Chapitre 36
— Je croyais que nous devions être discrets, persiffle Alec.
Réunis dans un coin de la verrière, Wren et moi tentons de nous expliquer auprès de nos amis. Je ne me suis jamais sentie aussi honteuse et faible de ma vie. Même lorsque j'étais brisée de partout après mon séjour chez Alma, je n'avais pas ressenti cette forme de faiblesse. Une faiblesse mentale. Une faiblesse stupide.
— Phoebe et toi sonniez tellement faux ensemble que nous avons décidé de rattraper le coup, se justifie Wren pour la centième fois. Il fallait bien que l'un de nos couples semble réel.
— Vous savez extrêmement bien jouer la comédie, alors, continue Alec, plus énervé que jamais.
C'est clairement la première fois — et j'espère la dernière — que je le vois dans cet état. Il cognerait Wren si nous n'étions pas en public...
— Écoute, je t'assure que c'était complètement pour de faux, j'interviens pour la première fois d'une voix fluette. Ce n'était pas...
— Ce n'est pas à toi que j'en veux, Isaluna, me coupe Alec sans me regarder. J'aurais dû me douter que Wren allait profiter de la situation.
— Je te dis que je n'ai profité de rien ! contre Wren. Et puis arrête de faire comme si la princesse et toi sortiez ensemble.
Alec s'emplit alors de rage et Karlie le retient de se jeter sur Wren en passant son bras devant son torse.
— On réglera ça plus tard, déclare-t-elle. Je vous rappelle qu'à la base, nous n'étions pas là pour la fête et ses péripéties. Wren, Luna, Alec, partez vite vers les appartements de la reine et tâchez de ne pas vous étriper.
Karlie me lance un regard entendu, signe que c'est désormais sur moi et ma capacité à calmer Alec et Wren que repose notre plan initial. Elle s'éloigne ensuite en compagnie de Darwin et Phoebe, et je me retrouve désespérément seule avec les Nightsun.
— Allez dépêchez-vous, lâche Alec en partant devant sans se préoccuper de nous.
Je le suis avec empressement, ne voulant pas me retrouver seule ne serait-ce qu'une seconde avec Wren. Alec file vers une porte près du couloir par lequel nous sommes arrivés et ne prend même pas la peine de vérifier si nous nous faisons repérer. Je jette quand même des coups d'oeils partout autour de nous, mais l'attention des gens semble être braquée sur Phoebe, au buffet, en train de picoler à même la bouteille de champagne. Bonne diversion !
Le couloir dans lequel nous nous retrouvons est désert... mais infiniment long. Si quelqu'un débouche de l'une des nombreuses portes, nous nous ferons immédiatement repérés.
— Euh... Rassurez-moi, je commence le plus bas possible, vous savez où sont les appartements de la reine au moins ?
— J'ai étudié les plans, répond froidement Alec sans se soucier de parler doucement.
— Si Alec-chéri sait, alors nous sommes sauvés, marmonne Wren.
Alec fait alors volte-face si subitement que je manque de lui foncer dedans. Sa mâchoire crispée et ses poings serrés témoignent clairement de son énervement.
— Toi, crache-t-il en s'adressant à Wren, je te conseille de te la fermer très vite si tu ne veux pas que je te dénonce en personne à la reine pour le meurtre d'une humaine. Parce que même si tu te crois visiblement tout permis, tuer une humaine de sang-froid reste un crime, même pour le Peuple des Astres.
Si j'étais à la place de Wren, je m'enfuirais en courant. Le Alec en colère me fait énormément penser à celui que j'ai connu à Miami... Wren lui adresse un hochement de tête pour qu'il continue sa route mais une fois Alec retourné, il n'hésite pas à lever exagérément les yeux au ciel. Lorsqu'il croise mon regard, je m'empresse de rattraper Alec, déjà loin devant.
Nous passons devant un nombre incalculable de portes avant qu'enfin, Alec tente d'en ouvrir une, sans succès. Il lâche un juron (chose inhabituelle chez lui) puis sort une pince étrange de la poche intérieure de sa veste. Il trafique je ne sais quoi avec la serrure pendant quelques minutes durant lesquelles Wren ne peut s'empêcher d'ajouter :
— Bon, MacGyver, ce n'est pas que je voudrais te presser mais un garde risque de débarquer à tout moment.
— À ce propos, je dis avant qu'Alec n'ait le temps d'engager une nouvelle dispute, vous ne trouvez pas ça curieux que nous n'ayons croisé personne et que nous ayons pu entrer dans ce couloir sans difficulté ? Il y a beaucoup de monde au palais ce soir et ils auraient dû renforcer la sécurité...
— Tu comprendras un jour que tout ce qui compte aux yeux de la reine, c'est sa propre sécurité, me répond Wren appuyé comme s'il était chez lui à un mur du couloir. Et puis même si quelqu'un nous avait vus entrer dans ce couloir pendant que cette chère Phoebe faisait une magnifique distraction, il se serait dit que de toute façon, les Nightsun sont bien trop riches pour vouloir voler quelque chose à la reine et...
— C'est bon, le coupe Alec en ouvrant finalement la porte. Dépêchez-vous. Et si vous voulez mon avis, je trouve ça très louche que personne ne traîne par ici mais allons-y quand même...
Alors que je pensais que nous arriverions dans une antichambre d'Elasia, je me retrouve dans un nouveau couloir. Je retiens un soupir pour ne pas encore plus agacer Alec. Wren, lui, ne se gêne pas... Nous passons une nouvelle fois devant des portes immaculées avant qu'Alec ne fasse sauter la serrure d'une autre. Cette fois, nous atterrissons dans un immense salon si majestueux que je pourrais m'y attarder des heures : beaucoup plus moderne que le style de la villa Nightsun, ses murs blancs sont ornés de différents tableaux de la reine, avec divers voiles colorés la recouvrant. Elle est indéniablement d'un narcissisme fou, mais je dois avouer que chaque représentation est sublime.
— Elle vient de me donner une magnifique idée pour redécorer la chambre de notre chère mère ! s'exclame Wren en levant les bras. Des peintures et des photos de moi absolument partout !
Alec pousse un grognement excédé tandis qu'il se dirige vers une nouvelle porte près d'un portrait d'Elasia peinte en différentes nuances de bleu. Cette fois, nul besoin de forcer la serrure. La porte s'ouvre en un tour de poignée et enfin, il me semble que nous atteignons la chambre de la reine. Si l'on peut employer le terme presque insultant de simple chambre dans ce cas-là. C'est plutôt une pièce de la taille d'un appartement avec un lit si grand en son centre qu'il rend le mien chez les Nightsun ridicule. Dans les tons d'orange, chaque élément de la chambre s'accorde avec l'autre (les êtres magiques doivent avoir un certain don pour la décoration). Il y a aussi des dizaines de meubles de rangement, soit autant d'endroits où Elasia pourrait cacher des informations sur Alma. Alec ne prend pas le temps de s'épancher sur l'harmonie des couleurs et part vers une table qui semble destinée à l'écriture et commence à la fouiller sans ménagement. Wren et moi restons interdits devant son manque de délicatesse tandis qu'il renverse des paquets de feuilles au sol sans s'en soucier.
— Alec, je crois qu'il faudrait faire plus attention, je murmure comme si rien que ma voix risquait de perturber l'harmonie de cette chambre. Tout semble parfaitement à sa place et...
— Nous n'avons pas le temps de faire des manières, rétorque-t-il. Ils vont remarquer notre absence au bal et Karlie et les autres ne pourront pas nous couvrir pendant des heures.
— Mais il y a des centaines de tiroirs ! je m'exclame à voix basse. C'est chercher une aiguille dans une botte de foin ! On ne sait pas précisément ce que l'on cherche en plus...
— Écoute-moi, grogne Alec en me regardant droit dans les yeux, on savait que ce ne serait pas facile en venant au palais. Si tu voulais venir ici juste pour aller au bal et profiter de ses divertissements, poursuit-il en désignant Wren, il fallait le dire. C'est sûr que si vous ne m'aidez pas à chercher, on ne trouvera rien.
— Alec-chéri, intervient Wren, ce n'est pas la peine de t'énerver à ce point tu vas finir par faire blanchir tes cheveux si parfaits. Pour la millième fois il ne s'est rien passé entre la princesse et moi et...
— J'ai compris, répond brutalement Alec en reportant son attention sur le tiroir de la table. Mais on reparlera de tout ça chez nous. J'en ai assez de ces histoires.
— Comme je suis d'accord avec toi, Alexander, résonne alors une voix cristalline. Mais je dois bien avouer que vos petites chamailleries sont presque aussi divertissantes qu'une comédie romantique.
Nous sursautons tous d'un même bond, les yeux rivés instinctivement vers la porte... pourtant déserte. D'un rire qui n'appartient qu'à elle, Elasia se redresse sur son lit, son voile et sa robe s'étant fondus sur le dessus-de-lit. Elle était là depuis le début !
— C'est incroyable ce que vous pouvez être prévisibles ! s'exclame-t-elle en partant d'un nouveau rire. Sérieusement, Wren et Alexander Nightsun qui viennent au bal d'automne avec deux parfaites inconnues ? Vous me prenez vraiment pour une idiote.
Elle semble si amusée que c'est encore plus troublant que si elle s'était mise en colère. Wren, Alec et moi n'en menons clairement pas large, guettant la porte, nous attendant à voir un troupeau de gardes débarquer d'un instant à l'autre. Pourtant, rien.
— Pour votre information, continue la reine, mes gardes vérifient l'identité de chaque personne mettant les pieds à la soirée privée. Quelle surprise ont-ils ressenti en constatant qu'il n'existait pas de Rosa Atwood ni de Phoebe Woodsen au Peuple des Astres ! D'autant plus que mon cher Alexander, tu joues si mal la comédie que j'ai vite vu que cette Phoebe ne t'intéressait guère. Et pour couronner le tout, Wren et la mystérieuse Rosa qui nous offrent un baiser digne d'Hollywood ! Non mais je rêve ! Je savais que vous prépariez un mauvais coup.
Elle se remet à rire presque hystériquement et je lance un regard de détresse à Alec et Wren. Comment allons-nous nous en sortir ? Wren se remet alors rapidement de l'apparition d'Elasia et reprend son air narquois habituel.
— Vous savez donc pourquoi nous sommes là ? l'interroge-t-il.
— Absolument, répond Elasia en reprenant un peu son calme. Vous cherchez à éliminer ma soeur et vous me suspectez d'entretenir une correspondance secrète avec elle, n'est-ce pas ? Je sais aussi que vous vous êtes infiltrés dans sa grotte en Virginie.
Nous ne nions rien.
— Eh bien vous avez raison ! s'écrie-t-elle en levant les bras. Je suis toujours en contact avec Alma.
Elle parle d'un ton si léger qu'il est très difficile de savoir si elle prend tout ça au sérieux ou si elle est dans un merveilleux délire. Wren n'hésite pourtant pas à continuer de converser avec elle.
— J'ai appris cela grâce aux journaux intimes de ma mère, confirme-t-il. Et je sais quel pacte vous avez passé avec Alma.
Cette fois, Elasia ne répond pas tout de suite. Lorsqu'elle reprend la parole, sa voix est bien différente de celle de d'habitude : plus posée, moins dans les aïgus, plus sérieuse et surtout, plus menaçante.
— En connais-tu tous les termes, Wren ?
— Absolument.
— Dans ce cas, tu sais que je ne peux rien faire.
C'est comme si j'assistais à une conversation en chinois. Je ne comprends strictement rien à ce qu'ils se racontent.
— C'était il y a des années, Votre Majesté, fait Wren avec un certain calme. L'un des sujets de ce pacte doit être hors d'atteinte désormais tandis que l'autre est sûrement irrécupérable.
Elasia se fige, comme si jusque-là, elle ne croyait pas vraiment ce que prétendait Wren. Mais maintenant, elle est tendue comme si elle était sur le point d'exploser. J'espère que Wren sait ce qu'il fait...
— Alexander et cette fille sont au courant ? demande-t-elle en essayant de masquer sa peur.
— J'ai tenu le silence afin de vous témoigner mon respect et vous montrer que je suis de votre côté.
Elasia se détend et soupire pendant si longtemps que je me demande s'il lui reste encore de l'air dans ses poumons.
— Je ne peux pas vous aider, souffle-t-elle au bout d'un moment. Comme tu le sais, Wren, j'ai déjà sacrifié beaucoup de choses pour mon titre de reine et pour une fois, je crois que je peux me montrer égoïste en faisant passer mes intérêts en premier.
— Mais Alma est diabolique, lui rétorque-t-il sans se montrer agressif, comme si la carapace d'Elasia risquait de se refermer à tout moment. Nous avons réussi à la retrouver une première fois et elle a pratiquement tué la jeune fille ici présente.
Le voile d'Elasia se tourne un bref instant vers moi.
— Elle vous manipule, Votre Majesté. Elle s'est servie de vous il y a des années en profitant de votre faiblesse et...
— Je n'ai pas été faible, le coupe Elasia avec fermeté. J'avais tout juste dix-sept ans et j'ai agi comme je l'ai pu.
J'aimerais vraiment savoir en quoi consiste ce "pacte" entre Elasia et Alma mais Wren semble décidé à jouer les mystérieux. Il a intérêt à nous en dire plus à notre retour chez les Nightsun... enfin si nous sortons d'ici un jour.
— J'ai peut-être un moyen qui saura vous convaincre de m'aider, hésite Wren en s'approchant d'un pas vers la reine, toujours assise sur son lit. Mais Alec et mon invitée ne devraient pas entendre ça...
Dépitée, Elasia fait signe à Wren de venir près d'elle. Ce dernier s'exécute et se penche vers l'oreille de la reine où il chuchote quelque chose de complètement inintelligible malgré tous mes efforts pour capter le moindre mot. Lorsqu'il se redresse, Elasia est littéralement figée. Elle serre son dessus-de-lit entre ses poings et ses jointures blanchissent. De très longues minutes s'écoulent et je crains que sa première réaction soit d'appeler un garde. Mais quand enfin elle reprend la parole en un murmure, l'émotion dans sa voix me provoque un pincement au coeur :
— Comment peux-tu me faire ça, Wren ?
Mon sang se glace tandis que celui que j'ai embrassé même pas une demi-heure avant retrouve le sourire machiavélique qu'il avait juste avant de tuer Alexia. Un voile semble soudain se lever, me révélant qu'en réalité, Wren est toujours Wren.
— Je suis bien décidé à ne plus sauver de petits chiots malades pendant que je suis sous l'emprise de la Malédiction des Astres, lui répond-il avec une arrogance folle. Vous aurez ce que vous désirez une fois Alma morte. Nous y trouvons tous les deux notre compte, au final.
— Qui me dit que tu ne bluffes pas ? se reprend la reine en réadoptant sa voix cristalline. Après tout, tu as peut-être juste lu les carnets de Donnatella et as monté ton petit stratagème parfait.
Wren sourit jusqu'aux oreilles et sort alors une photo de sa poche. Il la montre à Elasia sans que j'aie le temps de voir de quoi il s'agit mais apparemment, elle fait mouche auprès de Sa Majesté qui pousse un petit cri. Elle lui arrache la photo des mains pour l'observer de plus près et s'empresse de la glisser dans sa poche.
— Tout ce que tu veux, c'est la tête d'Alma, n'est-ce pas ? l'interroge la reine avec sérieux. Tu ne me réclameras pas de titre ou quoi que ce soit lorsque je voudrais récupérer l'objet de mes convoitises ?
— Vous avez tout compris, ma reine, affirme Wren avec son faux petit air d'ange.
Elasia se relève de son lit et prend une grande inspiration avant de déclarer :
— Alma est ici, à Astriad.
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