Chapitre 34
Qui aurait cru qu'après avoir survécu aux terribles tortures d'Alma je puisse encore avoir une énorme boule au ventre à l'idée d'aller à un stupide bal ? Me contemplant dans le miroir, je triture nerveusement le jupon de ma robe. J'ai été faire mon shopping au fameux sentier Barlère avec Karlie, et je peux vous assurer que Dior et Chanel ont à côté l'air de magasins de fripperies. On peut clairement dire que les membres du Peuple des Astres ont un goût pour la haute couture fort raffiné... et époustouflant.
Les cabanes en haut des arbres semblent au premier abord on ne peut plus ridiculement petites et vétustes, mais une fois l'échelle de fortune gravie, on se croirait dans un palace. Dans une immense pièce aux murs de marbre et aux sols de la même matière (les gens d'ici ont l'air de particulièrement apprécier tout ce qui est marbré), les vêtements volent dans leurs colonnes de verre dans un effet vaporeux qui les montre sous leur meilleur jour. Je ne savais plus où donner de la tête et j'ai suivi les bons conseils de Karlie pour m'y retrouver parmi toutes ces splendeurs.
Désormais dans ma chambre à la villa Nightsun, enfin habillée, je suis complètement perdue. J'ai finalement choisi une robe bleu ciel au long jupon de mousseline se mouvant autour de moi avec délicatesse lorsque je bouge. Le corsage de la même couleur est partiellement recouvert de petits strass qui brillent un peu trop à mon goût, mais c'est tout ce que j'ai trouvé de plus discret. Je ne suis pas très à l'aise dans mes chaussures à petits talons et ma teinture auburn ne me va pas vraiment au teint. Et ces lentilles bleues que je suis obligée de porter me paraissent si artificielles que je ne peux soutenir mon regard dans la glace. Mais avec ça, impossible que je sois reconnue, comme le souhaite Wren. Je ne sais pas pourquoi il s'obstine à ce que je me transforme autant à chacune de mes sorties, mais comme il ne faut pas trop chercher à le contredire...
— Tu es magnifique, me complimente Karlie en arrangeant mes cheveux en une cascade de boucles que je serais bien incapable de reproduire.
— Tu parles, j'ai l'air d'une servante à côté de toi, je grommelle.
Karlie est plus sublime que jamais. Elle a opté pour une combinaison rose bonbon qui lui donne des allures de sirène. Ses cheveux blonds tressés renforcent encore plus son côté enfantin, même si elle est un peu plus âgée que moi.
— Ne dis pas n'importe quoi, marmonne-t-elle. On dirait une princesse du ciel avec tes yeux et la couleur de ta robe. Même si j'avoue préférer tes yeux en vert, tu es splendide. Wren et Alec vont t'adorer.
— Ils vont surtout me maudire pour le prix de la robe...
— Réveilles-toi deux minutes, soupire-t-elle. Tu vois bien dans quelle maison ils vivent, leurs avions privés, la porcelaine dans laquelle ils mangent et les verres en cristal dans lesquels ils boivent ? Moi aussi j'avais du mal à croire à tout ça quand je les ai rencontrés mais ils sont vraiment riches au point de pouvoir racheter tous les immeubles de Manhattan si l'envie les en prenait. Une robe à même pas dix mille dollars, c'est moins qu'une baguette de pain pour eux.
J'essaie de me faire à cette idée tandis que Karlie se repasse une couche de gloss sur les lèvres.
— C'est pour Darwin que tu te fais si belle ? je la questionne avec malice.
Elle pique un fard et en profite pour se rajouter de la poudre sur les joues.
— C'est un Lumineux et je suis une Obscure. Il sait depuis toujours que nous ne serons jamais ensemble et je ne comprends pas pourquoi il reste si accro à moi... J'ai accepté d'aller à ce bal avec lui parce que Phoebe m'a clairement fait comprendre qu'elle voulait y aller avec Alec mais ce n'est...
— Quoi ? je la coupe sans réfléchir. Phoebe t'a demandé de lui laisser Alec ?
— Eh bien... Oui, fait-elle sans comprendre ma soudaine agitation. Je m'en fichais pas mal j'ai déjà été à des dizaines de bals avec Alec, j'étais toujours sa cavalière pour qu'il n'ait pas à éconduire deux mille filles mais...
Elle s'interrompt, le regard rivé sur mes poings serrés, les ongles si ancrés dans mes paumes que des traces vont sûrement y rester. Je ne saurais vraiment dire pourquoi l'image de Phoebe s'appropriant Alec me met dans un tel état d'énervement mais je sens une colère irrépressible monter en moi.
— Euh, Luna ? Ça va ? Je ne sais pas si t'en rends compte mais tu fais trembler toute la pièce...
Je lève alors les yeux de mes poings et constate que chaque meuble, chaque objet de ma chambre, tremble dans un bourdonnement inquiétant. Je prends une grande inspiration et tout se stoppe d'un coup. Je relâche la pression sur mes paumes et tâche de me détendre.
— Désolée, je marmonne sans que toute ma colère ne soit complètement partie. Phoebe n'énerve tellement ces temps-ci que...
Il faut dire que ma soi-disant amie s'est montrée particulièrement odieuse depuis les dernières semaines. Depuis qu'elle est une Obscure, pour être plus précise. Elle n'a aucune maîtrise sur ses pouvoirs et refuse que Karlie l'aide à apprendre à les contrôler. Elle parle à Wren et à moi comme si nous étions des chiens et surtout, ne voit que par Alec. Il est soudain devenu son Dieu vivant et elle n'accepte de l'aide que si c'est lui son "professeur".
Elle ne cesse de lui faire des avances démesurées lors de nos repas (seuls moments de la journée où je la croise) et j'envisage sérieusement de manger seule dans ma chambre. Si Karlie essaie toujours de se montrer aimable avec elle, Wren n'a de cesse de se moquer d'elle, parlant à son sujet comme si elle n'était pas présente dans la pièce. Alec, lui, lui témoigne un intérêt poli, souvent gêné lorsqu'elle ne cesse de répéter à quel point ses yeux sont magnifiques, sans que la discussion ait quelque rapport avec le sujet.
— Je comprends, fait Karlie d'un air compatissant. Elle est difficilement supportable en ce moment. Et c'est normal que tu sois un peu jalouse...
— Je ne suis pas jalouse, je me justifie en marmonnant. Je m'en veux même de te l'avouer mais... je ressens une certaine... excitation à l'idée d'être la cavalière de Wren. Je sais que c'est un abruti psychopathe mais...
— Mais il est absolument irrésistible, complète Karlie en soupirant, s'asseyant sur le bord de mon lit. J'ai déjà vécu ça, je peux te le garantir...
— Attention, je ne dis pas que je suis amoureuse de Wren, je m'empresse de rajouter en levant les mains en signe de défense.
Karlie fixe le sol, les yeux perdus dans le vague.
— Moi, je l'étais, confesse-t-elle au bout d'un moment, se tripotant distraitement une de ses nattes. Je l'étais follement. Plus j'y pense, plus je me dis que j'ai été stupide...
— Euh... Alec m'a laissé entendre que Wren t'avait brisé le coeur, je me hasarde pour tenter d'en savoir plus.
— Et Wren affirme que je me le suis brisé toute seule, complète-t-elle sans que je n'aie à ajouter quoi que ce soit. Je crois même qu'au fond, il a raison.
Elle se hâte de préciser devant mon air ahuri.
— Depuis mon arrivée au Peuple des Astres, Wren m'inspirait une sorte de fascination. Il se fichait royalement de moi mais à chaque fois que je venais à la villa Nightsun, je ne pouvais m'empêcher d'espérer l'y croiser. Et puis l'année dernière Wren a commencé à m'inviter à différentes sortes de soirées plus ou moins fréquentables et j'ai commencé à croire qu'il s'intéressait enfin à moi. Un soir il m'a même embrassé la joue avant de me ramener chez moi. J'étais si heureuse que je me suis fais tout un tas de films sur l'évolution de notre relation et le lendemain...
Elle se cache le visage entre ses mains comme si elle avait une honte terrible d'elle.
— J'avais abusé de la vodka et comme elle me réussit rarement... J'ai embrassé Wren. Pendant l'espace de deux secondes, c'était le paradis. Mieux que le paradis même. Mais à peine ai-je eu le temps de réaliser que mes lèvres étaient enfin posées sur celle du garçon dont j'étais amoureuse depuis presque dix ans, qu'il m'a repoussée. Il n'a pas été violent, il a juste poussé doucement mes épaules, mais c'était comme s'il m'avait tiré une balle dans le coeur...
Elle pousse un très long soupir, le visage toujours dissimulé.
— Sur le coup je l'ai détesté, finit-elle dans un murmure. Je le déteste toujours, d'une certaine manière. Mais je me suis rendu compte qu'il avait raison lorsqu'il lançait à Alec qu'il n'était en rien responsable de mon coeur brisé. C'est moi qui aie tout fichu en l'air.
Avec son visage de poupée et sa tenue rose bonbon, on se demande bien comment quelqu'un pourrait oser la repousser. Mais Wren bien sûr, en est parfaitement capable.
— C'est lui qui t'a donné de faux espoirs en t'invitant à ces soirées avec lui et en t'embrassant sur la joue ! je la défends. Il savait que tu étais dingue de lui et il en a profité.
Elle baisse enfin ses mains et me lance un regard bienveillant. Aucune trace de pleurs. Juste un profond dégoût d'elle-même imprimé sur son visage.
— Il voulait juste me faire plaisir, fait-elle en haussant les épaules. Il pensait que je serais contente de l'accompagner à ces soirées et le baiser sur la joue, c'était pour me faire comprendre qu'il n'était que question d'amitié entre nous.
Je m'apprête à protester mais elle lève délicatement la main pour m'en empêcher.
— Tout ça pour te dire de ne pas trop t'emballer si Wren se montre gentil ou s'il te témoigne plus d'attention que d'habitude. Et puis ce n'est pas pour te déprimer mais même si tu es une Lunatique, tu restes une Lumineuse... et Wren est un Obscur.
Elle m'adresse un petit sourire navré et je lui réponds par un hochement de tête compréhensif. Elle se relève avec vivacité et arrange une dernière fois ses cheveux devant le miroir.
Pour ma part j'essaye de me convaincre de toutes mes forces que Wren est une ordure et que de toute façon, je vais juste au bal avec lui pour notre mission. J'en suis presque convaincue lorsque la porte de ma chambre s'ouvre en coup de vent sur Phoebe, irradiante de beauté dans un fourreau rouge sang. Quelque chose a changé en elle... Ses cheveux et ses yeux charbonnés brillent plus que d'habitude, son port de tête est presque impérial et ses hauts talons lui donnent des allures de déesse. La rivière de diamants qui orne son cou m'aveugle à moitié. Mais c'est son décolleté presque indécent qui me surprend le plus, habituée à la voir en tee-shirts bien couvrants. Karlie ouvre plusieurs fois la bouche pour dire quelque chose mais finit par abandonner l'idée, ne poussant qu'un grognement de surprise.
— Phoebe... Tu es... Incroyable, je parviens à articuler.
— Je sais, lance-t-elle avec hauteur. Dépêchez-vous un peu, les autres vont nous attendre.
Sur ce, elle repart aussi vite qu'elle était apparue, dans un claquement de talons assourdissant. Karlie et moi mettons du temps à retrouver nos esprits. Lorsque je jette un coup d'oeil par inadvertance à mon reflet dans le miroir, j'ai soudain l'impression d'être une pauvresse enguenillée. Même Karlie ne semble plus une poupée si parfaite...
— Eh bien, commence mon amie, je crois que nous devrions descendre. Pense à prendre ta pochette et...
Elle s'interrompt, n'ayant finalement plus rien à dire. Nous sortons de ma chambre sans grande précipitation, comme si nous n'étions tout d'un coup plus tout à fait sûres de nous.
— Elle a dû impressionner Alec, je grommelle malgré moi.
— Oh non, pouffe Karlie d'un rire franc, ce qui détend l'atmosphère. Alec déteste les filles trop "allumeuses" comme Phoebe. Il va largement te préférer, je te le garantis.
Je suis presque sur le point de la questionner au sujet des préférences de Wren lorsque je me rends compte que j'aurais commis une erreur. Je ne dois pas autant m'intéresser à Wren.
Je manque plusieurs fois de tomber en descendant le grand escalier pour rejoindre le hall et ce n'est que lorsque je suis à portée de vue des garçons que je m'oblige à lâcher la rampe. L'ambiance est digne d'un conte de fées avec ce grand escalier de marbre, le lustre illuminant les lieux de mille feux, la nuit tombante visible derrière les fenêtres, ma robe de princesse et surtout, Alec et Wren, à tomber dans leurs smokings de princes charmants. Je jette un bref regard à Phoebe, postée derrière Alec, son bras posé sur le sien d'un geste possessif, puis à Darwin, toujours plus élégant que quiconque, qui lui, ne voit que Karlie. Je tâche de ne pas rater les cinq dernières marches puis pose enfin mes yeux alternativement sur Wren, puis sur Alec, ne sachant sur lequel des deux me focaliser.
— Princesse, tu n'as jamais aussi bien porté ton surnom qu'en cet instant, me complimente Wren avec son sourire irrésistible qui n'appartient qu'à lui.
— Tu es éblouissante, Luna, ajoute Alec plus bégayant que son frère.
Je les remercie d'un timide sourire et Wren me tend solennellement son bras.
— Désolé petit frère, déclare Wren, mais ce soir, la princesse est mienne.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il n'y a aucune possessivité dans sa voix. Juste quelque chose de bienveillant et d'heureux. Une petite broche verte piquée à sa veste renforce le pouvoir envoûteur de ses yeux émeraude. J'attrape son bras avec un sourire un peu trop large pour le meurtrier de ma meilleure amie et le briseur de coeur de Karlie.
— Je sais que je t'avais demandé d'être époustouflante pour cette soirée, me susurre-t-il à l'abri des oreilles des autres tandis que nous avançons vers la porte de sortie, mais là, je dois dire que tu as fait fort.
Je rougis jusqu'aux oreilles, inspectant une nouvelle fois ma robe d'un oeil neuf. Elle brille plus que je ne le pensais sous la lumière du lustre et c'est peut-être...
— Est-ce que c'est trop ? je me risque en remuant ma pochette dans ma main libre.
Je sens alors ses lèvres effleurer mon oreille et un frisson inédit me parcourt. Surtout que les autres sont juste derrière nous...
— Tu n'as jamais été aussi parfaite que ce soir, murmure-t-il en un souffle qui me paralyse.
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