Chapitre 31

Il est presque trois heures du matin et la tempête bat son plein. Je sais que les tempêtes tropicales ne durent en général pas longtemps mais là, c'est un record. Le vent souffle plus que de raison et la pluie tombe avec un bruit assourdissant. Allongée dans mon lit, je ne parviens pas à trouver le sommeil et j'essaye de comprendre les derniers événements. Quand je dis "derniers événements", je parle évidemment de Wren. Que s'est-il passé ? Avait-il trop bu ou peut-t-il y avoir ne serait-ce qu'une minuscule chance pour ait été sincère ? Je ne sais même pas ce que je préfère croire...

Je finis par me lever et me dirige vers une des fenêtres d'un pas hésitant. Si ces immenses baies vitrées sont splendides en plein jour, la nuit est bien plus inquiétante avec les arbres sombres et les bruits de différents animaux étranges. Je pose ma main sur la vitre et sa froideur inhabituelle me fait frissonner. Je me suis déjà levée ainsi d'autres nuits et le carreau n'était jamais aussi glacial. Les arbres sont pliés en deux et la pluie tombe tellement que c'est à peine si je vois à cinq mètres.

Le ciel est d'un noir profond et la lune pleine y brille plus que jamais. Bizarre, par temps pareil, la lune devrait être cachée par les nuages. Je ne peux quitter la lune des yeux. C'est comme si mon esprit ne pouvait se désintéresser de cette médaille d'argent aussi fascinante qu'inquiétante. J'essaye de battre des paupières comme pour me réveiller mais il m'est impossible de ne pas regarder cet éclat si contrastant avec la nuit sombre. Je n'ai d'ailleurs même pas envie de regarder autre chose. Je ne distingue même pas les habituels cratères qui caractérisent la lune mais je ne m'en formalise pas.

Mes deux mains se retrouvent posées contre la vitre de glace qui d'un frôlement de l'ongle, s'éclate silencieusement en mille morceaux. Je ressens le besoin irrépressible de me fondre en cette lune et d'y apporter mon propre éclat. Je fais un pas, les yeux toujours rivés vers l'astre, et au lieu de rencontrer le vide, mes pieds se retrouvent sur une surface lisse et tout aussi froide que la vitre de ma chambre. La pluie continue de tomber mais ne me mouille pas. Je ressens juste une vague sensation de froid, comme si les gouttes étaient des aiguilles me zébrant la peau. Pourtant je ne bronche pas. Je continue d'avancer ou plutôt de léviter vers la lune. Dieu que j'ai envie de la toucher ! Le bruit de la tempête est remplacé par des notes de harpe et un vague chant lointain. Je me mets à fredonner cet air envoûtant.

Je ne sais pas exactement à quelle hauteur je suis mais je dois être suffisamment haut pour ne plus voir la cime des arbres. J'ai l'impression de monter un escalier invisible qui me mène vers cette lune scintillante et chaleureuse. Je crois que je n'ai plus qu'à tendre le bras pour la toucher... Soudain, je ne sens plus les gouttes-aiguilles sur ma peau et les chants cessent. La lune disparaît derrière les nuages et je sors de ma torpeur. La plaque sur laquelle je pensais marcher n'est non seulement plus froide mais inexistante. Alors c'est la chute.

Je me sens tomber à la vitesse de l'éclair et je hurle de toutes mes forces. Attendez comment j'ai pu monter aussi haut ?! Le vent me fouette tout le corps et emporte mon cri qui résonne comme de très loin à mes oreilles. Je vois en contrebas les arbres se rapprocher et alors que je pense mourir écrasé au sol, je me retrouve dans l'eau, dont la force de l'impact me claque le corps. Je mets un moment avant de retrouver l'usage de mes membres et de faire des mouvements pour regagner la surface. L'eau n'est pas si froide que ça mais elle est comme vaseuse et répugnante.

Malgré l'obscurité inquiétante je constate que je suis au milieu d'un lac entouré d'arbres tropicaux. Je pense aussitôt aux potentiels crocodiles et regagne en hâte la terre la plus proche. Je n'ai jamais été une déesse en natation mais je fais un effort pour cette fois. Il n'y a plus aucune trace de la tempête et pas la moindre brise ne me caresse lorsque je m'échoue au bord du lac. Je me relève et mon pyjama blanc est désormais recouvert de boue. Les mystérieux bruits des animaux de la forêt sont quant à eux toujours là... Je lève les yeux vers le ciel et il n'y a plus aucune trace de la lune. Mais qu'est-ce qui vient de m'arriver ?

J'étais comme dans une transe qui m'empêchait de voir autre chose que la lune et qui m'attirait vers elle comme un aimant. Heureusement que j'ai atterri dans ce lac et pas sur le sol car je serais actuellement à l'état de tomate éclatée. Le majeur problème du moment étant que je n'ai absolument aucune idée de l'endroit où je suis et que je me retrouve donc perdue en pleine nuit au milieu de la forêt amazonienne... Super.

Je m'apprête à tenter n'importe quoi avec mes pouvoirs pour me sortir de là quand tout à coup, une voix qui me semble familière résonne à travers les arbres. Non. Elle semble plutôt venir de l'autre côté du lac.

— Alors c'est toi, Isabelle ? fait la voix féminine. Je dois avouer que j'ai passé ma vie à me demander à quoi tu ressemblais. Je ne pensais pas que tu étais...

Elle s'interrompt et je regarde dans ce que je pense être sa direction pour cerner quoi que ce soit mais je ne vois que des arbres et des feuilles. Ce n'est pas Alma. La chef des Malfaçons a une voix plus grave et rauque. Celle-ci est claire et je ne peux mettre le doigt sur son appartenance. Je suis pourtant sûre de l'avoir déjà entendue...

— Charmant ce petit coin d'eau, tu ne trouves pas ?

Des inflexions cristallines qui me font penser à la reine Elasia mais ce n'est pas elle non plus. Pas assez de grâce.

— Qui es-tu ? je lance alors assez fort pour qu'elle m'entende. Pourquoi ai-je été attirée par la lune comme ça et comment j'ai fait pour monter si haut dans le vide ?

J'entends alors un ricanement. Même son rire me dit quelque chose.

— Tu peux m'appeler Rona si tu veux. Et si tu es montée tel un ange regagnant les cieux, c'est grâce à un petit sort d'attraction et d'étourdissement dont je suis particulièrement fière. Mais je dois avouer que le coup de la vitre qui se brise et tout le tralala de l'escalier de verre était plutôt impressionnant venant de toi.

— Mais comment tu as fait pour... ? je commence avant qu'elle ne m'interrompe.

— Ce doit être assez excitant de côtoyer deux Nightsun d'aussi près. Surtout quand ils passent autant de temps à s'occuper de toi. Tu ne peux pas t'imaginer à quel point j'aimerais être à ta place !

Une certaine tristesse transparaît dans sa voix mélangée à une pointe d'ironie. Les ondulements du lac m'affolent un peu à l'idée que des alligators s'y cachent. Il y a des hippopotames en Amazonie ?

— Tu connais Alec et Wren ? je demande, curieuse.

Elle met tant de temps à répondre que je commence à croire qu'elle est partie. Quand elle reprend la parole, sa voix se fait plus proche donc je devine qu'elle a changé de place.

— J'ai davantage de considération pour Alexander. Wren n'est qu'un petit batifoleur incapable d'éprouver des sentiments. Il faut voir ce qu'il a fait subir à ce petit ange de Karlie McField ! Quoique je ne la porte guère dans mon coeur... Trop bavarde, trop souriante, trop... tout.

— Et eux ils te connaissent ?

Je suis consciente que je devrais poser des questions plus pertinentes que celles-ci mais c'est comme si Rona était juste une personne que j'avais perdue de vue depuis très longtemps. Peut-être est-ce un enchantement...

— J'ai passé ma vie au fin fond d'une grotte donc je suppose que non, déclare-t-elle avec entrain. Avant que tu ne me poses la question, sache que ce n'est pas parce qu'on ne sort pas de chez soi qu'on est coupé du monde, loin de là. J'ai d'excellents informateurs sur tous les membres du Peuple des Astres.

Attendez... Elle a bien dit au fin fond d'une grotte ?

— Tu fais partie de la meute d'Alma ! je m'alarme avec horreur. Tu m'as attirée ici pour me kidnapper et...

— Détends-toi, ma jolie, souffle-t-elle comme si j'étais exaspérante. Je fais bien partie des Malfaçons d'Alma mais je ne suis pas là pour t'enlever ou quelque chose de magnifiquement dramatique dans ce genre. Je venais juste confirmer une petite théorie d'Alma...

— Quelle théorie ?

— Eh bien tu aurais pu nous dire que tu es une Lunatique, fait-elle sur le ton de la confidence. Ça t'aurait évité bien des dégâts, même si je dois avouer que ton visage difforme s'est particulièrement bien soigné ! Quand tu as quitté la grotte avec ton armée de sauveurs, c'est tout juste si...

Elle laisse une nouvelle fois sa phrase en suspens, ce qui commence à sérieusement m'agacer.

— Si ta théorie est confirmée, je commence sans cacher mon énervement, est-ce que tu aurais la gentillesse de me raccompagner chez les Nightsun ou au moins m'indiquer la direction à pendre ?

Rona part alors d'un grand éclat de rire bien moins cristallin que le précédent. Celui-ci me fait penser à Alma et un nouveau frisson me saisit.

— Sauf que je ne suis pas si gentille que ça, ma chère Isabelle, ou plutôt devrais-je dire Isaluna. Je ne vais pas te terrifier davantage aujourd'hui mais j'espère te revoir bientôt. À la prochaine !

Et sans que je puisse poser la moindre question, un silence de mort tombe autour de moi et je devine que Rona est partie. L'eau de l'étang n'est plus parcourue d'aucune vaguelette et les oiseaux et autres animaux de la forêt ont cessé de chanter. Je reste immobile pendant au moins cinq bonnes minutes, à l'affut du moindre bruit suspect. Je tremble de la tête aux pieds et ce n'est pas seulement à cause du vent qui vient de se lever. Alma et sa meute savent que je suis une Lunatique, comment je m'appelle et où je me cache. Alec, Wren et Karlie ne lui sont pas inconnus non plus...

Je regarde partout autour de moi, cherchant n'importe quoi qui pourrais m'aider à trouver mon chemin. Je ne pense pas que mes pouvoirs puissent m'être vraiment utiles et nous ne sommes pas sur l'autoroute avec un panneau "ASTRIAD 50KM". Si j'étais une Obscure je pourrais communiquer avec les animaux pour qu'ils me guident mais voilà... Le jour ne pointe pas encore le bout de son nez et je ne pense pas être capable de rester seule ici quelques heures de plus.

Je lève alors les yeux vers le ciel presque entièrement masqué par les branches des arbres et constate avec surprise que la lune a reparu. Elle me semble bien moins brillante que dans ma petite "psychose" de tout à l'heure mais elle attire tout de même mon regard. Rona a dit qu'elle m'avait fait venir jusqu'ici grâce à un sort d'attraction et d'étourdissement mais que l'escalier de verre n'était pas son oeuvre mais la mienne. Cependant, j'ignore comment je m'y suis prise... Mes livres sur les Lunatiques ne mentionnent jamais un rapport avec la lune mais après tout je ne pensais pas que la magie existait il y a quelques semaines...

Mes batteries sont quasiment vides et comme il n'y a pas le moindre brin de soleil, je ne risque pas de faire grand-chose. La lune n'est pas mon astre donc je ne peux pas me servir de son énergie pour me recharger. Cependant...

— Peux-tu m'aider à rentrer à la villa Nightsun ? je demande en gardant les yeux rivés vers le disque gris.

Si quelqu'un me voyait, il me prendrait pour une folle à parler à un satellite mais la lune ne m'a jamais semblé aussi vivante. Mais malgré toute ma bonne volonté et ma foi, il ne se passe absolument rien. Résignée, je m'apprête à choisir une direction au hasard quand une voix familière résonne à travers les arbres ?

— Luna !

Alec. J'en pleurerais tant je suis heureuse de l'entendre et pendant un instant, je me demande même si je ne suis pas en train d'halluciner, prenant mes désirs pour des réalités. C'est quand je l'entends une seconde fois que je suis parfaitement certaine qu'il est là. Je lui réponds en criant de toutes mes forces et me dirige dans sa direction. Il fait si sombre que je ne distingue rien à trois mètres mais lorsque enfin je vois sa silhouette au coin d'un arbre, je me précipite vers lui et il me prend dans ses bras avant que je puisse dire quoi que ce soit. Cette proximité ne devrait me faire ni chaud ni froid après l'été que nous avons passé ensemble mais j'ai l'impression d'avoir rencontré Alec il y a seulement quelques semaines. Je ne peux même pas considérer avoir rencontré la même personne.

— Pourquoi es-tu sortie comme ça ? me murmure-t-il contre mon oreille sans me lâcher. J'ai entendu du verre se briser et j'ai suivi la traînée de morceaux qui s'étendait dans la forêt. J'ai cru qu'il t'était encore arrivé quelque chose d'horrible et...

Il ne termine pas sa phrase et je me détache quand même de lui. L'escalier que j'ai créé pendant ma perte de contrôle a dû se briser lorsque je suis tombée dans le lac et Alec a joué au Petit Poucet pour me retrouver.

— Ça t'embêterait que je t'explique tout une fois qu'on sera rentrés ? je demande en sentant la brise souffler sur mes bras nus. C'est si compliqué que je ne sais même pas quoi te dire...

Il ne répond rien et m'adresse juste son petit sourire timide habituel. Il me prend la main et me guide dans une direction dont il semble sûr. Rien que ce léger contact me réchauffe un peu et tandis que nous avançons à travers les arbres, je ne peux m'empêcher de penser à ma mystérieuse rencontre avec Rona.

Note de l'auteure :

Alors, ce rendez-vous avec Rona ?

De nouveaux dangers à venir ?

Merci encore à vous tous de suivre mon histoire, de voter et de commenter ! On a atteint les 400 vues et c'est vraiment énorme pour moi ! Merci beaucoup ! 😘❤️

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