment de craquer.
— Phoebe n'est pas morte, Luna, ajoute Alec avec une empathie plus visible. On trouvera le moyen de la sauver.
— Mais elle est avec Alma et ses abruties de Malfaçons ! Personne ne leur survit.
— Si, me contredit Wren, toi tu as survécu.
— Parce que vous êtes intervenus. Autrement je serais morte dans ce cachot miteux.
Alors qu'Alec ouvre la bouche pour me trouver je ne sais quel argument, une sonnerie identique à celle qui avait précédé la première arrivée de Darwin retenti dans toute la maison. Je sèche vite mes larmes tandis qu'Alec sort du petit salon, Wren et moi sur les talons. Lorsqu'il ouvre la porte d'entrée, je sursaute en découvrant une silhouette de voiles vert pomme. Alec et Wren improvisent une révérence devant la reine Elasia mais celle-ci s'engouffre dans l'entrée avec de vagues signes de la main pour qu'ils cessent leurs cérémonies.
— Allons, je ne suis pas en visite officielle, claironne la reine. Seule ma garde rapprochée sait que je suis là. Si quelqu'un me voit...
— N'ayez aucune crainte, Votre Majesté, minaude Wren. Notre demeure est si reculée que nul ne vient s'aventurer dans les parages.
Elasia acquiesce dans un mouvement de voile et prend une grande inspiration théâtrale avant de démarrer :
— Avant que vous ne m'assailliez de paroles, sachez que je suis au courant pour votre amie. Ma chère soeur m'a envoyé une carte m'annonçant ses exploits et m'indiquant que je devais me rendre au lac des Aurores après-demain. Je suppose que vous avez reçu la même consigne... Que comptez-vous faire ?
— Nous irons chercher Phoebe, j'interviens avant les autres. Je ne la laisserais pas avec Alma.
La reine semble alors remarquer ma présence et sa silhouette se tourne vers moi. Elle se fige d'un coup et pousse une exclamation. Je me demande alors si je n'ai pas une araignée en plein milieu de la figure et je suis soudain envahie d'une sensation très étrange : des grésillements comme ceux d'une vieille radio me parviennent et l'atmosphère devient littéralement électrique. Tout cesse l'instant d'après et la reine secoue la tête comme pour se réveiller. Je jette un oeil à Alec et à Wren en quête d'une explication et je comprends au regard noir qu'Alec lance à son frère que l'incident est l'oeuvre de ce dernier.
— C'est bien beau de vouloir jouer les sauveurs, reprend la reine comme si elle n'avait pas crié à ma vue quelques secondes plus tôt, mais Alma et ses Malfaçons ne sont pas à prendre à la légère. Ce ne sont pas nous quatre qui parviendrons à la vaincre même si monsieur Saphir et la ministre McField se joignent à nous. Et ne me demandez pas de lever mon armée, personne n'est au courant de ma correspondance avec ma soeur.
— À vrai dire, je commence, vous devez savoir, Votre Majesté, que je suis...
— Qu'elle a des capacités au-dessus de la moyenne, me coupe Wren en haussant la voix. Rosa a été mordue par Alec et les dons qu'elle a développés sont étonnants pour son stade d'évolution. Elle pourra nous être d'une certaine aide contre Alma.
— Alors c'est à cause d'elle que notre pauvre Alec a succombé à la tentation de la morsure ! s'esclaffe Elasia. Ne fais pas cette tête mon pauvre chéri, j'ai essayé de te faire chanter avec ça pour protéger ma couronne mais je n'avais pas vu ces vidéos surveillance. J'aurais reconnu cette fille sinon !
— Quelles vidéos surveillance ? je questionne avec inquiétude.
— Ah parce que en plus elle ne sait rien ?! s'amuse Elasia en levant les bras avec grâce. Elle a le droit de savoir que...
— On verra ça plus tard, balbutie Alec en rougissant jusqu'aux oreilles.
— Tout à fait, confirme Wren ce qui paraît étonner Alec. Veuillez m'excuser, Votre Majesté, mais il me semble peu judicieux d'aborder ce sujet avec vous au risque de vous importuner. Revenons plutôt à Alma.
Elasia n'insiste pas mais Alec reste au comble de la gêne. Quant à moi, je n'ai clairement rien compris.
— Si vous voulez, concède la reine. Il faut néanmoins que vous compreniez que ce n'est pas une jeune fille nouvellement transformée avec quelques petits pouvoirs supplémentaires qui va vaincre ma soeur.
— Vous pourriez réunir un cercle fiable susceptible de nous aider, suggère Wren. Vous n'allez pas me dire que vous ne connaissez pas des gens dignes de confiance qui accepteraient de coopérer sans poser des milliers de questions.
— Dans quel monde vis-tu ? réplique Sa Majesté avec vivacité. Les gens m'obligeraient à abdiquer s'ils apprenaient qu'Alma ne m'était pas si introuvable que ça.
— Qui serait votre successeur, d'ailleurs ? je demande sans pouvoir contenir ma curiosité.
Je me suis déjà posé cette question étant donné qu'Elasia n'a pas d'enfants. Des cousins peut-être...
— Je vois qu'Alec et Wren ne vous ont pas encore raconté toutes les subtilités de notre monarchie, constate la reine de sa voix cristalline. Si je meurs aujourd'hui, le Peuple des Astres se retrouvera orphelin. Notre monde conçoit comme héritier uniquement le fruit du précédent souverain. Oubliez les cousins et autres parentés lointaines... Autrement dit, j'ai fort intérêt à me trouver un époux rapidement.
Sur ce, elle se tourne furtivement vers Alec et celui-ci rougit de plus belle.
— Sans vouloir vous manquer de respect, Votre Majesté, glousse Wren, vous considérez toujours Alec comme une possibilité ?
— Ne t'emballe pas Wren, je sais très bien que j'ai deux fois son âge et même si vous détestiez tous les deux Donnatella, elle a toujours défendu Alexander en affirmant que ce serait mal venu d'épouser un jeune homme tel que lui.
— Vous n'avez que trente-deux ans ? je m'exclame.
J'ai vite fait le calcul étant donné qu'Alec a seize ans, comme moi. Si elle a juste le double...
— Trente-trois, ma chère, rectifie Elasia. Mais ne partons pas dans des familiarités pareilles.
Au ton léger de sa voix, elle semble néanmoins contente que je m'interroge sur son jeune âge.
— Pour en revenir à Alma, je crois savoir que monsieur Saphir tient une boutique en ville vendant des produits peu... recommandables. Aurait-il quelque chose qui soit capable d'au moins neutraliser ma soeur pendant quelques minutes ? Ce serait suffisant pour récupérer votre amie.
— Vous oubliez les Malfaçons, déclare Alec. S'il y en a toute une meute, je ne vois pas comment nous pourrons nous battre contre elles.
— Alma n'apprend pas à ses Malfaçons à se servir correctement de leurs pouvoirs, avance Elasia. Elles savent juste les contrôler et faire quelques petits tours mais rien que nous ne sachions pas faire. Les Lumineux n'auront qu'à faire voler des branches d'arbres sur la meute tandis que les Obscurs pourront invoquer des animaux pour nous aider si la situation dérape.
— Ça va forcément déraper, fait Alec, maussade. Nous ne parlons pas de négocier avec des anges mais avec une femme qui a levé une malédiction sur tout un peuple.
— Je ne vois pas de meilleure alternative, avoue Elasia. Tenons-nous-en à ce plan et contactez monsieur Saphir pour connaître ses produits pouvant affecter temporairement Alma.
La reine se rapproche de la porte d'entrée et juste avant qu'elle ne pose la main sur la poignée, Wren lance :
— C'est une occasion en or pour régler son compte à votre demi-soeur, Votre Majesté. Il n'y a vraiment aucune possibilité pour que nous puissions lever une armée ?
Elasia soupire et sa silhouette s'affaisse imperceptiblement.
— Crois-moi Wren, les gens se montreraient impitoyables envers moi s'ils apprenaient tout ce que je leur ai caché. Je préfère encore affronter ma soeur que la colère de tout un peuple...
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